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"A mort l'arbitre" : comment en finir avec la violence contre les hommes en noir ?

Chaque agression d'un arbitre sur un terrain amateur donne lieu à des condamnations outrées de la part des instances sportives et politiques. Mais peu de solutions semblent être mises en œuvre.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 16min
Foot, basket, rugby... Les violences contre les arbitres n'épargnent aucune discipline.  (PASCALE BOUDEVILLE / FRANCETV INFO)

Lui couper le sifflet. Lui montrer qui fait la loi. Voilà ce que cherche le pseudo-sportif décidé à s'en prendre à un arbitre. Injures, menaces, coups... la panoplie est large pour celui qui veut en découdre avec le garant de l'équité du sport. Dans la majorité des cas, cet agresseur porte un maillot de football, sport le plus pratiqué et le plus exposé. Mais du rugby au basket en passant par le tennis, aucune discipline ne semble épargnée.

Face à ce phénomène, fédérations et autorités condamnent chaque agression devant les micros, et multiplient les opérations de communication. Mais les arbitres, inquiets, réclament des changements concrets. Francetv info se penche sur les pistes existantes pour venir en aide aux hommes en noir :

- Établir un bilan chiffré pour connaître l'ampleur du phénomène

- Tenter de changer l'image du sport et des arbitres

- Demander une implication plus forte des autorités

 

Dresser un constat chiffré

 

Dans le monde du sport, la mauvaise image du football est largement alimentée par les fréquents faits divers émaillant les matchs amateurs du dimanche après-midi. Premiers boucs émissaires, les arbitres sont ceux qui pâtissent le plus des mauvais penchants du ballon rond : ils représentent 42,5% des victimes de violences enregistrées dans le monde du foot la saison passée.

Mais ces chiffres ont plutôt tendance à rassurer la Fédération française de football (FFF), qui rappelle que le nombre de matchs entachés d'incidents a diminué de 10,7% en un an. "Nous sommes victimes d'un traitement médiatique injuste, affirme Eric Borghini, membre du comité exécutif de la FFF chargé de l'arbitrage, interrogé par francetv info. Les efforts fournis sont énormes, et on commence à en tirer les bénéfices."

Le foot, seul sport à étudier le problème

Pour Patrick Vajda, président de l'Association française du corps arbitral multisports (Afcam), "le foot est le seul sport qui a accepté de reconnaître le problème de la violence, en créant notamment en 2007 un observatoire des comportements." Cet organe de la FFF recense tous les incidents, insultes, incivilités ou coups signalés sur chaque feuille de match officielle, dans toutes les catégories d'âge et à tous les niveaux. Objectif : cibler l'évolution des violences pour agir en conséquence.

Mais aux yeux de Renaud Hocq, président de l'Union nationale des arbitres de football du Val-de-Marne (Unaf 94), comptabiliser les incivilités est loin d'être suffisant : "Les statistiques du foot montrent une amélioration ? C'est n'importe quoi ! Beaucoup d'arbitres ne font pas de rapport, pour ne pas avoir de problème avec des joueurs qu'ils croisent tous les week-ends. Et si je devais reporter toutes les insultes que j'entends pendant une rencontre, la feuille de match n'y suffirait pas."

En comparaison, les autres fédérations sportives majeures affirment que les violences visant les arbitres sont "rares" dans leur discipline, mais sans plus de précisions. Dans le basket, on signale "une trentaine d'incidents par an, dont dix concernant les arbitres" ; le rugby concède "une dizaine d'agressions physiques" ; la Fédération française de tennis n'en relève "aucune à [sa] connaissance".

Des sports pas si "préservés"

Mais ces données, peu nombreuses, sont basées sur les dossiers traités par les conseils de discipline des fédérations, c'est-à-dire les cas les plus extrêmes. Comme le remarquait déjà l'Observatoire national de la délinquance en 2011, il est impossible dès lors d'établir un constat chiffré du sort des arbitres dans des sports qui affirment être "préservés des problèmes du football".

Sur le terrain, le sentiment de certains arbitres se révèle souvent très différent. "C'est devenu n'importe quoi", affirme Joffrey Calvet, arbitre de basket violemment agressé par un joueur de National 3, en février 2013 à Tulle (Corrèze). "Dans les matchs de jeunes, les arbitres sont systématiquement insultés par les parents dans les tribunes. Si leur gamin perd, c'est forcément la faute de l'arbitre."

Aujourd'hui retiré des parquets, Joffrey est persuadé que la Fédération française de basketball (FFBB) a volontairement empêché la médiatisation de son affaire, parce que "l'équipe de France allait être championne d’Europe" : "Ils ont voulu étouffer le feu. Mais un jour, le feu va reprendre ailleurs, et fera encore plus de dégâts. Ignorer le problème ne résout rien."

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Changer l'image de l'arbitre et les mentalités

 

Face aux violences auxquelles ils sont exposés, on peut s'interroger sur ce qui motive encore les arbitres. Car aucune fédération ne constate de baisse significative du nombre d'hommes en noir. "On a environ 3 000 arbitres [pour 440 000 licenciés] et les chiffres sont en légère hausse, se félicite Didier Mené, patron de l'arbitrage à la Fédération française de rugby (FFR). Mais on a un problème d'arbitres qui arrêtent trop vite. Ça pose quelques soucis de maturité et d'expérience."

Coauteur d'une étude universitaire (en anglais) sur le sujet, Fabrice Dosseville, maître de conférences en psychologie du sport à l'université de Caen, explique que ce phénomène d'arbitres à la carrière éclair concerne tous les sports. "C'est lié au fait que les fédérations obligent les clubs à fournir des arbitres et des officiels. Le plus souvent, ceux qui arrêtent sont ceux qui prennent le sifflet pour dépanner, ou pour gagner quelques sous, pas pour prendre du plaisir. D'autant que la mauvaise image de l'arbitrage n'aide pas à susciter des vocations."

"Le sport peut agir comme un détonateur"

S'il reste apprécié de la population dans les sondages, l'arbitre jouit en effet d'une image parfois peu flatteuse chez les sportifs. Il est "souvent perçu comme un ancien mauvais joueur", d'après Fabrice Dosseville. "Le problème, c'est l'éducation des jeunes et la violence de la société, analyse pour sa part Renaud Hocq, patron des arbitres de foot du Val-de-Marne et policier de profession. Aujourd'hui, on n'hésite plus à défier l'autorité."

La plupart des acteurs du monde sportif se disent impuissants face à cette "montée de la violence" venue de l'extérieur des terrains. "C'est un discours souvent entendu, mais la valeur démesurée que les gens donnent au résultat sportif est une autre explication de la violence dans le sport, et contre les arbitres", avance Fabrice Dosseville. En clair, gagner sur un terrain serait devenu un enjeu primordial, pour un joueur, un entraîneur ou un spectateur. Car c'est parvenir à ce que l'on n'obtient pas toujours dans la vie. "Perdre, au contraire, est vécu comme une injustice de plus, dont l'arbitre devient le principal responsable, détaille le chercheur. Et quand on n'arrive plus à maîtriser sa frustration, le sport peut agir comme un détonateur de la violence."

Le monde amateur s'aligne sur les pros

S'emporter contre un arbitre au nom de la pression du résultat,  une attitude que l'on retrouve souvent au plus haut niveau. Dernière polémique en date:  un arbitre vilipendé et qualifié de "pipasse" par Bernard Laporte, ancien ministre et aujourd'hui entraîneur du club de rugby de Toulon. "Le problème, c'est que si le monde amateur s'aligne sur le jeu des pros, il s'aligne aussi sur leur comportement, regrette Didier Mené, patron de l'arbitrage à la FFR. La situation est inquiétante, et dans quelques années, on pourrait se retrouver avec les mêmes problèmes que le foot. Il faut des comités d'éthique sévères pour empêcher ces débordements du haut niveau."

Pour redorer l'image de l'arbitre, professionnels et amateurs doivent donc apprendre à dissocier envie de gagner et agressivité. Mais d'après l'ensemble des acteurs, chacun doit faire un effort pour prévenir les tensions. "Les arbitres aussi doivent se remettre en cause, estime Renaud Hocq, président de l'Unaf 94. Rester dans son coin et refuser la communication avec les joueurs, c'est à bannir." "Il faut savoir communiquer et jauger une situation, poursuit Erwann Le Quernec-Bosson, jeune arbitre de foot dans l'Essonne. Parfois, quand je vois un joueur s'énerver tout seul, je l'ignore, j'attends qu'il se calme tout seul, parce que certains ne comprennent tout simplement pas qu'ils dépassent les bornes. Il faut être ouvert."

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Trouver plus de soutien auprès des autorités

 

Prêts à raccrocher le sifflet, les arbitres sont également remontés contre les instances, à qui ils réclament une prise de conscience. Leur premier souhait est une application à la lettre de la loi Lamour de 2006, qui prévoit des circonstances aggravantes quand on s'en prend à un arbitre, considéré comme un représentant de l'ordre public. "Dans la réalité, les forces de l'ordre ne sont pas forcément au courant et ne traitent pas toujours les plaintes déposées par les arbitres, regrette Eric Borghini, représentant des arbitres à la FFF et avocat pénaliste. Alors que s'en prendre à un arbitre, théoriquement, c'est le tribunal correctionnel direct, avec le risque d'une condamnation à de la prison ferme."

Donner une définition claire du rôle de l'arbitre

Pour faire respecter l'arbitre, encore faut-il en avoir une définition claire. Face aux différences de statut, de responsabilité et de rémunération en fonction des fédérations, les associations comme l'Afacm militent ainsi pour la création d'une "charte de l'arbitrage", comme l'explique son président, Patrick Vajda : "Ce document expliciterait clairement le rôle que les fédérations jouent vis-à-vis de leurs arbitres, qui sont des salariés de la fédération au regard de la Sécurité sociale, mais aussi des travailleurs indépendants non subordonnés aux fédérations selon la loi. Ce qui pose de nombreux problèmes juridiques. Et puis cela permettrait aussi de poser noir sur blanc ce que signifie le 'respect de l'arbitre'. Car les sanctions et les prises en compte des problèmes de violence diffèrent énormément d'un sport à l'autre."

Préserver les bénévoles

Ce que craignent également les arbitres, c'est la baisse du nombre de dirigeants, baisse qui concerne l'ensemble des sports. En dix ans, 46% des clubs de foot amateurs ont vu le nombre de leurs bénévoles diminuer, selon la FFF. "Bientôt, l'arbitre se retrouvera seul face à 22 joueurs, avec personne pour l'aider", prévient Renaud Hocq. Eric Borghini demande donc à l'Etat de "renoncer à s'attaquer à la réduction d'impôts qui permet à un bénévole de déduire de sa feuille d'imposition 66% des montants qu'il a engagés pour le club."

Faire intervenir les responsables politiques

Pour l'heure, le gouvernement ne semble pas donner la priorité à la question de l'arbitrage, malgré les condamnations sévères suivant chaque fait divers. Des réunions ont bien lieu avec les représentants des arbitres, et des opérations de communication sont régulièrement organisées, notamment les Journées de l'arbitrage qui ont permis à Valérie Fourneyron, la ministre des Sports, de montrer le bon exemple en arbitrant un match de foot.

L'objectif, salutaire, est de changer l'image de l'homme en noir auprès des jeunes sportifs. Mais les décisions politiques concrètes tardent à venir. Le ministère de la Jeunesse et des Sports, qui n'a pas répondu aux sollicitations de francetv info, prépare une loi sur le sport pour 2014. Mais dans les documents de travail transmis au CNOSF (Comité national olympique et sportif français), organe consulté sur ce projet de loi, le mot "arbitre" n'apparaît jamais.

"On se moque de nous, regrette Patrick Vajda, de l'Afcam, qui a participé à des réunions au ministère. On ne demande pas une professionnalisation des arbitres, mais des avantages comparables à ceux auxquels les athlètes ont droit, comme des aménagements professionnels qui pourraient faciliter les vocations. Ce serait bon pour le niveau de l'arbitrage, donc bon pour le niveau de jeu et bon pour le sport français."

Outre l'Etat, le monde du sport aimerait également pouvoir compter plus souvent sur les acteurs politiques locaux. "Quand il y a un match à risque, il existe un dispositif pour prévenir les autorités en amont, qui envoient des policiers patrouiller, explique Philippe Bourgeois, président du district de football de Seine-et-Marne Sud, concerné fin novembre par de violents incidents, comme le rapporte Le ParisienMais il faudrait également que les animateurs de quartiers, qui dépendent des municipalités, soient sollicités. Je sais que cela nécessite des moyens supplémentaires, mais les mairies sont bien contentes de nous confier les gamins le week-end."

Une mobilisation de l'ensemble des fédérations

Mais encore une fois, le règlement des problèmes ne peut pas provenir uniquement de l'extérieur. La plupart des fédérations disent se pencher sur la question à travers la formation des entraîneurs notamment. "Chez nous, au basket, pour obtenir ses diplômes, un entraîneur est obligé d'arbitrer plusieurs matchs", rappelle Yannick Supiot, président de la commission de discipline de la FFBB. "On essaie de sensibiliser les coachs de tennis sur le respect des officiels, pour qu'il prenne 10-15 minutes pour en parler à la fin de leurs séances", ajoute Rémy Azémar, responsable du département arbitrage à la Fédération française de tennis.

Pour inverser la tendance, la priorité consiste à s'intéresser au "bébé athlète", au très jeune sportif, selon Fabrice Dosseville. Le psychologue du sport participe à un programme pilote visant à systématiser la pratique de l'arbitrage chez les petits footballeurs : "L'objectif est de créer des vocations mais surtout de leur montrer qu'arbitrer, c'est difficile. C'est bénéfique pour la baisse des violences, mais aussi pour la performance des joueurs, qui ne se cacheront plus derrière une erreur de l'arbitre pour expliquer leur défaite."

La solution idéale réside peut-être dans un croisement de toutes ces bonnes pratiques. "Tout ce qui va dans le sens de la baisse des incivilités est bon à prendre", approuve Yannick Supiot, de la FFBB. Même si on doit admettre que les choses sont moins roses qu'on le pense, c'est d'un travail commun, avec les autres fédérations, que viendra la solution." Seul point commun à toutes les disciplines sportives, l'arbitre ne devra son salut qu'à une mobilisation de l'ensemble du monde du sport. 

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