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À Wimbledon, le service-volée fait face à son obsolescence programmée

Totalement délaissé à Wimbledon, le fameux enchaînement "service-volée" semble désormais un vague souvenir du tennis moderne, témoin d'une évolution du jeu, devenu plus standardisé et robotique.

Article rédigé par franceinfo: sport - Hugo Lauzy
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8 min
Le Suisse Roger Federer à la volée contre le Polonais Hubert Hurkacz, en quarts de finale de Wimbledon, mercredi 7 juillet 2021. (SHUHEI YOKOYAMA / YOMIURI / AFP)

18h34, dimanche 11 juillet 2021. Novak Djokovic, numéro 1 mondial, vient de remporter son 20e tournoi du Grand Chelem après 3h23 de match. Son sixième Wimbledon, face à l'Italien Matteo Berrettini. Le Serbe de 34 ans n'a pas cessé d'éxecuter des allers-retours sur le Centre Court. Résultat : une ligne de fond de court terreuse et bosselée, mais un gazon vert et immaculé près du filet. Symbole d'un service-volée désormais aux abonnés absents ou presque du plus célèbre tournoi au monde.

Il faut dire que le dernier Wimbledon, antre de l'esprit offensif du "serve and volley", n'a pas été très prolixe en termes d'attaques directes au filet. Utilisé pour raccourcir les échanges de fond de court des joueurs stéréotypés depuis les années 1980 et le gaucher américain John McEnroe, il est devenu l'ombre de lui-même ces dernières années. Signe d'une évolution du jeu désormais tournée vers des styles polyvalents, comme celui de Novak Djokovic et où les serveurs-volleyeurs ne représentent plus qu'un cercle fermé. 

Moins de 4% des points joués chez les messieurs à Wimbledon en 2021

Souvent prisé des grands noms du tennis, comme McEnroe, Becker, Sampras ou même Federer à ses débuts, Navratilova, Novotna et Mauresmo chez les dames, le service-volée a cassé les codes du tennis traditionnel. Ce coup si particulier alliait aussi l'efficacité à l'élégance. Mais désormais, très peu sont celles et ceux à le tenter, à l'exception de grands serveurs et de joueurs teintés de l'esprit "volleyeur" du double. 

À Wimbledon, le service-volée a été employé avec une extrême parcimonie en 2021. Moins de 4% des points joués dans le tableau messieurs avant les demi-finales, un crime de lèse-majesté encore plus visible chez les dames, où celui-ci représentait 1% des échanges disputés en 2018. Une statistique saisissante quand 37% des points étaient joués avec cette même technique en 2001. Une date déclic sur le gazon londonien, où le grand serveur croate Goran Ivanisevic avait remporté le tournoi en inscrivant la bagatelle de 213 aces en sept matchs. 

"Les Anglais ont changé le type de gazon à Wimbledon il y a une vingtaine d'années. Le rebond est maintenant beaucoup plus haut avec une herbe plus rustique, plus rude et qui freine la balle pour monter plus à la verticale, là où elle fusait auparavant. [...] Ce changement a été fait car ils craignaient (Goran) Ivanisevic et des joueurs qui faisaient des aces à tours de bras. Ils se sont dit : 'Si on ne fait pas quelque chose, notre tennis sur gazon va être mis en danger par des joueurs qui jouent en une seule frappe de balle' ", explique Guy Forget, ex-joueur français des années 1980 et 1990 et désormais directeur de Roland-Garros. 

Les serveurs-volleyeurs ont été remplacés par de grands serveurs aux coups de boutoir et aux coups droits destructeurs. Stefan Edberg, Boris Becker ou Patrick Rafter ont été remplacés par des John Isner, Reilly Opelka ou Ivo Karlovic. D'autres morphotypes à la fois plus grands et plus puissants pour des joueurs considérés comme les derniers des Mohicans. Federer, Herbert ou Mahut en sont aussi des versions améliorées, même si le service-volée n'incarne en aucun cas l'alpha et l'oméga de leur jeu.

Le cordage comme marqueur d'une nouvelle ère

Plusieurs paramètres sont donc à l'origine de la lente mais sans cesse continue disparition du service-volée sur les surfaces rapides, comme le gazon ou le dur. Des terrains devenus plus lents, un matériel plus résistant ou encore l'absence de joueurs ultra-offensifs et têtes brûlées d'un tennis tout feu tout flamme. La part du matériel dans ce changement d'époque "tennistique" est un des principaux arguments mis sur le devant de la scène.

"L'une des plus grandes évolutions techniques a eu lieu à l'époque de Gustavo Kuerten (fin des années 1990), où certains joueurs ont commencé à jouer avec des cordages polyester extrêmement raides qui permettent des trajectoires très plongeantes et favorables aux longs échanges. Ils sont aujourd'hui utilisés par 80 à 90 % des joueurs sur le circuit, résume Guy Forget, ex-numéro 4 mondial. Sur gazon, le jeu vers l'avant est beaucoup moins pratiqué car le jeu est beaucoup plus lent maintenant et en plus quand ils vont à la volée, à part ceux qui jouent avec du cordage hybride (10 à 20 % des joueurs), ils sont très souvent pénalisés parce qu'une faute de centrage est tout de suite sanctionnée."

Une évolution du matériel qui ne fait pas l'unanimité dans le microcosme de la balle jaune pour expliquer ce changement d'époque : "Tous les anciens joueurs utilisent l'argument des cordes et du matériel pour expliquer pourquoi nous jouons plus long et profond qu'avant. [...] Les gars servaient toujours service-volée il y a 15 ans, mais le jeu a changé. Cela n'a rien à voir avec les cordes car les gars peuvent toujours choisir d'utiliser les boyaux s'ils le souhaitent. Tout le monde est tellement plus rapide. Le jeu va trop vite pour le service-volée maintenant. C'est trop difficile", expliquait le Britannique Andy Murray en 2012.

Le service-volée, d'arme fatale à une simple variation de jeu

Depuis la recomposition du gazon de Wimbledon en 2001, les joueurs de fond de court et les contreurs ont repris le dessus sur herbe comme ailleurs. Lleyton Hewitt, Rafael Nadal ou Andy Murray ont profité de cette évolution pour disposer du lift comme nouvelle arme fatale sur herbe. Lors de l'édition 2002 de Wimbledon, les joueurs ont utilisé le service-volée sur 9 168 points contre seulement 1 980 en 2018, selon le New York Times. Tout un ensemble de modifications qui ont fait passer le service-volée pour une simple variation de jeu, surtout employé en tant que dernier recours tactique pour débloquer une situation extrême. 

Pour Guy Forget, l'uniformisation des surfaces a créé une homogénéité renforcée des styles de jeu : "Le gazon était très différent, donc c'était les joueurs qui allaient le plus tôt et le plus vite au filet qui étaient le plus performant. Il fallait tenir son service coûte que coûte... Aujourd'hui, on se rend compte que les joueurs peuvent retourner de très loin, lancer un échange et ça se joue du fond du court. Les styles de jeu aujourd'hui sur gazon sont les mêmes que sur terre battue. Quand je vois (Matteo) Berrettini qui fait des décalages coup droit en permanence, je me dis qu'il n'a pas finalement changé grand-chose par rapport à Roland-Garros."

Une richesse du tennis qui a perdu la vie au fil des années et des oppositions de style pour les plus nostalgiques. "Si on a aimé Borg-McEnroe, Sampras-Agassi ou Federer-Nadal, il faut que cela continue... C'est là qu'il faut que nos dirigeants réfléchissent, notamment la Fédération internationale (ITF), estime Guy Forget. Le jeu est toujours aussi offensif, mais il est offensif d'une autre manière. C'est plus brutal, c'est plus heurté, il y a moins de variétés et finalement c'est celui qui arrive à attaquer le premier mais en faisant moins de fautes. Le problème c'est que la variation de jeu, on ne la voit quasiment jamais et c'est dommage." 

Un manque de créativité et d'originalité encore plus visible dans le tableau féminin ces dernières années, où les serveuses et les relanceuses ont la part belle. "On se souvient des duels mythiques entre Navratilova et Evert ou Steffi Graf et Monica Seles parce qu'il y avait vraiment deux manières de jouer différentes. Et on se disait laquelle des deux va s'imposer sur gazon ou terre battue. C'est ça qui est sympa. Si vous mettez demain face-à-face deux joueurs qui jouent strictement de la même manière, vous allez avoir toujours le même style de match."

Passé d'un extrême à l'autre, le service-volée est aussi une marque de distinction et d'originalité qui a souvent permis de déstabiliser les meilleurs mondiaux, habitués à des oppositions classiques de fond de court. "Avant la finale de Coupe Davis contre la Serbie à Belgrade (en 2010), Djokovic avait perdu contre Michaël Llodra à Bercy. Ce jour-là Llodra avait proposé un style de jeu que Djokovic n'aime pas, se souvient Forget, alors capitaine de l'équipe de France de Coupe Davis. Si on prend l'exemple de Nadal à Roland-Garros et de ceux qui l'ont battu ou failli le battre, ce sont Soderling ou Isner, des garçons qui à un moment donné les font sortir de leur style de jeu habituel..."

Un constat régulier et sans appel fait d'année en année sur l'ensemble des tournois aux quatre coins du monde. Longtemps exercé par les meilleurs joueurs du circuit, le service-volée est actuellement une denrée rare du tennis. Entre nostalgie et nécessaire évolution du jeu vers des échanges plus longs et endurants, le débat est toujours actif en coulisses. Sur le terrain par contre, sa mort est presque définitive à défaut de renaître à quelques occasions sur herbe, toujours un peu plus qu'ailleurs.

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