: Témoignages Route du Rhum : l'affaire François Gabart jette une ambiance glaciale sur les pontons
C’est l’affaire qui agite le milieu de la course au large en ce moment : François Gabart pourra-t-il participer à la prochaine Route du Rhum ? Son nouveau trimaran a un problème de conformité, selon le règlement. Lui, dément et parle d’acharnement. Ses concurrents ne comprennent pas son attitude et dénoncent le jusqu'au-boutisme du marin.
Cela faisait des mois que la rumeur bruissait et enflait sur les pontons : le nouveau bijou de François Gabart, mis à l’eau l’été dernier, n’est pas conforme aux règles élémentaires de sécurité. Grâce à une dérogation, le skipper détenteur du record du monde en solitaire avait pu prendre le départ de la dernière Transat Jacques-Vabre (où il a fini en deuxième position).
Mais cette fois, les autres skippers de la classe Ultim 32/23, celle qui regroupe les trimarans volants, disent "stop" : soit il fait des travaux pour se plier au règlement, soit il ne pourra pas prendre le départ de la prochaine Route du Rhum, le 6 novembre depuis Saint-Malo. Et peut-être même du tour du monde en solitaire, une grande première, en 2023.
La règle 3.11
Au cœur de l’imbroglio : la règle 3.11 de World Sailng, la fédération internationale, qui concerne la sécurité à bord. Cette règle stipule que "les winches d'écoute doivent être installés de telle façon qu'un opérateur n'ait pas besoin de se trouver nettement en dessous du pont." Le trimaran de François Gabart a fait le choix audacieux d’enserrer le cockpit dans la coque centrale, soit en-dessous du niveau du pont. C'est une sorte de bulle étanche, ce qui permet de gérer les manœuvres à l’abri des éléments, sans ouverture, ou presque. La visibilité vers l'extérieur passe par l’intermédiaire de caméras.
"Je suis officier de marine marchande de formation et il y a une règle de base : on doit assurer une veille visuelle, précise à franceinfo Charles Caudrelier, le skipper du Maxi Edmond de Rothschild. Il y a certes des caméras, on en a tous. Mais de dire qu’on peut voir avec des caméras, ce n’est pas vrai. Cette attitude se fait au détriment de la sécurité des autres et de sa sécurité personnelle. Moi, j’ai évité quatre collisions avec mon bateau et à chaque fois, c’est l’œil humain qui nous a sauvés."
Malgré les avertissements et les diverses réunions, François Gabart refuse de faire un nouveau chantier, estimant que plusieurs experts "indépendants" ont validé la conformité de son bateau.
"Les règles dont on parle, François Gabart les a validées, dénonce, un brin irrité, Thomas Coville, le skipper de Sodebo. Cette méthode du fait accompli est agaçante et elle n’est pas acceptable. C’est vraiment une 'position Djokovic'. On se doit d’être exemplaires et l’exemplarité, c’est de se respecter les uns les autres et respecter les règles." Thomas Coville avait d’ailleurs visité le bateau de son camarade quelques jours avant la mise à l’eau. Dès le départ, il avait émis des doutes sur cette question de sécurité et s’était dit "surpris" par la réaction de François Gabart et son équipe, "conscients qu’il y avait possible litige."
"Esprit sportif"
Ce "manque de volonté de faire avancer le dossier", selon un autre skipper de la classe Ultim, Armel le Cléac’h, à la barre de Banque Populaire XI, "commence à agacer au plus haut point." "C’est l’essence même du sport, poursuit le vainqueur du Vendée Globe 2016. On court avec des règles qui sont définies au départ. Et quand on prend le départ, on accepte ce qui se passe sur l’eau et que le meilleur gagne. C’est ça l’esprit sportif. Et aujourd’hui, on n’en est pas là !"
Dans un milieu d’ordinaire si policé, où chaque mot est pesé au gramme près, où les explications se font sur les océans, les propos de ces marins au très long palmarès contre l'un des leurs détonnent. "Évidemment qu’on a envie que François soit là et cette Route du Rhum n’aura pas la même saveur s’il est absent, développe Charles Caudrelier. Mais elle pourrait avoir un goût très désagréable aussi si François gagnait et qu’on avait la conviction qu’il n’a pas joué le même jeu que nous. Je n’ai pas envie que les dés soient pipés. S’il finit devant moi, j’aurais plus de mal à lui serrer la main. C’est ce qui me gêne le plus aujourd’hui."
Le 25 mars dernier, François Gabart et son sponsor SVR Lazartigue criaient via un communiqué à "l'injustice sportive" et dénonçaient un "acharnement injustifié et inéquitable".
La classe Ultim, censée être une vitrine de la course au large depuis sa création en 2018, veut-elle empêcher François Gabart de courir, comme lui-même le proclame ? "En aucun cas, nous souhaitons l’exclure de la classe, tempère Patricia Brochard, présidente de la classe. Ce serait se couper un bras et je ne vois pas quel serait notre intérêt. Il y a des efforts de la classe pour qu’il puisse faire partie du programme des années à venir. Il n’y a pas de doute là-dessus."
"Ma relation avec François est plus compliquée que par le passé"
Armel le Cléac’hà franceinfo
Quelle que soit son issue, cet imbroglio va laisser des traces. "J’ai du mal à comprendre sa position de jusqu’auboutiste depuis plusieurs mois, regrette Armel le Cléac’h. C’est important qu’on s’entende bien mais là, on n’est pas d’accord." Et Thomas Coville de conclure : "J’ai une admiration incroyable pour ce mec, il a gagné tellement de choses qu’on ne peut pas nier que c’est l’un des meilleurs coureurs qu’on ait jamais eu. Et il n’a pas besoin de ne pas respecter les règles pour gagner. Je ne comprends pas bien son attitude qui entache son image."
Le temps commence à compter : la Route du Rhum partira le 6 novembre de Saint-Malo jusqu’à Pointe-à-Pitre. En attendant, François Gabart n’exclut pas de porter cette affaire sur le terrain judiciaire pour obtenir l’homologation de son bateau. Les autres skippers lui demandent maintenant de se plier au jugement de l’arbitre des mers, World Sailing, la fédération internationale… Histoire d’apaiser cette violente tempête.
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