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Vendée Globe : sa Majesté Jean Le Cam paré pour l'aventure

Le Roi Jean, comme on le surnomme dans le monde des marins, va reprendre une dose de Vendée Globe. Il co-détiendra avec le Gallois Alex Thomson, le record de cinq participations à cette mythique épreuve. Jean Le Cam est ce qu’on appelle communément une « gueule » de la course au large. En plein travail, il sera prêt pour le départ du 8 novembre prochain...
Article rédigé par Eric Cintas
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 14min
 

Le chantier Mer Vent est en pleine effervescence, en fait rien ne s’est vraiment arrêté à Port-La Forêt lors du confinement. Il y a deux bateaux à l’intérieur, le "Yes We Cam" de Jean Le Cam et le Groupe Apicil de Damien Seguin. Une cohabitation inhabituelle dans le monde de la voile entre deux futurs challengers sur l’eau : "Ici pas de secrets, on se dit tout et on partage" affirme Jean. "Ce sont deux projets distincts qui partagent leurs compétences, leurs informations, les mêmes bureaux, le même hangar avec une mise en commun des moyens disponibles. Damien a prouvé qu’il était hyper performant, on s’entend bien, c’est toujours agréable dans une cohabitation".

"Jean parle peu mais vrai, il faut savoir l’écouter car c’est un expert technique remarquable" Damien Seguin

Damien Seguin, sur les conseils de Michel Desjoyeaux, a fait appel à Jean pour le choix et l’achat de son Imoca 60 pieds en vue du Vendée, l’ancien "Comme un seul homme" d’Éric Bellion. Depuis 2018 les deux bateaux et les deux marins cohabitent avec leurs équipes respectives et Jean est devenu un peu le mentor de Damien, néophyte en matière de Vendée Globe.

 

"Quand je navigue avec Jean, je suis une vraie éponge, il parle peu mais vrai et il faut savoir écouter le bon conseil qui fera peut-être la différence un jour" nous dit Damien. "Il a une connaissance parfaite de ce genre de bateau, pour moi c’est un gain de temps énorme. Ces jours ensemble m’ont ouvert les yeux sur de nombreux points car Jean ce n’est pas que le marin d’expérience, mais aussi un vrai expert technique". Jean Le Cam s’est surtout occupé du composite, c’est une de ses spécialités et un matériau qu’il maîtrise bien. Avec son équipe, il a effectué des transformations importantes sur le bateau de Damien, notamment le changement total du rouf : "Les choses se font naturellement entre lui et moi, on apprend de l’un et de l’autre. Et on essaie de faire monter le niveau de chacun. Damien a un vécu olympique très intéressant" constate Jean Le Cam. "Certes oui, nous sommes rivaux. En plus, il va remettre son bateau à l’eau avant nous, fin mai, mais ce n’est pas un pas un problème pour nous. On continue à bosser".  Pour transmettre son savoir, Jean Le Cam aime mettre les mains dedans. Il mène de front le gros chantier du bateau de Damien tout en continuant à travailler sur Hubert, son propre bateau.

Au travail encore deux mois

Sans doute titillé par le bateau de Damien qui allait plus vite que le sien sur la Transat Jacques Vabre, Jean a décidé une bonne fois pour toutes d’accélérer le rythme concernant son bateau également. Le chantier est important, mais le skipper est serein : "Sur le bateau, on fait le même travail que sur Apicil, il y a un an. On fait des modifications à l’intérieur. On optimise avec les moyens qu’on a, on a changé les ballasts, on a déplacé le moteur, changé quelques structures, on va refaire la casquette du rouf. Je suis tranquille où je suis en ce moment. On est quand même au taquet tous les jours, mais je suis à ma main et je maîtrise". L’Imoca "Yes We Cam" sera remis à l’eau début juillet, Jean Le Cam n’aura pas besoin de faire la course de qualification donc dès qu’il le pourra, il naviguera.

 

Le bateau de Jean a écrit une vraie et belle histoire sur le Vendée Globe. C’est un plan Farr de 2007, celui avec lequel Michel Desjoyeaux a écœuré la concurrence lors de sa deuxième victoire en 2009. En 2012, Jérémie Beyou le récupère mais ne il ne termine pas le Vendée. Pour Jean, ce sera son troisième tour du monde sur ce bateau. En effet, il a fini sixième de la dernière édition du Vendée, il avait auparavant remporté la Barcelona World Race avec Bernard Stamm en coéquipier. Au-delà des différents noms de ses sponsors, lorsqu’il l’a racheté, Jean a baptisé le monocoque du nom de Hubert.  Michel Desjoyeaux le double vainqueur du Vendée Globe, sur le chantier voisin à Port-la-Forêt, explique : "Le bateau porte le nom de mon frère Hubert qui est mort il y a neuf ans, ce mardi 12 mai jour pour jour. Hubert a beaucoup navigué avec Jean, c’était un peu son homme de l’ombre mais ils étaient aussi très complices et ont fait les 400 coups ensemble, il est même devenu son beau-frère, en épousant Monique la deuxième sœur de Jean. Ils avaient le même âge. Jean repart à 61 ans. C’est son choix, il a ça dans la peau".

L’appel du Vendée 

Pour la cinquième fois, Jean Le Cam va donc participer à cette grande circumnavigation. Il n’en démord pas, cette course l’attire toujours. L’air de ne pas y toucher, il n’a jamais quitté le devant de la scène tout en vivant tranquille dans le Finistère : "J’ai eu ma période Figaro avec trois victoires en 1994, 1996 et 1999. Ma période multicoques sur les Orma 60 pieds de 2000 à 2003. Depuis 2004, je suis dans ma période Vendée. Et franchement, ça me plaît toujours c’est une belle aventure humaine mais aussi une préparation technique. C’est à chaque fois différent et c’est ça qui me plaît" confie-t-il.

"Ce n’est surtout pas une aventure en solitaire, c’est un travail d’équipe, c’est deux ans a minima de préparation et trois mois de course. Et moi j’aime surtout préparer les bateaux" -  Jean Le Cam 

Avec quel objectif ? Jean Le Cam ne pourra pas rivaliser avec les bateaux dernière génération mais le but est de courir ce Vendée d’une autre façon, avec les bateaux à dérives droites et dans un autre "classement". "Yes We Cam" devra faire face à Groupe Apicil de Damien Seguin, mais aussi Banque Populaire de Clarisse Cremer et V&B de Maxime Sorel, pour ne citer que ses principaux rivaux. "Yes We Cam" n’a pas de foil, mais son skipper n’élude pas le sujet. "Le foil, c’est le futur mais ne va-t-on trop vite et trop loin ? Ça demande beaucoup de temps, de préparation et d’expérience. Nous sommes assez sereins dans notre catégorie sans foil. Lors de la dernière édition, les trois premiers bateaux en étaient équipés, pourtant les gars n’ont pas utilisé leur foil tout le temps, loin de là. On verra bien ce qui va se passer". Le fin observateur des nouvelles technologies qu’il est, rajoute qu’il aimerait voir ça de plus près : "En attendant, puisque je n’ai pas de foil, si Nicolas Troussel, qui vient de remettre à l’eau son beau Corum, veut bien m’inviter, j’irai bien faire un tour avec lui !" L’invitation est lancée.

 

Quand on aborde avec lui le livre des souvenirs, le ton change et devient plus délié. Jean Le Cam adore raconter des histoires de mer, il en a tellement. On passerait des heures à les évoquer avec lui. C’est clair, il ne parle pas pour faire de la communication, il est plutôt pragmatique. "Je laisse cela aux autres" précise-t-il. Mais quand il a quelque chose à dire il le dit, avec son verbe haut. "Aux arrivées des Solitaires du Figaro, on le disait taiseux, mais tout le monde s’éclatait en l’écoutant parler. Il est très intègre. Il ne supporte pas le mensonge, c’est viscéral, c’est un produit de l’imagination. Lui, il est incapable de broder. Il va être vrai, cash, c’est sa manière d’être" nous confie sa femme Anne, qui est aussi son attachée de presse. Lors du dernier Vendée, on a encore en mémoire ces mots sortis spontanément de la vidéo de Jean quand Armel Le Cleac’h a battu sur le fil Alex Thomson. Du Le Cam dans le texte : "Mon petit Armel, bravo, tu as quand même défendu l'honneur de la France. On a perdu Trafalgar mais on a gagné le Vendée Globe. Bravo Armel !"

Quand on insiste un peu sur le Vendée, pas de surprise, le double-souvenir est forcément lié à Vincent Riou : "Toutes les arrivées sont magiques c’est sûr. En 2004, j’arrive deuxième derrière Vincent en 2004 avec mon bateau jaune (ndlr : Bonduelle). En 2008, c’est lui qui me repêche. À 200 miles du cap Horn, j’avais perdu mon bulbe et mon bateau avait chaviré, je suis resté dix-neuf heures à l’envers". Vincent Riou sur PRB recueille donc Jean Le Cam : "Mais ça aurait très bien pu être Armel, ça s‘est fait comme ça" précise Jean. Avec les deux hommes à bord, PRB démâtera en rentrant sur Ushuaïa. Vincent Riou sera reclassé. Les deux compères sont rentrés en France en avion, une drôle d’arrivée pour deux navigateurs, à laquelle est lié son pire souvenir du Vendée : "Chavirer dans une eau à cinq ou six degrés, ce n’est pas terrible" rajoutera le Roi Jean.

"Je sors du bateau et je n’ai pas de visuel sur ce qui m’entoure, mais j’entends des bruits, des machins et là je vois en sortant qu’il y a deux bateaux autour de moi, c’est un sacré réconfort quand même !" -  Jean Le Cam 

Jean Le Cam n’a pas bouclé son budget Vendée 2020, il cherche encore des partenaires mais il prendra le départ c’est certain. Il avoue ne pas être très bon sur le terrain des finances. Heureusement l’idée de génie est arrivée de Saint Malo, cité de la Route du Rhum. Lors du dernier Vendée Globe, Marc Guyot, un copain malouin de Jean, avait trouvé le slogan "Yes We Cam" et fait un tee-shirt en remplaçant la tête d’Obama par celle de Le Cam : "J’ai trouvé ça rigolo, même génial. Pour les partenaires qui nous ont rejoints ou qui vont nous rejoindre, c’est impeccable, "Yes We Cam", c’est un truc positif qui ne fait d’ombre à personne".

Une période si particulière

Face à cette nouvelle génération de marins, dotés de plus gros budgets que lui, le doyen de la course ne s’alarme pas outre mesure. Ce rajeunissement du Vendée, il estime que c’est un bien pour la voile. En effet, le Roi Jean, on vous l’a dit plus haut, aime transmettre ce qu’il vit.  Son prochain Vendée Globe va être suivi de près par l’école du Donjon à Pouzauges en Vendée. Les gamins ont eu un coup de cœur pour les peluches que Jean embarque à bord et notamment pour le manchot prénommé Ushu. Son aventure est partagée par les enfants avec les adultes de l’école, apportant à chacun des rêves d’océans du bout du monde.  Mais la période reste particulière pour ses proches. Le mari ou le papa, s’effacent devant le marin dès que le Vendée se profile. Il ne pense alors plus que bateau.

"Jean est dans son bazar, à la maison c’est difficile de parler d’autre chose" - Anne Le Cam 

 

Pas de bouquins, pas de musique ou très peu à bord. Jean Le Cam aime partager à la vidéo les histoires qu’il a vécues. "Quand une situation l’intéresse, amusante ou empreinte d’émotions, sa manière à lui de la partager, c’est la vidéo. C’est son mode d’expression. Il n’aime pas écrire, ni lire, à part ses notices techniques" nous confie Anne Le Cam depuis le bureau de Port-la-Forêt. Même si on apprend qu’il est un fin gourmet : "Un de mes partenaires Antoine Boucher (Bon Bag) m’avait préparé des ris de veaux et une belle fricassée de volailles pour Noël et le jour de l‘An lors du dernier Vendée Globe sur mon Hubert, qui s’appelait alors Finistère Mer-Vent".

Vendée Globe, Hubert, Finistère, Mer, Vent… Des mots et des noms symbolisant l’attachement d’un homme à sa région, à la nature, à un proche et à une course dont il espère que le départ aura bien lieu ce 8 novembre : "Sans public, je ne sais pas, c’est peut-être un peu compliqué. Nous sommes les acteurs, pas les décideurs. Je n’ai aucun point de vue là-dessus. On verra" conclut le Roi Jean.

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