L'oeil de François Gabart - le Cabo Frio : "les écarts entre les marins vont se resserrer"
Quel regard portez-vous sur ces derniers jours de course, avec un resserrement des positions à l'avant ?
François Gabart : "C'est assez passionnant ce qu'il se passe ! On franchit le Cap Horn avec une flotte hyper compacte, je pense que ce n'est jamais arrivé dans l'histoire du Vendée Globe qu'il y ait aussi peu de temps entre le premier et le 10e au Cap Horn. C'est exceptionnel quand on suit la course de près, ça laisse du suspens."
On a assisté ces dernières heures à beaucoup de mouvement en tête de course. Charlie Dalin (Apivia) a repris la tête, Yannick Bestaven (Maître Coq IV) a été doublé par Thomas Ruyant (LinkedOut)... Comment est-ce que cela s'explique ?
FG : "Il se trouve qu'il y a une zone au large de Rio de Janeiro, le Cabo Frio, qu'on appelle front froid permanent. C'est une zone où des dépressions se génèrent, où il n'y a pas de vent, une zone de transition entre les dépressions qui vont ensuite partir dans l'Atlantique sud. Il y a pas mal d'orages, de grain, beaucoup d'instabilité et peu de vent, ou en tout cas il est très irrégulier et incertain. Cette zone est toujours pénible à traverser et il se passe toujours quelque chose. Là il se trouve que c'est particulièrement pénible pour Yannick (Bestaven) et les premiers en général et ça va être un peu plus facile pour les bateaux qui suivront dans les jours qui viennent. Cela va avoir tendance à resserrer ce paquet de 10 bateaux à l'avant et ça nous laisse un spectacle sympa. On en saura plus d'ici mardi soir, mais la flotte va ressortir encore plus compacte dans les jours qui viennent."
Pourquoi ce front froid a particulièrement impacté la progression de Yannick Bestaven ? A contrario Charlie Dalin allait environ deux fois plus vite au moment de traverser la zone...
FG : "Ils n'avaient pas exactement les mêmes conditions de vent, il n'y en avait quasiment pas quand Yannick (Bestaven) y est passé. On parle souvent d'élastique en course au large, il faut imaginer plein de bateaux qui se suivent avec des zones de vent faible à traverser, des zones avec des vents plus forts où on peut aller plus vite et ça fait un peu élastique. Le premier qui se retrouve dans la zone sans vent, en partant sur l'hypothèse que les conditions sont les mêmes pour tous - ce qui n'est pas le cas en ce moment - une fois qu'il l'a traversée, il repart dans le vent et recreuse l'écart. Mais cela reste très théorique car les zones sans vent sont plus ou moins fortes en fonction de l'instant où on les traverse.
"Cela va être plutôt favorable d'être à l'Ouest dans les prochaines 48 heures, ce qui veut dire que ça va favoriser ce regroupement en tête"
Il y a aussi une chose intéressante à noter, c'est qu'il y a un petit décalage Ouest-Est. Yannick (Bestaven) était premier avec le bateau le plus à l'Ouest suivi de Charlie (Dalin). Thomas (Ruyant) était un peu plus à l'Est et ainsi de suite. Les cinq premiers sont un peu décalés. Cela va être plutôt favorable d'être à l'Ouest dans les prochaines 48 heures, ce qui veut dire que ça va favoriser ce regroupement en tête. Ensuite, d'autres transitions vont arriver. On parle souvent du Pot au noir qui va arriver le week-end prochain pour les premiers bateaux. Aujourd'hui on n'a pas trop de visibilité dessus, mais on sait juste que, statistiquement, il est plus facile à passer dans ce sens-là au mois de janvier."
Quel impact psychologique cela peut avoir quand on est en tête du Vendée Globe depuis un mois et de se faire rattraper par ses concurrents les uns après les autres ?
FG : "Ce n'est pas facile évidemment. Il faut bien comprendre que les marins et les bateaux sont fatigués, ils ont plus de deux mois de course dans les jambes. On fait corps avec sa machine, il y a de la fatigue qui s'est accumulée. Ce n'est pas facile pour ceux qui se font rattraper et au contraire plutôt encourageant pour ceux derrière. La remontée de l'Atlantique de manière générale n'est pas simple à vivre, il y a beaucoup de transitions, de manœuvres, des vents instables mais il n'y a plus le danger et la difficulté des mers du sud. Plus on avance dans ce Vendée Globe et plus les marins sont soumis à rude épreuve physique et mentale. Ils doivent chercher au fond d'eux des solutions et ils vont aller repousser les limites de ce qu'ils pensaient être capables de faire. Il y a une forme d'introspection. Cette remise en cause est hyper intéressante humainement, et les marins qui vont le mieux gérer cela auront un avantage en cette fin de course."
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