Tour de France : au Mont-Saint-Michel, "on n'a pas besoin de la Grande Boucle"
Un an avant le départ de la Grande Boucle de l'îlot rocheux d'où s'élève l'emblématique abbaye normande, riverains, écologistes, défenseurs du patrimoine et commerçants se montrent très sceptiques sur l'intérêt d'accueillir le grand barnum du Tour.
Quelques timides panneaux ont déjà fait leur apparition dans la baie. L'an prochain, le département de la Manche sera le théâtre du grand départ du Tour de France 2016. Un départ au pied du monument de province le plus visité de France : le Mont-Saint-Michel. Mais la Grande Boucle est-elle une bonne affaire pour l'emblématique abbaye normande ? Pas si sûr, à en croire les locaux…
"Et l'année prochaine, ils installent une quatre-voies ?"
La relation entre le Tour de France et le Mont-Saint-Michel est récente, mais déjà compliquée. Le précédent de 2013, quand les Montois avaient eu droit à un contre-la-montre sous leurs fenêtres, est encore dans toutes les mémoires. Quelques semaines avant le passage des coureurs, des ouvriers avaient construit 150 mètres de route au pied de la citadelle, au mépris de toutes les règles environnementales.
Henry Decaëns, le président de l'association des Amis du Mont-Saint-Michel, s'était élevé dans la presse. Seul. A l'époque, les associations écologistes ne sont "pas au courant". Chez ASO, la société qui organise le Tour de France, on affirme tout ignorer de l'affaire. Et quelques mois plus tard, la route éphémère – qui a coûté la bagatelle de 150 000 euros – est démolie, dans le cadre des travaux entrepris pour rendre au Mont son caractère insulaire. L'affaire a laissé des traces. "Et l'année prochaine, ils vont installer une quatre-voies qui fait le tour de l'abbaye pour faire de belles images ?" ironise aujourd'hui un touriste, habitué des lieux.
En 1990 déjà, le premier passage de la Grande Boucle n'avait pas laissé de souvenir impérissable. "La première fois que le Tour de France est passé au Mont, le gestionnaire de l'époque trouvait que cela avait donné une mauvaise image du site, se souvient Henry Decaëns, toujours en veste de costume malgré la canicule naissante, comme pour mieux souligner son rôle de gardien du temple. En quoi est-ce que cela a changé aujourd'hui ? Le Mont n'a pas besoin du Tour, c'est plutôt l'inverse. Cela permettrait d'attirer plus de touristes ? J'ai déjà fait plusieurs émissions type 'Des racines et des ailes' pour la télévision japonaise NHK, et je vous assure que cela a autrement plus d'impact sur la fréquentation."
C'est un pas de plus vers la Disneylandisation du lieu.
"Mieux vaut avoir du beau temps que le Tour de France"
A un an du grand départ, les commerçants du Mont ne semblent guère plus emballés par l'événement, et ne relèvent pas encore d'engouement particulier. A l'hôtel des Terrasses de la Mère Poulard, seules "quelques demandes" ont été enregistrées pour le départ du Tour 2016. "Juillet-août, c'est souvent plein de toutes façons. Les gens s'y prennent plus tôt, c'est tout." Les vendeurs de souvenirs, eux, font carrément la grimace : l'accès au site sera perturbé ce jour-là, et on imagine mal le public du Tour se charger de paquets de biscuits secs ou de magnets.
Christine Gaulois, la présidente de l'Union des commerçants, dont le restaurant familial nourrit les visiteurs du Mont depuis deux siècles, ne se fait pas d'illusions : "Ce passage du Tour de France, cela permet de faire parler du Mont-Saint-Michel et d'apparaître sur de belles images diffusées partout dans le monde. Mais les retombées ne seront pas immédiates. Pour nous, il vaut mieux avoir du beau temps pendant deux mois que d'avoir le Tour de France et un été pourri !"
"Cela va faire plus de monde... pour utiliser nos toilettes"
Pour trouver des personnes réjouies par l'événement, c'est dans l'arrière-pays qu'il faut aller. Comme à l'office du tourisme de Pontorson, à dix kilomètres du Mont : "Pour nous, ce sera comme un deuxième 15 août en terme de fréquentation." Mais, à l'intérieur des terres, l'enthousiasme est loin d'être partagé par tous. La route qui quitte le Mont-Saint-Michel pour s'enfoncer en Normandie passe devant une biscuiterie régionale, qui jouit d'une vue imprenable sur l'abbaye. Ici, le Tour n'est pas vu comme une bonne affaire pour le commerce. "C'est sûr que cela va faire plus de monde... Pas pour acheter des biscuits, mais pour utiliser nos toilettes", soupire, fataliste, la gérante.
A l'association Ageb, qui défend la baie du Mont-Saint-Michel, on craint surtout que ce coup de projecteur d'un jour ne profite que de façon marginale et très ponctuelle au département de la Manche, qui devra payer la facture. "Quand je suis allée dans le grand office du tourisme situé à côté du parking du Mont-Saint-Michel pour demander ce qu'il y avait d'autre à faire dans la région, on m'a orienté vers la Bretagne et Saint-Malo, peste Marie-Claude Manet, la présidente de l'association, qui passe ses vacances depuis son enfance à Genêts, à huit kilomètres au nord du Mont-Saint-Michel, et plus aucun touriste à la ronde. Quand j'ai demandé 'Et en Basse-Normandie ?', on m'a orienté vers le syndicat d'initiative d'Avranches."
Le vélo n'est même pas le bienvenu au Mont
"Pour le vélo 24/24." Depuis la plage qui encercle le Mont, les touristes peuvent malgré tout apercevoir une banderole qui tente de faire la promotion du vélo. Des supporters de la Grande Boucle qui réclament le passage de plus en plus fréquent des Contador et autres Froome en Basse-Normandie ? Non. Simplement des utilisateurs de la petite reine qui veulent juste pouvoir circuler ! Au Mont comme sur la passerelle qui relie l'abbaye à la terre ferme, l'usage de la bicyclette est strictement interdit du 1er mai au 30 septembre, de 10 heures à 18 heures. La faute à un manque d'espace pour les deux-roues, entre les navettes de Veolia et les nombreux piétons… Ni l'architecte ni le gestionnaire n'y avaient pensé. Faute de parking, les touristes qui bravent l'interdiction (ou qui l'ignorent) garent leur bicyclette contre les vénérables remparts. Ce mardi 30 juin, en pleine canicule, il y en a une bonne trentaine. Pour l'image de marque, on repassera.
Cette interdiction n'a pas eu l'air de gêner ASO pour fixer le départ du Tour 2016. Vous avez dit paradoxal ? "J'ai écrit à Christian Prudhomme, le directeur du Tour, pour lui conseiller de donner le départ tôt le matin ou alors en soirée pour éviter d'être hors la loi !" sourit Jean-Michel Blanchet, le président de l'association VéloCité d'Avranches, qui a lancé une pétition à ce sujet. "Je n'ai pas eu de réponse. Mais si jamais l'interdiction est maintenue l'année prochaine, on risque de nous voir sur le bord de la route."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.