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Vrai ou faux Guerre entre Israël et le Hamas : l'armée israélienne a-t-elle utilisé du phosphore blanc sur Gaza ?

Article rédigé par Linh-Lan Dao - Nicolas Carvalho
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un panache de fumée provoqué par des munitions incendiaires tirées sur le port de Gaza, mercredi 11 octobre 2023. (MOHAMMED ABED / AFP)
Si l'usage du phosphore blanc est autorisé pour des objectifs militaires, il est "interdit en toutes circonstances" contre des populations civiles.

Après l'attaque sanglante du Hamas contre Israël, la contre-offensive. Depuis le début de sa riposte, l'armée israélienne a annoncé sur X (anciennement Twitter) avoir largué environ 6 000 bombes "sur des cibles du Hamas" situées dans la bande de Gaza. Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes accusent les forces israéliennes d'avoir employé du phosphore blanc, produit chimique incendiaire, lors de bombardements sur le port de Gaza survenus mercredi 11 octobre.

Le phosphore blanc est contenu dans des sous-munitions, elles-mêmes disposées dans un contenant appelé munition-cargo. Lorsque ce contenant explose, le phosphore s'enflamme au contact de l'oxygène. Ces armes à sous-munitions, dont une convention internationale interdit l'usage contre des civils, ont-elles été réellement utilisées ces derniers jours sur Gaza ? Franceinfo a analysé une dizaine d'images et interrogé plusieurs experts en explosifs, et est arrivé à la conclusion que ces allégations étaient vérifiées.

Un produit chimique dévastateur pour l'organisme

Une fois à l'air libre, le phosphore blanc "continue de brûler à 816°C jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien ou que la source d'oxygène soit coupée", rappelle l'ONG Human Rights Watch. Ses effets sur l'être humain sont délétères : le phosphore peut brûler, thermiquement et chimiquement, une personne jusqu'à l'os, ajoute l'organisation.

Hautement soluble dans la chair humaine, il peut exacerber les blessures, même après traitement, passer dans le sang et endommager les organes. "L'arme a le potentiel de causer des blessures particulièrement horribles et douloureuses, ou une mort lente et douloureuse", détaille la Croix-Rouge.

Sur cette vidéo, publiée mercredi 11 octobre, deux explosions se produisent au-dessus d'un immeuble blanc, près du port de Gaza. "Il s'agit d'un tir probable de sous-munitions, provenant d'une munition-cargo : roquette, obus ou projectile de mortier. On entend clairement les détonations de la charge de dispersion", analyse Gilles Denglos, ancien plongeur démineur de la Marine nationale et expert en explosifs de guerre, agréé par la justice française. "Les panaches de fumée font fortement penser à des sous-munitions incendiaires contenant généralement du phosphore."

Sur une autre vidéo de l'agence Reuters, filmée le même jour, une munition explose juste au-dessus des bateaux du port, tandis qu'un gros impact est visible un peu plus loin, dans l'eau. "Il s'agit certainement de l'enveloppe de la munition-cargo", juge Gilles Denglos.

Un usage détourné de son objectif militaire initial

Mohammed Abed, photographe de l'AFP basé à Gaza, a capturé de très près les bombardements du 11 octobre sur le port de la capitale palestinienne. Ses photos "montrent assez clairement que les munitions employées sont incendiaires, car les extrémités des fumées blanches sont incandescentes, observe Gilles Denglos. La fumée blanche aussi dense est très certainement liée à la combustion de phosphore."

Des panaches de fumée blanche dense provenant de sous-munitions incendiaires, après un bombardement israélien sur le port de Gaza, mercredi 11 octobre 2023. (MOHAMMED ABED / AFP)

Un constat également partagé par un autre expert agréé par la justice, contacté par franceinfo. "C'est effectivement du phosphore blanc, qui brûle au contact de l'oxygène de l'air", constate le militaire*, spécialisé dans la dépollution pyrotechnique. Sur les photos de l'AFP, l'arme à sous-munitions semble avoir été détournée de son usage initial, à savoir créer un rideau de fumée proche du sol, ou encore éclairer le champ de bataille. "Il y a eu le même type de détournement dans le conflit russo-ukrainien", illustre l'expert.

"Il n'y a aucune raison tactique et militaire pouvant justifier de l'usage de cette munition dans un environnement urbain. On pourrait suggérer que cette arme est juste utilisée à des fins de destruction et de terreur", estime Chris Cobb-Smith, expert en balistique et directeur du Chiron Resources, une société britannique de conseil en sécurité à destination des médias. Après avoir pris connaissance des contenus vérifiés par franceinfo, ce spécialiste confirme avoir reconnu du phosphore blanc.

"L'odeur était étouffante"

L'ONG Human Rights Watch a d'ailleurs dénoncé dans une publication l'usage de phosphore blanc sur le port de Gaza mercredi, ainsi que dans deux villages situés à la frontière entre le Liban et Israël. Selon deux témoins gazaouis, interrogés par l'ONG, l'attaque serait survenue entre 11h30 du matin et 13 heures. Ceux-ci "ont affirmé que l'odeur était étouffante", détaille l'ONG. "La personne qui était à son bureau a dit que l'odeur était tellement forte qu'elle est allée à sa fenêtre pour voir ce qui se passait, puis a filmé la frappe"

Dans une vidéo partagée sur X et vérifiée par franceinfo, des clients du Roots Hotel, situé en face du port, se montrent incommodés par la fumée. "Ce pourrait être effectivement lié à la combustion du phosphore, dont les fumées sont particulièrement irritantes", observe Gilles Denglos.

Un usage interdit sur les civils

Les bombes au phosphore blanc ne sont pas totalement interdites par les traités internationaux. Considérées comme des armes incendiaires, ces armes sont régulées par le protocole III de la Convention sur certaines armes classiques de décembre 1983. Si leur usage est autorisé pour des objectifs militaires, celui-ci est "interdit en toutes circonstances" contre des populations civiles, et même contre des cibles militaires proches de civils. En 2009, Israël avait d'ailleurs  admis s'en être servi lors d'une offensive visant le Hamas dans la bande de Gaza, mais pas à l'intérieur de zones d'habitation.

Le protocole international autorise en outre l'usage du phosphore blanc pour ses propriétés fumigènes ou bien éclairantes. Des exceptions qui constituent des "lacunes majeures" aux yeux de Human Rights Watch.

L'usage en plein jour de ces bombes sur le port de Gaza, une zone résidentielle, pose donc question. "Les obus à phosphore blanc sont tirés avec une fusée à explosion, ce qui garantit la répartition des fragments de phosphore blanc sur une vaste zone. Cela implique qu'ils sont utilisés comme une arme de zone, et qu'ils ne sont pas dirigés contre une cible spécifique. Il existe donc une probabilité de dommages collatéraux", relève Chris Cobb-Smith. Il est donc très probable que l'armée israélienne ait mis en danger des populations civiles en utilisant du phosphore blanc à Gaza mercredi.

Selon Human Rights Watch, Tsahal s'était pourtant engagé en 2013 à ne plus en faire l'usage dans des zones peuplées, sauf dans deux cas exceptionnels qui n'ont pas été exposés au grand public. Cette promesse répondait à une requête déposée devant la Haute Cour de Justice d'Israël. Tsahal a ensuite déclaré développer de nouveaux obus fumigènes, sans phosphore blanc, se réservant le droit de s'en servir jusqu'à disposer d'alternatives suffisantes.

Contacté par franceinfo, l'armée israélienne assure qu'elle "utilise ses munitions conformément au droit international". Les forces de défense israéliennes ajoutent que "les versions communes de munitions fumigènes, dont celles habituellement utilisées par l'armée israélienne, ne contiennent pas de phosphore blanc". Elles font valoir que "conclure que des munitions fumigènes contiennent du phosphore sur des seules preuves photographiques n'est pas fiable" et soulignent que "même les munitions fumigènes contenant du phosphore blanc ne sont pas illégales, et plusieurs armées occidentales en font l'usage".

* L'expert contacté par franceinfo, tenu par un devoir de réserve, a souhaité garder l'anonymat


Cet article a été mis à jour après sa publication, samedi 14 octobre, pour ajouter la réponse de l'armée israélienne aux questions de franceinfo.

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