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Images infrarouges, cartes isobariques, logiciels de prévision : les skippers du Vendée Globe sont-ils devenus des météorologues ?

Les skippers du Vendée Globe entament leur troisième semaine de course, soit, pour la plupart, le difficile passage de l'équateur. Pour maîtriser les éléments dans cette zone comme sur toute la course, ils ont dû acquérir un bagage météorologique conséquent... tout en laissant parler leur “instinct” de marin.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
Le skipper Fabrice Amedeo devant les images météo lors d'un entraînement (LOIC VENANCE / AFP)

"Mon outil de travail dans le Pot au Noir, ce sont les images infrarouges. Ça permet de voir l’activité nuageuse, là où sont les grains, leur ampleur, leur vie". Avec l’ensemble des skippers du Vendée Globe, Charlie Dalin aborde une phase délicate de leur course : le Pot au Noir, soit, pour simplifier, une zone de perturbations au niveau de l’équateur. Et pour se repérer et faire des choix : “les images infrarouges”. Contrairement aux idées reçues, les navigateurs passent un temps considérable devant leur ordinateur, analysant les données météo qui leur sont envoyées trois fois par jour. Oubliez le navigateur à la Ulysse, capable de sentir les tempêtes au doigt mouillé. "Il faut des connaissances météo très approfondies pour pouvoir prendre de bonnes décisions sur le Vendée Globe", affirme Jean-Yves Bertot, formateur météo sur la course. Les concurrents - quelle que soit leur expérience - ont ainsi passé des heures de formation avant le début du Vendée Globe à décrypter des données météo et à cultiver leur capacité à improviser dans des situations météorologiques complexes. 

Pratiquer sa météo comme on potasse pour un examen

François Gabart a remporté le Vendée Globe dès sa première participation en 2013. Il est réputé comme l’un des skippers les plus à la pointe sur les instruments météo. "L’observation que l’on a du nuage autour de soi n’est pas suffisante pour savoir où l’on va dans dix jours", affirme-t-il. "C’est pour ça que la préparation est super importante". Rares sont les skippers à se lancer dans un tour du monde en solitaire en 2020 sans avoir pris de cours de météo. "Dans les années 80, chacun faisait au mieux pour préparer son petit cartable d’écolier avec les instruments basiques, c’est tout", se souvient Roland Jourdain, qui a participé à trois Vendée Globe dans les années 2000. "Aujourd’hui, je ne conçois plus de partir en course sans avoir 50 fiches de préparation et suivi des heures de formation".
Cette préparation s’étend sur plusieurs mois en amont. Si chaque skipper a sa méthode, certains choisissent de se regrouper pour être plus efficaces dans le travail, comme au "Pole Finistère course au large". 

“Ce ne sont pas des prévisionnistes ou des météorologues, ce sont des utilisateurs de la météo” 

Là, Charlie Dalin, Kevin Escoffier ou Jean Le Cam par exemple, tous les trois dans le Top 10 du Vendée ce lundi, ont potassé leur météo sous la férule de Jean-Yves Bertot. Force de coriolis, anticyclones, axes dépressionnaires... les grands phénomènes sont vus, ou revus pour les plus expérimentés. Une partie de "cours magistral" concède Bertot. Mais l'essentiel est ailleurs selon lui. "Ce ne sont pas des prévisionnistes ou des météorologues, ce sont des utilisateurs de la météo", avance-t-il. En d'autres termes, les skippers doivent avoir un bagage suffisant pour lire les données météo conçues par les prévisionnistes, mais surtout savoir en faire une arme pour mieux conduire leur navire jusqu'à la victoire.

Concrètement, ça donne quoi en course ? "Sur le bateau, l'ordinateur nous calcule la route idéale à prendre", explique François Gabart. "Le but n'est pas de la suivre aveuglément. On se pose des questions, on fait varier les paramètres, la vitesse du vent, la hauteur des vagues, les dépressions, les anticyclones..." Les modèles météo convergent dans leurs prévisions à court terme. Au-delà, les prédictions divergent souvent. Et c'est sur le long terme que le skipper doit faire preuve d'audace. "C’est comme la stratégie d’une entreprise", suggère François Gabart. "Pour son modèle économique, l'entrepreneur fait des prévisions à court terme et à long terme. Plus on est dans le long terme, moins on a de certitudes. Mais il doit quand même l'avoir, cette stratégie à long terme. C'est là qu'il va faire la différence. C'est pareil sur le Vendée Globe". 

C'est la raison pour laquelle sur la formation, le but est moins d'accumuler des connaissances que de développer des automatismes. "Les skippers doivent s’entraîner comme des pilotes de chasse, car ils doivent prendre des décisions rapides dans un environnement qui peut être très hostile", estime Jean-Yves Bernot. "Il faut bouffer de la stratégie météo, jusqu’à ce que ça devienne quasi-automatique".

Des données météorologiques à la grâce du marin

"Bouffer" de la stratégie météo, s'abreuver de données météo informatisées en course, c'est une nécessité évidente pour les nouvelles générations de skippers. Cela l'est moins pour les vétérans, comme Roland Jourdain, qui a débuté sa carrière lorsque la voile exigeait plus des skippers une dextérité immédiate avec les éléments, qu'une préparation minutieuse d'avant-course. Lorsqu'il a fallu prendre le train des apprentis prévisionnistes, dans les années 2000, il a dû se faire violence : "Ça a été un vrai effort à faire. J'avais l'impression de devoir retourner à l'école", se souvient-il. A ses yeux, c'est une nouvelle culture qui s'est instillée au fil du temps, à l'opposé de celle dans laquelle il a grandi : "Pour des gars comme Jean Le Cam ou moi, la météo à bord, c'était les dessins sur les coins de table, la radio qui grésillait... Et puis l'observation, surtout, le feeling". 

Cela veut-il dire que le skipper de 2020 ne sait plus ouvrir l’œil ou "ressentir" son environnement ? "Au contraire", assure François Gabart. "L'erreur serait de rester plongé dans ses données. C'est comme aux échecs, parfois quand le système est trop complexe, il faut savoir faire confiance à son feeling". Mais de là à tenter un tour du monde à l'ancienne, sans instrument météo, il y a un pas que Gabart n'est pas prêt à faire "dans l'immédiat".

Roland Jourdain, lui, a fini par s'adapter. Mieux, il a appris à apprécier cette voile plus scientifique et mathématique. "Je crois que j'ai réussi à transformer, dans ma tête, cet univers rébarbatif que sont les données, en poésie.  Elles m'ont permis de mieux comprendre les éléments dans lesquels j'évolue, de visualiser, en "3D", que je fais partie d'un tout. Avoir conscience que l'atmosphère interagit avec la mer, les courants, les nuages, et se mouvoir avec tous ces éléments, et non contre les éléments.... Je crois que c'est ça, la grâce du navigateur". 

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