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Vrai ou faux Les dinosaures de "Jurassic Park" ont-ils bien vieilli scientifiquement, 30 ans après la sortie du film ?

Franceinfo a demandé à des paléontologues de confronter la représentation des dinosaures dans le film culte de Steven Spielberg avec l'état des connaissances scientifiques, passées et actuelles.
Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 13min
Si "Jurassic Park" est généralement vu comme un reflet honnête des connaissances au moment de son tournage, il a parfois pris quelques libertés avec la réalité. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

Jurassic Park n'a pas fait que révolutionner les effets spéciaux au cinéma. Sorti il y a trente ans jour pour jour en France, le film de Steven Spielberg a aussi éveillé ses millions de spectateurs au monde disparu des dinosaures. En dépit des critiques qui l'ont accueilli, le blockbuster hollywoodien a même suscité bien des vocations de paléontologues, comme l'ont confié certains à France Inter. Le long métrage, salué par les chercheurs comme un reflet fidèle du niveau des connaissances au moment du tournage, a pourtant pris quelques libertés avec la réalité. A commencer par le fait que l'écrasante majorité des créatures apparaissant à l'écran viennent du crétacé et non du jurassique. Trois décennies plus tard, la recherche a fait des bonds de géant, au point qu'on peut se demander si les dinosaures de Jurassic Park ont vraiment bien vieilli.

Les vélociraptors étaient plus petits et couverts de plumes

"Vous avez créé des raptors ?", s'étonne le professeur Alan Grant, tenant dans ses bras un dinosaure tout juste sorti de son œuf. Le généticien en chef du Jurassic Park, Henry Wu, acquiesce d'un hochement de tête. Cette réponse mérite quelques éclaircissements.

Le "techno-thriller" de Michael Crichton et le film de Steven Spielberg se réfèrent au livre Predatory Dinosaurs of the World  de Gregory S. Paul. Or, ce paléontologue américain a regroupé des dinosaures différents sous une même appellation. Il n'y avait donc pas une seule variété de raptor, mais plusieurs. "Ce que Michael Crichton désigne comme des raptors dans le roman, ce sont les deinonychus, dont le crâne mesure la largeur entre mes deux épaules", explique Thomas R. Holtz Jr., paléontologue à l'université du Maryland, consultant pour une série documentaire de la BBC sur les dinosaures.

Le film, lui, entretient non seulement la confusion entre raptors et vélociraptors, mais propose une représentation fausse de ces derniers. "Les vélociraptors, au sens propre, ont un crâne pas plus grand que la paume de ma main", décrit Thomas R. Holtz Jr. Dans Jurassic Park, ils ont été gavés de stéroïdes. "C'est un peu comme si Arnold Schwarzenegger était casté pour incarner Abraham Lincoln", compare Steve Brusatte, consultant sur le dernier Jurassic World. Soit un champion de bodybuilding austro-américain prêtant ses traits à un président américain longiligne. Pendant la production du film, des paléontologues ont découvert l'utahraptor (dans l'Etat américain de l'Utah, comme son nom l'indique), décrit le muséum d'histoire naturelle de l'université de l'Utah. Lui possède le gabarit des raptors du film.

Trois ans après la sortie de Jurassic Park, en 1996, un fossile de vélociraptor avec des traces de plumes a été mis au jour en Chine, rappelle le muséum de l'université du Michigan. Pourtant, dans les films suivants de la franchise, on ne voit pas la moindre plume sur le cuir épais de ces prédateurs. "Si Steven Spielberg en avait rajouté sur ses vélociraptors, les gens auraient trouvé ça ridicule, des dinosaures sapés comme Liberace, s'amuse Steve Brusatte. Le résultat aurait été inverse : le public les aurait trouvés bien moins réalistes."

L'image du vélociraptor forgée par Jurassic Park persiste. Dans Jurassic World, sorti en 2015, un scientifique glisse, comme un clin d'œil aux chercheurs du monde entier : "Si on les modelait comme ils sont vraiment, les gens n'y croiraient pas." Le consultant Steve Brusatte a tout de même réussi à glisser un dinosaure à plumes dans la saga. "Des millions de gens ont pu voir à quoi ressemblait véritablement un vélociraptor." Pour ce faire, il a fallu ruser en proposant au spectateur une nouvelle espèce de raptors, le pyroraptor, et l'affubler de plumes comme dans la réalité.

Le tyrannosaure avait une bien meilleure vision, mais il ne courait pas aussi vite

A deux ou trois approximations anatomiques près, le tyrannosaure de synthèse de Jurassic Park est jugé convaincant par les spécialistes interrogés par franceinfo. Sauf son comportement à l'écran, lorsque les choses tournent mal dans le parc animalier du milliardaire John Hammond. Quand le T-Rex s'échappe de son enclos, le professeur Alan Grant met en garde le fataliste mathématicien Ian Malcolm, spécialiste de la théorie du chaos : "Ne faites plus un seul geste. Sa vision est basée sur le mouvement."

Une erreur factuelle majeure à mettre sur le dos de Steven Spielberg et de David Koepp, son scénariste, qui s'est éloigné du matériau originel de Michael Crichton. Le romancier prenait soin d'expliquer que, les dinosaures de Jurassic Park ayant été recréés à l'aide d'un ADN de grenouille, le T-Rex reconstitué par les scientifiques du parc avait hérité de ce trait majeur des batraciens qu'il ne possédait pas en réalité. Ce qui n'est pas expliqué dans le film, alors que le professeur Grant le déduit au cours de l'attaque de la Jeep dans le roman. 

"Quand on y réfléchit deux minutes, ce serait un vrai problème si un animal aussi gros, qui fait autant de bruit, ne pouvait détecter ses proies qu'en mouvement", souligne Thomas R. Holtz Jr. L'étude des cavités crâniennes des tyrannosaures a établi depuis longtemps qu'ils disposaient d'une vision binoculaire parfaite et d'un excellent odorat.

Autre hic : quand "Rexy" se met à cavaler pour poursuivre le 4x4. "Avec une vitesse de pointe d'environ 20 km/h, un T-Rex serait incapable de rattraper un humain qui court, ne parlons même pas d'un véhicule", pointe Romain Pintore, paléontologue rattaché au Muséum d'histoire naturelle. Le sprint du T-Rex à l'écran est non seulement irréaliste, mais il a aussi été une gageure à mettre en scène. "Le grand spécialiste de la locomotion des dinosaures John Hutchinson m'a raconté sa visite des locaux d'ILM, la société chargée des effets spéciaux, relate l'expert. Même les animateurs avaient reconnu qu'ils avaient toutes les peines du monde à faire courir un T-Rex."

Le dilophosaure était bien plus costaud et ne possédait ni collerette ni venin

Comme beaucoup de paléontologues cinéphiles, Thomas R. Holtz Jr. a failli avaler son pop-corn de travers en voyant le dilophosaure ouvrir sa collerette et régler son compte à l'informaticien véreux Dennis Nedry d'un jet de venin bien placé. "A ce moment du film, dans la salle de cinéma, je n'ai pas pu m'empêcher de me dire : 'Ah, ils l'ont loupé, celui-ci !'", glisse le spécialiste. 

Dans le film, la bestiole paraît presque gracile. Il était pourtant déjà établi à la sortie du film qu'elle devait peser 750 kg et mesurer six mètres de long. "C'est une liberté artistique, on va dire", sourit Romain Pintore. Selon Adam Marsh, le spécialiste des dilophosaures, auteur d'un article sur cette espèce dans la revue National Geographic, des recherches menées à l'époque établissaient que le dilophosaure avait de faibles mâchoires et une crête fragile, ce qui a pu influencer les designers du film. De nouvelles études ont démenti ces précédents travaux : le dilophosaure était bien plus musclé et capable de chasser de grosses proies. En revanche, les fossiles n’ont apporté aucune preuve de l'existence d'une collerette ou d'un quelconque venin.

Stan Winston, l'homme derrière les animatronics du film – les robots dinosaures plus vrais que nature –, s'est toujours targué d'avoir "fait [s]es devoirs, lu toute la littérature, vu toutes les représentations, étudié les données existantes". On doit ainsi au film d'avoir clos le débat sur la représentation des dinosaures comme des animaux à sang chaud, plus proches des oiseaux que des lézards à sang froid. Le même Stan Winston le reconnaît toutefois dans le livre retraçant le making-of du film : "Mais bien sûr, il y a une part de licence artistique dans ce que nous avons réalisé."

L'ADN de dinosaure conservé dans un moustique est une théorie pas piquée des hannetons

"Il y a 100 millions d'années, il y avait des moustiques comme aujourd'hui. Et comme aujourd'hui, ils se nourrissaient du sang des animaux. Même des dinosaures. Parfois, après avoir piqué un dinosaure, le moustique allait se poser sur une branche d'arbre et restait collé dans la sève." Des milliers d'années plus tard, un scientifique du Jurassic Park perce l'ambre fossilisé et parvient à récupérer le sang, poursuit le petit film de présentation à l'usage des visiteurs. "Et bingo, voilà de l'ADN de dino !" 

Comme par hasard, la veille de la sortie américaine du film, en juin 1993, la revue Nature publie une étude où des scientifiques expliquent avoir découvert des fragments d'ADN d'un charançon vieux de 120 millions d'années piégé dans de l'ambre.

"L'idée est crédible sur le papier", concède Romain Pintore. Des équivalents du moustique à la trompe en acier trempé pour percer la peau épaisse du dinosaure ont existé lors du crétacé. Mais les choses se gâtent dans l'estomac dudit moustique. Une soupe de sang étant du genre costaud, l'insecte y ajoute des enzymes pour en faciliter la digestion. Ce qui a pour effet d'accélérer la détérioration de l'ADN. "Le plus vieil ADN jamais découvert remonte à un million d'années, pour un génome de mammouth quasi-complet, et n'était pas issu d'un insecte", insiste le spécialiste. Il manque une bonne soixantaine de millions d'années pour récupérer celui du dernier T-Rex à avoir gambadé dans les prés.

De la science-fiction ? Il ne faut jamais dire jamais, tempère son confrère américain Thomas R. Holtz Jr., qui n'écarte pas qu'un jour, les machines permettent de récupérer des ADN plus anciens. Mais les généticiens ne seraient alors pas encore au bout de leurs peines. "Si on a un petit segment d'ADN ici, et un autre là, on ne pourra pas forcément reconstituer un génome entier, prévient l'expert. Si on découvre des séquences que les dinosaures ont en commun avec les oiseaux ou les crocodiles, qu'on connaît déjà, ça ne fera pas forcément beaucoup avancer la science. Ne parlons même pas d'en ramener un à la vie." Jusqu'à présent, mis à part cloner des grenouilles ou des moutons disparus il y a quelques années, avec des tissus intacts sous le coude, l'homme n'a pas réussi à faire réapparaître beaucoup d'espècesun bouquetin des Pyrénées près). Il existe bien des projets pour développer certains gènes anciens chez les oiseaux (empêcher les os du métatarse de fusionner, pousser leur queue à se développer), relève le spécialiste. "Mais les scientifiques qui manipulent ces embryons ne les laissent pas aller à terme. C'est une question d'éthique."

Qui sait ? En 2043, quand Jurassic Park soufflera ses cinquante bougies, peut-être sera-t-il regardé comme aussi kitsch que le redoutable nanar Un million d'années avant J.-C., avec des lézards en carton-pâte et Raquel Welch vêtue d'un bikini en peau de bête. Le film de Spielberg a réussi à ringardiser toutes les œuvres précédentes, à défaut d'être irréprochable sur le plan scientifique. Un statut de référence qui demeure fragile. "Tout le film est bâti sur de nombreuses zones grises, souligne Romain Pintore. Prenez les raptors : on ne sait pas exactement comment ils chassaient ou quel était leur comportement social. Tout ce qu'on peut faire, c'est extrapoler à partir d'animaux existants." Les paléontologues qui ont embrassé ce métier grâce à Jurassic Park seront peut-être ceux qui l'enverront aux oubliettes.

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