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Tour de France : quand les coureurs roulaient à l'alcool

Entre Montgeron et les Champs-Elysées, le maillot jaune devrait s'offrir une petite coupe de champagne sur son vélo. Une scène légèrement subversive aujourd'hui. Mais avant, le peloton buvait pendant toute la course.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le Britannique Christopher Froome fête sa victoire sur le Tour de France 2016, le 24 juillet 2016, lors de la dernière étape entre Chantilly et Paris. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Après l'ivresse des cimes, les bulles de l'arrivée. Les rescapés après trois semaines de course vont pouvoir sabrer le champagne, dimanche 23 juillet, à l'occasion de la dernière étape de la 104e édition du Tour de France. Comme le veut la tradition, le leader du classement général, Christopher Froome, va trinquer avec ses coéquipiers en début de parcours, une main sur le guidon, une autre tenant une flûte.

L'année dernière, le Britannique, déjà sacré sur les Champs-Elysées, s'était permis un deuxième écart, en dégustant une bière belge à 6,6% durant l'ultime étape. Pas de quoi dépasser le seuil légal de 0,5 gramme par litre de sang, juste de quoi offrir de belles images aux caméras.

Si la consommation d'alcool sur la Grande Boucle est aujourd'hui très limitée, il n'en a pas toujours été ainsi. Au début du siècle dernier, les étapes n'étaient pas disputées entièrement à l'eau claire. "Avaler des quantités alarmantes d'alcool était la norme, écrit la revue américaine Outside (en anglais)La bière, le vin et l'eau-de-vie étaient considérés plus sûrs que l'eau douteuse des puits ou des sources de bord de route."

Un arrêt au bar du village

Le premier porteur du maillot jaune, Eugène Christophe, engagé lors de l'édition 1919, se souvient d'avoir bu, en guise "d'excitants""un petit peu de champagne et, quand il faisait froid, un petit peu de cognac sur du sucre". L'historien finlandais Mika Rissanen rappelle que les coureurs avaient interdiction de se partager des bidons d'eau. En cas de soif en dehors des points de ravitaillement, ils étaient parfois contraints de faire escale dans les bistrots de village, par exemple pour descendre une chope de bière"S'arrêter quelques minutes pour se désaltérer n'avait que peu d'effet sur le classement général", du fait des importants écarts, note le chercheur.

Le Français Georges Speicher boit une bière dans le col de l'Aubisque (Pyrénées-Atlantiques), lors de la 18e étape du Tour de France, le 17 juillet 1933. (AFP)

L'alcool a pu jouer des tours à certains engagés, comme lors de la 17e étape caniculaire du Tour 1935, disputée entre Pau et Bordeaux. Ce jour-là, d'un commun accord, le peloton s'arrête pour boire des bières distribuées par des spectateurs. Un seul coureur, le Français Julien Moineau, poursuit sa route. Sage décision : il s'imposera en fin de journée avec plus de 15 minutes d'avance. Selon la légende, jamais confirmée par le principal intéressé, les généreux spectateurs n'étaient autres que des amis de Julien Moineau, qui avait tout manigancé...

Réanimation au vin et malaise fatal

Un nom reste associé à l'histoire viticole du Tour : Abdel-Kader Zaaf. Victime d'un malaise lors d'une étape dans l'Hérault en 1950, ce coureur algérien a été photographié dans un état second, empestant le vin. Ivre ? Sans doute pas, selon l'une des versions de l'anecdote, rapportée par Jacques Augendre dans Petites histoires secrètes du Tour "Les viticulteurs compatissants qui voulaient le réconforter n'avaient à leur disposition que des bonbonnes de vin et l'aspergèrent de rosé frais, d'où la rumeur selon laquelle il s'était enivré."

Le coureur algérien Abdelkader Zaaf sur la 13e étape du Tour de France 1950. (AFP)

Dans un registre plus tragique, le Britannique Tom Simpson a, lui aussi, marqué les esprits. Le 13 juillet 1967, lors de l'ascension du mont Ventoux, il cherche à se rafraîchir. Son équipier Vincent "Vin" Denson lui tend une bouteille glanée dans un café. C'est du cognac. Tant pis, Tom Simpson avale le breuvage. Quelques minutes plus tard, il s'affaisse sur son vélo, mort. Tué par un cocktail à base d'alcool, d'amphétamines, de chaleur et de fatigue. 

Anquetil et la baignoire de sangria

Mais la star de cette époque du "cyclisme champagne" reste Jacques Anquetil. Le Français prétendait ne pas supporter l'eau. "J'ai essayé d'en boire une bouteille au déjeuner, mon estomac ne l'a pas supporté, a-t-il un jour confié à des journalistes. Heureusement, je me suis remis avec un calva." Selon les Petites histoires secrètes du Tour, ce féru de champagne et de gros plant "soignait ses crises de foie à la bière glacée et ses rhumes au calva".

La légende de Jacques Anquetil s'est notamment écrite lors de la 14e étape du Tour 1964, entre Andorre et Toulouse. La veille au soir, il s'est rendu à un méchoui, avec de la sangria servie à la louche depuis une baignoire. Ses adversaires prennent ce dilettantisme pour une provocation et se décident à lui en faire "baver". Vite lâché, il se reprend après l'ascension du jour et finit par rattraper tout le monde. Une fois la sangria digérée, il aurait été boosté, juste avant la descente vers Toulouse, par... un bidon de champagne.

La fin d'une époque

Et aujourd'hui ? Sous l'effet des évolutions réglementaires et législatives, ainsi que des progrès de la science et de la diététique, l'alcool s'est quasiment évaporé du Tour de France. Les coureurs s'astreignent à des régimes stricts, qui auraient fait horreur à Jacques Anquetil. Les excès ne sont guère permis, même hors saison. Le Britannique Bradley Wiggins, qui s'offrait du vin et de la bière deux mois par an en début de carrière, a vite fait une croix dessus, selon Rue 89 en 2012.

Ça ne suffit pas : le régime, c'est 24h/24, sept jours sur sept, douze mois par an si tu veux y arriver.

Bradley Wiggins

sur Rue89

Gare aux écarts de conduite. En 2010, le grimpeur de la Saxo Bank, Andy Schleck, et son coéquipier Stuart O'Grady ont été exclus du Tour d'Espagne par leur formation après une virée alcoolisée dans un bar. Selon L'Equipe, le premier avait été repéré à 5 heures du matin, sortant de discothèque, en train de rentrer à son hôtel.

Le Belge Tom Boonen, lui, s'est vu privé de l'édition 2008 du Tour de France en partie à cause de son penchant pour la boisson. Moins d'un mois avant le départ, le sprinteur a été flashé en excès de vitesse, en train de téléphoner au volant avec 0,75 g d'alcool par litre de sang. Dans la foulée, il s'est fait pincer pour avoir consommé de la cocaïne hors compétition. Verdict des organisateurs : "L'image et le comportement de Tom Boonen sont incompatibles avec l'image du Tour de France."

De l'alcool à dose homéopathique

Pour trouver quelques bulles sur la Grande Boucle, il faut s'inviter, le soir, à la table des vainqueurs d'étape, lorsqu'ils débouchent une bouteille de champagne avec leur équipe. Les jours de repos peuvent aussi être le prétexte à un verre de bière.

Romain Bardet (AG2R) fête sa victoire sur la 18e étape du Tour de France, le 23 juillet 2015, à Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie). (MAXPPP)

Sinon, il faut compter sur la générosité du public, souvent enclin à faire office de buvette ou d'arrosoir. Certains s'en amusent, comme l'Australien Adam Hansen, qui s'est fait une spécialité de trinquer avec les supporters à l'Alpe d'Huez.

D'autres s'en passeraient bien, se plaignant d'être aspergés en plein effort. "Dans le Tour, 10% du peloton se prend quelque chose dans la tête : de l’eau, du cidre, du champagne, racontait Richard Virenque en 2015. Dans ma carrière, j’ai tout pris dans la tête : urine, bière, bombe lacrymogène..." 

Ce dimanche, l'essentiel du peloton devra se contenter d'eau jusqu'à la ligne d'arrivée. Les "pop" des bouchons de champagne se feront entendre plus tard, peut-être jusque tard dans la nuit, une fois n'est pas coutume.

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