: Vrai ou faux Intelligence artificielle : l'algorithme Life2vec est-il réellement capable de prédire la date de votre mort ?
Une intelligence artificielle qui serait capable de prédire la mort avec 78,8% de réussite ? C'est la nouvelle qu'ont relayé plusieurs médias et internautes sur les réseaux sociaux après la publication d'une étude danoise le 18 décembre 2023. Dans la revue scientifique Nature Computational Science, six chercheurs de l'Université technique du Danemark ont révélé s'être penchés sur l'espérance de vie grâce aux données de santé de six millions de Danois. Ils en ont tiré un algorithme, appelé Life2vec.
Grâce à l'Institut de statistiques danois, ces scientifiques ont eu accès de nombreuses données : l'historique des rendez-vous médicaux avec les diagnostics, le revenu, la scolarité, l'emploi, le temps de travail... Des informations actualisées chaque jour de 2008 à 2020. Pour étudier l'espérance de vie, ils se sont concentrés sur les données de 2008 à 2015 pour 100 000 personnes âgées de 35 à 65 ans. "L'espérance de vie dans cette catégorie d'âge est difficile à prévoir", admet Sune Lehmann, l'un des auteurs de l'étude, contacté par franceinfo.
Une prédiction dans des cas précis
Dans cet échantillon de personnes, les chercheurs ont utilisé 50 000 personnes pour "entraîner" l'algorithme et lui faire assimiler les mécanismes de décès. Par exemple : une personne avec une mauvaise hygiène de vie, qui a vécu dans des lieux pollués toute sa vie, a plus de chance de mourir dans les quatre prochaines années qu'une autre. Dans ce contexte, l'algorithme a eu 78,8% de réussite.
"Nous avons renseigné dans l’algorithme les données de personnes en lui précisant si elles allaient mourir ou survivre dans les quatre prochaines années, puis nous avons réitéré l’opération et l’algorithme devait deviner."
Sune Lehmann, chercheur et auteur de l'étudeà franceinfo
Mais l'algorithme développé par les chercheurs danois ne peut en aucun cas réussir à prédire l'âge exact du décès d'une personne. D'abord, l'étude étant basée sur des Danois de 35 à 65 ans, le tester sur une autre population créerait un biais. "Un Argentin de 28 ans n'a pas la même espérance de vie qu'un Danois de 52 ans", énonce le chercheur. L'espérance de vie diffère selon l'année de naissance, le pays d'origine d'une personne... Enfin, les chercheurs font valoir que l'objectif de leur étude est purement scientifique. "Notre but n'est pas d'alarmer les personnes en leur donnant leur âge présumé de décès, explique Sune Lehmann. Nous voulons seulement faire avancer la science."
Une méthode en rupture avec une étude classique
L'objectif est atteint, juge Florian Bonnet, chercheur à l'Institut national d'études démographiques (Ined) : "La taille et la précision de la base de données utilisée représentent une avancée majeure dans l'étude de la démographie." A titre de comparaison, en France, les chercheurs ont accès aux données de 4% de la population : un écart considérable avec la base de données danoise. La méthode utilisée pour l'étude est également innovante. "Nous calculons l'espérance de vie en fonction d'une variable particulière : le sexe, la catégorie socio-professionnelle, l'origine géographique", énumère Florian Bonnet. Mais dans l'étude danoise, toutes ces variables ont été intégrées simultanément, tout en prenant en compte la temporalité. "L'algorithme créé représente ainsi une rupture avec l'analyse statistique classique de la démographie", explique le chercheur français.
Les chercheurs ont conscience qu'en repoussant les limites des compétences prédictives de l'intelligence artificielle, leurs travaux peuvent intéresser des entreprises qui pourraient être tentées d'y voir un intérêt économique. "Les assurances ont déjà recours à ce type de statistiques, mais ce nouveau modèle est bien plus fiable", note Laura Tocmacov Venchiarutti, la directrice de la fondation ImpactIA, dans Le Parisien. Conscients de ces enjeux éthiques, les chercheurs danois précisent qu'ils ont pris des dispositions pour sécuriser leurs données. Ils voient aussi dans leur travail un moyen de sensibiliser les gouvernements afin qu'ils régulent mieux l'utilisation de l'IA. "Nous alertons sur le fait que ce type de prédictions existe déjà derrière les portes de la Silicon Valley sans aucune loi pour les encadrer", relève Sune Lehmann.
Des sites frauduleux qui en profitent
Si les données ont été protégées, cela n'a pas empêché certains de créer des sites pour tromper les internautes et dégager un bénéfice financier autour de cette étude. En cherchant "Life2vec" sur Google, vous pouvez ainsi tomber sur un site avec un "chatbot" qui vous propose de répondre à quelques questions telles que "Allez-vous régulièrement chez le médecin ? Buvez-vous de l'alcool ? Fumez-vous ?" Après quelques secondes, un âge s'affiche, celui présumé de votre mort.
Mais cet outil en ligne s'avère trompeur. Si le site reprend le nom de Life2vec, "cette intelligence artificielle n'est pas reliée à notre étude, elle a été créée pour escroquer les internautes", assure Sune Lehmann. Le site, gratuit au départ, propose en effet rapidement de nombreuses options payantes pour affiner l'âge présumé de votre décès. "Malheureusement, l'humain est curieux et prêt à payer pour obtenir de telles informations, même si elles sont fausses", déplore le chercheur.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.