"Aller au bout de l'aventure humaine" : loin des premiers, l'autre course du Vendée Globe
Terre en vue ! Le 26 janvier dernier, Charlie Dalin franchissait le premier la ligne d’arrivée des Sables d’Olonne, quelques heures avant Yannick Bestaven, déclaré vainqueur pour avoir participé au sauvetage de Kevin Escoffier. Depuis, les arrivées des skippers se succèdent. Près d’un mois après, les derniers concurrents naviguent encore en direction de la Vendée. La Française Alexia Barrier et le Finlandais Ari Huusela ferment la marche et devraient arriver à bon port entre le 25 et le 27 février. Une course beaucoup plus longue que pour les premiers, mais dont l’objectif n'est pas forcément la victoire.
Si les favoris partent bille en tête pour l’emporter, d’autres skippers participent à ce tour du monde en solitaire pour l’aventure humaine. “Pour eux, il s’agit d’un autre défi, estime Armel Le Cleac’h, vainqueur de l’édition 2017 en 74 jours, 3 heures, 35 minutes et 46 secondes, un record encore inégalé. Leur objectif est de terminer ce tour du monde, d’aller au bout de l’aventure humaine et de franchir la ligne d’arrivée, peut-être plus encore que pour ceux qui jouaient le podium”.
"Pour nous, finir c’est la victoire"
Ces marins anticipent un temps de parcours plus long que les potentiels vainqueurs et adaptent leur course en conséquence. “Les derniers fournissent un travail plus long mais moins intense que les premiers, qui eux doivent produire un effort intense permanent. En queue de peloton, on est moins sur les nerfs, on n’a pas cette pression de gagner. Car pour nous, finir c’est la victoire", souligne Sébastien Destremau, dernier skipper à arriver aux Sables d’Olonne en 2017.
Premiers ou derniers, la fatigue est profonde
Que ce soit après deux ou trois mois de course, les corps et les esprits sont épuisés. “Les jours de course deviennent tellement une routine que de faire deux, trois ou quatre mois en mer, ce n’est pas ça qui fera qu’on sera plus ou moins fatigué”, tranche Sébastien Destremau, qui a été contraint à l’abandon cette année.
Et le temps de récupération se compte en mois. “Très souvent les marins, qu’ils soient premiers ou derniers, disent qu’ils ont besoin de six mois pour s’en remettre", souligne Jean-Yves Chauve, médecin du Vendée Globe depuis la première édition. "Les coups, les mers hostiles, le stress et la fatigue accumulée sur 80 jours entraînent une usure physique et mentale profonde", appuyait d’ailleurs Charlie Dalin à son retour.
Le rationnement de l’extrême
Au-delà de l’épuisement, la gestion des réserves alimentaires est elle aussi un élément primordial à maîtriser en fin de parcours. “Quand on passe le Cap Horn, il reste un gros tiers de la course. On sait donc à peu près où on en est au niveau des vivres et s'il faut rationner ou non”, explique Armel Le Cleac’h. Bien que chaque skipper estime sa quantité de nourriture embarquée avec une marge de sécurité, il n’est pas rare que les marins doivent se rationner sur la fin du retour.
Pour l’heure, sur cette neuvième édition, aucun skipper n’a dû se rationner strictement, à l’exception de quelques leaders, comme Charlie Dalin, qui ont dû limiter leurs derniers repas pour tenir jusqu’à l’arrivée. “Les derniers ont prévu d'être moins rapides, donc ils possèdent un stock de nourriture suffisant pour tenir”, souligne le Dr Chauve, affilié à la MACSF. Le contrôle du poids à bord est un enjeu moindre que pour les leaders.
Pourtant par le passé, d’autres n’ont pas eu cette chance. En 2001, Yves Parlier avait vu fondre son stock de vivres après avoir été contraint de s’arrêter une dizaine de jours pour réparer son mât. Il s'était alors nourri d’une mixture faite d’algues, de fromage de chèvre et de confiture de fraises, racontait à l’époque Le Parisien. Le navigateur avait perdu 8 kg.
17 kg en moins
Sébastien Destremau s’était lui essayé en 2017 à la pêche pour pallier à son manque de nourriture. Le skipper avait pris du retard après un incident technique qui avait provoqué une inondation dans son bateau. “En passant l’équateur, le routage de retour me donnait environ trois semaines et demi pour rejoindre les Sables, et je n'avais plus que deux sacs de nourriture, soit de quoi tenir seulement deux semaines.” Comble de malchance, un des deux sacs de vivres avait pris l’eau. “Je me suis donc retrouvé avec un seul sac de nourriture pour trois semaines et demi en mer. Et il me restait seulement de l'eau et du miel. Il a fallu se rationner. Je ne faisais qu'un seul repas par jour. J'ai perdu 17 kg”, se souvient-il.
Si le rationnement devient inévitable, les skippers doivent alors diviser leurs repas tant qu’ils le peuvent. Généralement, leur journée alimentaire est composée de trois à quatre repas principaux, et de snacking, qui vient en complément d'un effort. “Dans le cas d’un rationnement, je dis toujours aux marins de scinder par deux les repas principaux ainsi que les snacks, afin de conserver deux repas par jour”, indique Virginie Auffret, diététicienne et nutritionniste du sport, qui a notamment suivi la préparation de Charlie Dalin, Clarisse Crémer et de Boris Herrmann.
Ne pas relâcher la vigilance
La gestion de cette fin de course par les “retardataires” passe aussi par une surveillance accrue du bateau. “Il faut maintenir le bon dosage entre avancer coûte que coûte et surveiller les bateaux car ils ont déjà été éprouvés et ont beaucoup de milles au compteur. D'autant plus qu’ils n'ont pas forcément une préparation aussi pointue que les leaders”, remarque Armel Le Cleac’h.
Malgré l’excitation de l’arrivée, les navigateurs ne doivent pas s’emballer ni se relâcher trop vite, car les derniers jours peuvent être compliqués, surtout après trois mois en mer. “Il faut aussi gérer la fatigue physique et mentale, tout comme la solitude qui sera encore plus pesante pour les derniers car ils sont éloignés de leurs proches depuis plus longtemps”, relève encore Armel Le Cleac’h. Ils sont d'autant plus esseulés qu'ils sont moins sollicités que ceux qui jouent la victoire.
Autant de paramètres auxquels le skipper doit veiller, malgré l’épuisement et des conditions météos qui peuvent compliquer la navigation des derniers milles. “Sur cette fin de parcours, on termine dans l'hiver européen, avec des conditions qui peuvent parfois être presque plus difficiles que dans les mers du Sud. On se retrouve avec des dépressions qui peuvent être assez violentes”, explique Armel Le Cleac’h. Mais tout cela n’est presque que secondaire pour ces marins qui ne rêvent que d’une chose : boucler la boucle. “C’est la dernière grosse marche avant de finir, conclut Armel Le Cleac’h. Car terminer le Vendée Globe est une victoire.”
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