Vrai ou faux Comment la propagation de la désinformation s'est accélérée en France au cours des dernières années
La contagion de la désinformation progresse dans l'opinion publique. Les journalistes de "Vrai ou fake", l'émission de fact-checking de franceinfo, l'observent au quotidien. Chaque actualité s'accompagne de son lot de fake news. En France, un écosystème s'est développé au cours des dernières années, qui a accéléré et intensifié la propagation des fausses informations et des thèses conspirationnistes.
Les infox ne sont pas nouvelles. Qui n'est jamais tombé, au hasard de sa navigation sur Facebook ou YouTube, sur une énième vidéo démontrant une pseudo-vérité alternative sur les attentats du 11 septembre 2001 ? Les réseaux sociaux sont le lieu idéal pour la diffusion des fausses informations.
Des algorithmes accélérateurs d'intox
Les fact-chekers de franceinfo l'ont constaté au cours du mouvement des "gilets jaunes" apparu fin 2018. Au-delà des revendications sociales, des intox se sont propagées, entre autres par l'intermédiaire des groupes Facebook. "C'est un des premiers mouvements où on a senti que les fake news ressortaient énormément, se remémore Julien Pain, rédacteur en chef de l'émission "Vrai ou fake". C'était un mouvement qui réunissait des gens qui n'avaient pas du tout confiance dans les journalistes. Ils avaient donc leurs propres canaux d'informations, notamment sur Facebook. Et là, c'était forcément très facile pour la désinformation de circuler, puisqu'il n'y avait plus aucun filtre."
Durant la pandémie de Covid-19, c'est aussi sur les réseaux sociaux que prospèrent les intox. "On sait que les algorithmes [des réseaux sociaux] cherchent à optimiser ce qu'on appelle l'engagement, c'est-à-dire le nombre de clics, de partages, de likes, etc. Par ailleurs, les contenus qui provoquent le plus d'engagement sont les contenus de type anxiogène, négatifs. C'est ce qu'on appelle le biais de négativité", explique David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS qui étudie la désinformation en ligne et auteur de Toxic data, comment les réseaux manipulent nos opinions.
Politiques et médias alimentent la défiance
Le film Hold Up, concentré de contre-vérités sur le Covid-19, cumule des millions de vues et de partages sur Facebook, Twitter ou YouTube, puis sur des plateformes alternatives. Il est également repris par une partie de la classe politique, "l'extrême droite alternative", souligne David Chavalarias, citant par exemple "Nicolas Dupont-Aignan ou Florian Philippot". Ces derniers ont aussi pu tirer profit des tâtonnements du gouvernement, notamment sur le port du masque, un temps déclaré inutile, avant de devenir obligatoire, puis recommandé dans certains lieux. "La question des masques a nourri l'idée qu'il y a quelque chose de pas clair, qu'on cache la vérité aux Françaises et aux Français", analyse le politologue Bruno Cautrès.
Durant la pandémie, la désinformation s'est aussi nourrie du sentiment de cacophonie qui a pu émerger des médias. Les questions sur ce nouveau coronavirus sont alors nombreuses, et les scientifiques qui le découvrent n'ont pas toutes les réponses. "La connaissance scientifique se construit sur la base d'informations robustes validées, et ça prend du temps. On ne peut pas demander à un scientifique de se projeter avec un jeu de données qui est trop faible", rappelle Bruno Lina, virologue et membre du Conseil scientifique sur le Covid-19. "Les experts venaient dans les médias, et on insistait pour avoir des réponses claires et précises, alors qu'ils n'en avaient pas. C'est la principale erreur qu'on ait faite en tant que journalistes", témoigne Julien Pain.
Des figures de la désinformation imposent leur récit
Cette absence de certitudes et cette gouvernance à géométrie variable ont creusé une brèche dans laquelle se sont faufilés des individus de tous horizons, qui sont devenus des figures de cette désinformation. Le médecin Christian Perronne, chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), démis de ses fonctions en décembre 2020 pour ses propos douteux sur le Covid-19, entretient par exemple la thèse d'une pandémie sciemment organisée. Alexandra Henrion-Caude, ancienne chercheuse à l'Inserm, affirme, à rebours du consensus scientifique, que les vaccins à ARN élaborés contre le Sars-CoV-2 sont dangereux pour notre ADN.
Certains profils sont plus étonnants. L'ancien journaliste Richard Boutry est, lui aussi, coutumier des fake news sur le virus, les vaccins ou les gestes barrières, dans des vidéos postées sur les réseaux sociaux. Tout comme le chanteur Francis Lalanne, devenu le chantre de la lutte contre le pass sanitaire. France-Soir, ancien titre de presse de renom, racheté par l'homme d'affaires Xavier Azalbert, se fait le relais inconditionnel de ces élucubrations.
Une communauté visible dans la rue et dans les médias
Les récits de ces figures de la désinformation ne se limitent pas à la sphère numérique. A l'instar des avocats Fabrice Di Vizio et Carlo Alberto Brusa, influents sur les réseaux sociaux, ils entraînent leurs partisans sur le pavé dans des manifestations contre le pass sanitaire ou la vaccination contre le Covid-19. Et malgré leurs intox régulières, ces porte-étendards flirtant avec le complotisme sont invités dans des médias grand public, comme au micro d'André Bercoff sur Sud Radio, ou sur le plateau de "Touche pas à mon poste", l'émission de Cyril Hanouna sur C8.
Le multidiplômé Idriss Aberkane, fervent opposant aux mesures sanitaires, est désormais le relais des théories les plus folles, quelle que soit l'actualité. Après le séisme en Turquie qui a fait plus de 50 000 morts, il défend sur YouTube la théorie d'une secousse provoquée artificiellement. Un discours qui séduit : 700 000 personnes sont abonnées à sa chaîne.
Des antivaccins devenus prorusses
Une partie de cette sphère de désinformation se retrouve désormais sur un autre sujet : la guerre en Ukraine. David Chavalarias l'a constaté, en étudiant les échanges sur Twitter à partir de février 2022, date du début de l'invasion russe en Ukraine. "Parmi ceux qui ont partagé des éléments de langage de la propagande du Kremlin – les intox sur les 'biolabs', sur les néonazis ukrainiens, etc. –, on retrouve exactement le même écosystème informationnel que pour la pandémie de Covid-19, à savoir François Asselineau, Florian Philippot, Dupont-Aignan", expose-t-il.
Des figures de la désinformation qui ont émergé avec le Covid-19 partagent donc désormais le discours de propagande du pouvoir russe sur la guerre en Ukraine. A l'instar de l'ex-journaliste Richard Boutry, jadis figure de proue des antivax. Un nouvel exemple illustrant que la désinformation est devenue un point de ralliement de diverses communautés. Que ce soit par idéologie, posture "antisystème" ou opportunisme médiatique et politique.
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