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Tour de France : Oleg Tinkov, le Donald Trump du cyclisme

Ses cheveux blonds sont coiffés d'une manière indéfinissable, il gère son équipe comme il gère ses multiples business. Il écrit des livres pour apprendre à faire fortune… mais, à la différence du magnat de l'immobilier, il est Russe.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Le milliardaire russe Oleg Tinkov, sur le Tour de France, le 21 juillet 2015. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

La scène se passe en 2014, dans les bureaux de la société Tinkoff Credit Systems, à Moscou. Le grand patron, Oleg Tinkov, reçoit une délégation de la banque Morgan Stanley dans une salle de réunion où trône un immense écran de télévision. L'homme d'affaires, qui auditionne des banques pour lancer une compagnie aérienne, s'empare de la télécommande, met une chaîne sportive, et lance aux banquiers : "Ça ne vous dérange pas ? Juste la fin de la course. Je vais garder un œil dessus pour encourager mon équipe", à 9'34 sur la vidéo. Voilà Oleg Tinkov, homme d'affaires, patron d'équipe cycliste et principale attraction du Tour de France. 

Le trafic de blue jeans comme premier business

Rien ne prédisposait Oleg Tinkov à se lancer dans le cyclisme. Ce fils de mineur sibérien, né en 1967, a fui son destin en s'inscrivant à l'Ecole des mines de Saint-Pétersbourg (Leningrad à l'époque). Il entre dans la vie active au moment où l'URSS s'écroule. Mais lui ne récupère pas toute cuite une entreprise bazardée par l'Etat, comme nombre d'oligarques. Tinkov se lance dans l'importation sauvage de jeans et de rouge à lèvres, qu'il achète à des étudiants étrangers pour les revendre quatre fois leur prix. Il étend ce modèle économique aux produits électroniques, aux cartouches d'encre pour imprimantes et au caviar. Il revend son business 7 millions de dollars en 1997, raconte le site économique Heureka

Oleg Tinkov est un serial entrepreneur satisfait. "Quand je me regarde dans le miroir, je suis fier de moi, explique-t-il au Financial Times. J'ai lancé cinq entreprises très différentes, qui n'avaient rien à voir entre elles. J'adore faire des choses nouvelles." Il a créé une marque de bière, vendue 200 millions au géant InBEV, s'est lancé dans les pelmenis industriels – une spécialité culinaire russe – avant de s'attaquer à la banque en ligne – devenue la quatrième de Russie – puis aux assurances. Il a même écrit un livre intitulé Comment devenir un businessman, préfacé par Richard Branson, le patron de Virgin, lui aussi touche-à-tout. 

Le roi de la bière est aussi celui de la provoc

Prenez sa bière. Oleg Tinkov la baptise à son nom, enfin presque. Il choisit de lui donner le nom de Tinkoff, une rue de Saint-Pétersbourg, et crée la légende de la brasserie Tinkoff, qui fournissait la famille impériale. Tout est inventé pour lui permettre de se positionner comme une bière haut de gamme, trois fois plus chère que la concurrence. Suit une chaîne de microbrasseries, idée piquée lors d'un séjour pour suivre des cours de marketing en Californie. Oleg Tinkov renforce ce positionnement décalé avec des publicités plus aguicheuses les unes que les autres. Notamment celle-ci, où on voit deux femmes descendre d'un coupé Mercedes jaune canari, se ruer dans la cabine d'essayage d'un magasin de lingerie, se déshabiller, s'embrasser et d'un seul coup, une bouteille de Tinkoff apparaît à l'écran, avec la mousse qui déborde du goulot.

La télévision russe – qui avait déjà interdit un autre spot suggestif pour Tinkoff – est submergée de plaintes de téléspectateurs mécontents. L'intéressé se défend dans le New York Times : "C'est un fantasme, les hommes adorent ça. Les gens que ce spot scandalise sont vraiment stupides et bornés. Et si ça se trouve, les deux femmes rentrent ensuite à la maison voir leurs maris et tout est bien qui finit bien."

Trump, Berlusconi (et Tapie) comme modèles

Quand on demande à Oleg Tinkov quels sont ses modèles, il n'a que des exemples d'entrepreneurs étrangers à la bouche. Il cite Henry Ford – l'inventeur du travail à la chaîne : "J'ai toujours été inspiré par lui" –  dans une interview, Elon Musk – le très inventif patron de Tesla – dans une autre. 

Ne lui parlez surtout pas d'hommes politiques. Comme le rappelle le site spécialisé The Inner Ring, il a déclaré un jour "je chie sur la politique". Il aussi nie tout contact avec Vladimir Poutine : "Jamais je n'ai mis les pieds au Kremlin". Là encore les quelques exemples qu'il cite sont étrangers, mais plutôt inattendus : "Donald Trump est génial ! Il est franc, c’est un type honnête", confie-t-il au Financial Times. Avant que le milliardaire ne se lance dans la course à la présidentielle américaine, un seul autre trouvait grâce à ses yeux : Silvio Berlusconi. “Tous les politiques mentent, quand tout est dit. Mais Berlusconi est sincère."

Oleg Tinkov n'a pas cité Bernard Tapie, mais la ressemblance saute aux yeux. Comme l'ancien patron de La Vie Claire, il cherche à transposer les méthodes de l'entreprise au cyclisme, un milieu gangrené par le copinage selon lui. "Les équipes européennes – hormis les anglo-saxonnes – ne font qu'embaucher des gens en qui elles ont confiance. Confiance, pas confiance, elles n'ont que ça à la bouche. Mais merde ! Je ne veux pas quelqu'un en qui j'ai confiance, mais quelqu'un de professionnel", s'emporte-t-il lors d'une interview à SportProMedia

Quand des équipes font profession de ne jamais engager d'anciens dopés, lui s'en moque, et déroule le tapis rouge pour Alberto Contador, à l'issue de sa suspension, ou Bjarne Riis, vainqueur dopé du Tour 1996, devenu directeur sportif et copropriétaire de la structure. Lors d'une de ses premières interventions auprès de son équipe, en 2007, il aurait même lâché : "faites ce que vous voulez, du moment que vous ne vous faites pas prendre".

Une façon comme une autre de dépenser son argent

Oleg Tinkov et son coureur Alberto Contador, le 31 mai 2015 à Turin (Italie), lors de la dernière étape du Giro. (DANIEL DAL ZENNARO/AP/SIPA / AP)

Tinkov est seul maître à bord de son équipe, une indépendance qu'il a mise longtemps à acquérir. Sa première équipe a été rachetée par le Kremlin – pour devenir l'actuelle Katusha – et il a fini par évincer Bjarne Riis pour diriger seul son équipe. Ce président supporteur, qui s'est teint les cheveux en rose lors d'une victoire sur le Giro, joue avec les nerfs de ses coureurs : Alberto Contador, 4e du Tour 2013, avant de sécher la Vuelta, en prend pour son grade sur Twitter : "Et son énorme salaire, il est trop fatigué pour le toucher ?" Forcément, "El Pistolero" s'était vu prêter son jet privé par le milliardaire pour améliorer sa récupération.

Cette année, il menace de se retirer du cyclisme si les patrons d'équipes n'obtiennent pas un meilleur retour sur investissement. "Comme un enfant, je joue avec mon jouet, et un jour, peut-être, il m'intéressera moins", a-t-il confié à la Gazzetta dello Sport. Aux dernières nouvelles, il aurait changé d'avis et en aurait fait part à ses troupes lors du premier jour de repos du Tour de France, à Andorre.

Le vélo est un signe extérieur de richesse comme un autre d'après lui. "Je préfère dépenser de l’argent comme ça plutôt que d’en perdre au casino, ou en me payant des prostituées ou un stupide yacht." Au point de motiver ses coureurs comme des traders courant après un bonus. Rafal Majka a gagné une voiture de collection – une Aston Martin – en remportant une seconde étape sur le Tour 2015. Tinkov, qui a tenté de revenir sur sa promesse en direct à la télévision belge, a finalement tenu parole, raconte Cyclingnews. Dernière frasque en date, une douche, nu, au bord de la voiture de son équipe, après une sortie à vélo, devant les caméras de la télévision hollandaise NOS.

Vous avez dit fantasque ? Son compte Twitter est un réservoir infini de punchline, de coups bas et de traits d'esprit. Sans qu'il ne les pense toujours, du moins, c'est ce qu'il essaie de faire croire : "Internet, c'est pour le porno et pour s'amuser. Ne prenez pas au sérieux ce que je dis."

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