Concilier vie professionnelle et participation à un Vendée Globe virtuel, est-ce vraiment la mer à boire ?
Ils sont vétérinaire, routier, ouvrier ou recruteur pour un club de foot. Et ils essaient de gérer un bateau dans le jeu "Virtual Regatta".


"Alerte, les vents ont changé !" Un petit tour sur le hashtag #virtualregatta sur Twitter, et vous trouverez des messages de ce type. Parce que si les meilleurs skippers sur canapé n'hésitent pas à rogner méchamment sur leur temps de sommeil pour fuir le Pot au Noir et les quarantièmes rugissants, d'autres vivent leur passion de la course tout en gardant une vie à peu près normale. Et certaines professions se concilient moins bien que d'autres avec un hobby de navigateur solitaire sur écran pendant les 80 jours (minimums) que dure le Vendée Globe.
Le jeu Virtual Regatta, qui propose de simuler le Vendée Globe sur votre ordinateur ou votre smartphone, revendique 350 000 adeptes, partis le 6 novembre des Sables-d'Olonne à la poursuite d'Armel Le Cléac'h et Jean-Pierre Dick. Si l'on se fie aux statistiques des années précédentes, moins de la moitié finiront la course. Une infime minorité refusera de rallier l'arrivée pour prolonger le plaisir. Mais d'autres, happés par les aléas de la vie professionnelle, verront leur motivation couler à pic.
Naviguer contre vents et 3G
Simon, la vingtaine, vétérinaire en milieu rural, ne décolère pas d'avoir laissé son bateau s'échouer le long des côtes portugaises pendant une nuit de garde : "J'étais de garde lundi, et entre 14 heures et minuit, je n'ai pas pu suivre mon bateau !" Ce Bourguignon souffre d'un autre handicap rédhibitoire : "Je suis souvent en déplacement, donc je m'arrête au bord de la route pour me connecter à l'appli sur mon téléphone. Enfin, quand j'ai du réseau..."
Gourmand en bande passante, le jeu est aussi très exigeant avec les apprentis navigateurs. "Il y a quatre ans, les vents étaient mis à jour toutes les douze heures. Maintenant, c'est en temps réel", peste notre vétérinaire, qui, aux dernières nouvelles, a repris sa route vers les Açores. Sur le papier, l'intention des concepteurs du jeu était louable : mettre sur un pied d'égalité les plaisanciers du dimanche et ceux qui se connectent à un routeur météo chaque matin.
A la dérive 8 heures par jour
Yannick doit, lui, composer avec le fait de ne pas avoir son téléphone sur lui au boulot. Cet opérateur machine dans une usine classée comme "site dangereux" dans la région de Nantes doit laisser son bateau sans surveillance pendant les huit heures où il travaille.
"Je programme le cap pendant douze heures au moment où je pars au travail, raconte celui qui a fini autour de la 75 000e place (sur 200 000 concurrents à l'arrivée) lors de l'édition précédente. En général, ça passe, même si ça m'est déjà arrivé de m'échouer lors d'une autre course."
Forcément, avec du temps de réglage en moins, Yannick, qui vérifie son bateau à la maison "toutes les heures", s'est fixé des objectifs plus limités. Loin de certains acharnés qui ont dégoté un binôme expatrié au Japon ou en Australie pour pouvoir dormir un peu.
S'arrêter en route pour courir les mers
C'est le lot de ceux qui ne peuvent pas conserver discrètement un onglet Virtual Regatta sur leur ordinateur au bureau. Le bureau de Geoffroy, c'est la cabine de son poids lourd. Ce routier bordelais garde un œil sur son bateau lors de ses pauses, ce qui lui vaut des taquineries de la part de ses collègues : "Ils se moquent de moi quand je dis le plus naturellement du monde 'faut que j'aille voir mon bateau' alors qu'on boit le café dans un relais routier perdu au fin fond du Gers..."
L'appli mobile a changé la vie de celui qui a fini 32 000e en 2012 et qui utilisait son forfait de données mobiles pour éviter que son bateau ne prenne le large. "A l'époque, on ne pouvait pas surfer à l'étranger comme aujourd'hui, et un jour où j'étais en Allemagne, j'ai appelé ma femme, qui n'y comprend rien, pour qu'elle fasse un changement de cap hyper-important en lui dictant mes consignes par téléphone, explique-t-il. Je l'ai rappelée peu après pour m'assurer que le bateau allait bien dans la bonne direction." Car une dégringolade au classement est vite arrivée.
J ai forcé sur le ricard en mer cette nuit ! 62.000 places de perdues @VirtualRegatta t
— Matthieu Bideau (@MatthieuBideau) 8 novembre 2016
Lundi soir, Mathieu Bideau, recruteur du FC Nantes, occupait un enviable 293e rang. Mardi matin, au réveil, il avait dégringolé de 62 000 places. Depuis, la chute s'accélère, sans que cela n'affecte outre-mesure ce natif du Finistère, adepte des régates en famille. "Je ne suis pas un acharné, mon objectif, c'est de finir, s'amuse-t-il. En 2012, je n'étais pas allé au bout. Je m'étais échoué quatre ou cinq fois, j'avais perdu le fil, petit à petit."
Celui qui passe trois à quatre jours par semaine sur les routes pour superviser de jeunes talents n'a même pas de smartphone digne de ce nom pour changer de voile en profitant d'une mi-temps. Il lui faut donc un ordinateur pour vérifier son cap, chaque matin et chaque soir. Quand le ballon rond ne s'ingénie pas à l'éloigner de la grande bleue. "Lors de la dernière édition, j'avais déjà oublié mon bateau une dizaine de fois... Là, début décembre, je dois me rendre une dizaine de jours en Afrique. Je ne suis pas sûr d'avoir une connexion internet chaque jour. Il va falloir que je m'organise."
Même le vainqueur 2012 n'arrive plus à suivre
De son propre aveu, Lilian Launay, un agent immobilier de la région parisienne, a "touché le Graal" en 2012, avec la victoire sur le Vendée Globe virtuel. Son secret : se lever tous les jours à 5h30 pour travailler son routage avant le changement de vent qui intervenait à 8 heures, puis à 20 heures. Et ce, pendant les presque trois mois que dure la course. "Je ne vous cache pas que j'étais assez fatigué à l'arrivée. Pas comme un vrai skipper, bien sûr. Mais quand même..."
Nouvelle formule pour l'édition 2016, avec des vents remis à jour toutes les dix minutes. "Dans l'absolu, il faudrait être devant son écran 24h/24. Ou alors être deux ou trois à se relayer pour gérer un bateau. Moi je l'ai toujours fait dans les règles de l'art : en solitaire, et sans assistance !" Cette fois, Lilian a décidé de jouer plus en dilettante. On lui demande son classement : "J'étais dans les 200 premiers, mais là j'ai tenté un décalage qui m'a éloigné au classement général. Ce n'est pas encore très représentatif. Mais je ne me sens pas trop mal placé." Chassez le compétiteur, il revient quand même au galop.
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