Vrai ou faux Steak et beurre, fruits crus, jeûne prolongé... On a soumis ces régimes extrêmes promus sur TikTok à des nutritionnistes et diététiciennes
A l'approche de l'été, les régimes pour perdre du poids inondent les réseaux sociaux. "Moi, j'ai 60 ans, quand j'ouvre ma boite mail, je trouve des pubs pour des crèmes antirides. Mes jeunes patientes, qui sont toutes sur TikTok, tombent sans même le chercher sur du contenu qui glorifie la minceur, les régimes, résume Corinne Godenir, médecin nutritionniste dans les Alpes-Maritimes. C'est terrible pour leur estime de soi et leur rétablissement."
Sur TikTok, des influenceurs vantent, à coups de photos "avant-après" invérifiables et de discours pseudoscientifiques, l'efficacité de régimes extrêmes, du jeûne le plus strict aux bonbons aux pouvoirs quasi magiques. Un véritable piège pour les utilisateurs de la plateforme, principalement des jeunes femmes, mais aussi des jeunes hommes.
Le régime "steak-beurre"
De la viande rouge en quantité et des plaquettes de beurre. "Un régime hyperprotéiné et très gras", traduit Nina Cohen Koubi, médecin nutritionniste à Paris. Ce serait pourtant la base de l'alimentation de l'influenceuse Itscourtneyluna. Sur Tiktok, où elle cumule 2,4 millions de "j'aime" pour plusieurs centaines de vidéos, l'Américaine filme ses paniers de courses et ses habitudes alimentaires. On peut la voir cuire des steaks de viande rouge (dans du beurre), partager des recettes de "biscuits carnivores" (au beurre) ou encore préparer des gâteaux à base d'œufs et de crème. "Et pas un jour sans grignoter un morceau de beurre", dit-elle, en mordant dans une plaquette. Elle prétend avoir ainsi perdu 40 livres (18 kilos).
Pour Katell Magoarou Guerin, diététicienne dans le Finistère, un tel régime "créé des carences". Elle pointe "un manque de fibres, de glucides, de vitamine C", et prévient du risque de développer une "très mauvaise haleine". Mais pour ses adeptes, cette diète fait fondre la masse graisseuse, grâce à la cétose. "On fait tourner le corps à l'envers : on coupe les apports de glucides au corps, qui doit aller puiser son énergie dans la dégradation des lipides", développe Corinne Godenir. Mais "quand on arrête, il y a un effet rebond".
A long terme, ce régime expose à des problèmes de santé néfastes. "L'aspect hyperprotéiné peut avoir un effet coupe-faim, mais en contrepartie, on va avoir une acidification de l'organisme, un surmenage des reins et une altération du microbiote", c'est-à-dire l'ensemble des micro-organismes qui peuplent le système digestif, explique Nina Cohen Koubi. "Notre microbiote assure la bonne défense immunitaire, le bien-être physique et la santé psychique", détaille-t-elle.
La nutritionniste parisienne rappelle par ailleurs que "la consommation en excès de viande rouge expose à des risques de cancer du côlon". Sans oublier que ce régime est probablement le pire pour la santé de la planète : la viande rouge est un des aliments dont la production émet le plus de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique.
Le régime à base de fruits crus
A l'exact opposé des carnivores, le tiktokeur new-yorkais Tribebynoire se présente comme coach fitness et nutritionniste spécialiste de l'alimentation végane crudivore, où prédominent les fruits crus, ainsi que les légumes-feuilles, les noix et les graines. Ses vidéos sont à chaque fois regardées par plusieurs milliers de personnes. La plus virale, qui explique sa diète, cumule plus de 3 millions de vues. Sur le réseau social, il se met en scène, torse nu ou pectoraux soulignés par des vêtements moulants, lors de ses exercices de musculation ou en train d'engloutir lentement de grands bols de fruits.
Ici, les glucides ne sont pas bannis, au contraire, l'influenceur vante leur capacité à "augmenter le niveau de sensibilité à l'insuline", ce qui permettrait selon lui d'éviter le stockage des graisses. Selon Tribebynoire, ce régime possèderait des propriétés "hydratantes et oxygénantes" facilitant la perte de poids.
A première vue, ce régime promet une alimentation 100% naturelle, 100% saine. "On a des fibres, mais on manque cruellement de protéines qui permettent d'éviter la fonte musculaire", rappelle pourtant Nina Cohen Koubi. De plus, "ces régimes avec une obsession d'un aliment ou des calories peuvent provoquer des troubles du comportement alimentaire : de l'hyperphagie, des pulsions alimentaires", prévient la médecin nutritionniste. "Il n'y a pas d'aliment parfait à lui seul. Il faut trouver un bon équilibre, pas trop de protéines, mais un peu quand même", abonde Corinne Godenir. "Reprenons un peu de bon sens. Manger des fruits, c'est très bien, mais ce n'est pas suffisant. Avec un régime comme ça, on perd ses cheveux, on perd ses muscles", ajoute-t-elle.
Le jeûne prolongé
Vous voulez perdre du poids ? Arrêtez de manger. Voilà en substance ce que propose l'influenceuse australienne Kristine Crouch, qui se présente comme une coach santé (avec des séances de 15 minutes facturées 111 dollars chacune). Dans une de ses vidéos les plus virales, 1,4 million de vues, cette adepte du jeûne sous toutes ses formes prétend avoir perdu 20 kilos en 25 jours en ne consommant que de l'eau. Un chiffre que l'influenceuse a par la suite revu à la baisse, à 9 kilos.
"C'est une grève de la faim de plus de trois semaines, vous voyez l'état dans lequel sont les personnes qui font cela ? Ça ne peut pas être positif pour votre santé. Vous perdez vos muscles, votre cerveau se met à délirer, etc.", s'alarme Corinne Godenir. "Avec ces régimes, on est en train de créer de nouvelles dénutritions, alors qu'on est dans des pays d'abondance alimentaire", se désole la nutritionniste. La diététicienne Katell Magoarou Guerin pointe aussi les ravages d'un tel régime. "Le corps a besoin de carburant. Est-ce que c'est prendre soin de soi, de sa santé physique, mentale et sociale que de s'affamer ? Non !"
"Le régime restrictif, c'est une tentative de reprendre le contrôle sur le corps qui échoue dans les trois quarts des cas. Pour stabiliser son poids d'équilibre, il faut revenir aux besoins du corps, aller vers une régulation naturelle du comportement alimentaire", ajoute Katell Magoarou Guerin. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail rappelle que 80% des personnes qui suivent un régime amaigrissant restrictif reprennent le poids perdu dans l'année et s'exposent à des risques : perte de masse osseuse et musculaire, risques rénaux et cardiaques, dépression et perte de l'estime de soi.
Même le jeûne de quelques jours est déconseillé. "Il peut être intéressant lorsque le corps est malade, pour laisser le temps à l'organisme de se soigner. En dehors de ce cas, je ne recommande pas le jeûne. Cette perte de poids ne sera pas stable. Il faut écouter sa faim pour une bonne santé mentale et du corps", conclut Nina Cohen Koubi.
Les bonbons au morosil
C'est le produit du moment : le bonbon au morosil. Sur TikTok, de nombreuses influenceuses font la promesse forcément alléchante de ces friandises "brûle graisse", à base d'extrait d'orange sanguine et de vinaigre de cidre, qui permettraient de perdre du poids sans changer d'habitudes alimentaires ni pratiquer d'activité physique. Magique. Avec des pots de 60 bonbons vendus entre 36 et 50 euros, et 3 à 6 bonbons consommés chaque jour, ces produits ont de quoi faire saliver les Tiktokeuses qui commandent des flacons par dizaines pour les revendre à l'unité à leurs abonnées, avec une belle marge au passage. "Le fat-business [business du gras], ce sont plusieurs milliards d'euros dans le monde. De l'argent qui se fait sur le dos des personnes, surtout des femmes, qui sont en insécurité sur leur poids", déplore Katell Magoarou Guerin.
Pourtant, malgré les exemples de transformation physique mis en avant sur TikTok, dans des photos et vidéos "avant-après" dont la véracité est impossible à vérifier, l'efficacité prêtée au morosil reste à démontrer. Une étude publiée en 2022 (en anglais) admet qu'il peut "apporter une contribution de façon significative", mais seulement "comme une stratégie complémentaire à un programme de gestion du poids" qui inclut l'exercice physique et une alimentation saine. Mais lorsque les adeptes et les fabricants assurent qu'il permet de faire "fondre la graisse abdominale", Corinne Godenir répond sans détours : "C'est absurde, on ne peut pas choisir là où on perd du gras."
"Un bonbon ? On se demande quel est le public visé...", souffle Katell Magoarou Guerin. Il suffit de s'intéresser aux profils qui relaient le hashtag #morosil : des adolescentes, des jeunes femmes mais aussi des jeunes mères pressées de perdre les kilos pris pendant leur récente grossesse. Nina Cohen Koubi s'en inquiète : "En post-partum, on ne doit pas perdre du poids trop rapidement, le corps a déjà été mis à rude épreuve. On doit le laisser reprendre ses marques !"
De manière générale, les professionnelles de santé interrogées s'accordent sur le fait que la première question que devraient se poser les personnes qui cherchent à perdre du poids n'est pas "comment ?" mais "pourquoi ?". "Il faut prendre conscience de ce qu'on veut pour soi-même, pas au travers du regard d'autrui", explique Nina Cohen Koubi. "Cette survalorisation de la minceur crée une peur du rejet si on n'a pas un corps normé, c'est-à-dire mince. Alors qu'on peut avoir un poids d'équilibre naturellement en surpoids", conclut Katell Magoarou Guerin.
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