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US Open : le jour où Gaël Monfils est passé à deux balles d'un exploit monumental

Gaël Monfils disputera ce mercredi face à Matteo Berrettini son quatrième quart de finale à l’US Open. S’il sera favori de la rencontre, le Français était bien loin de l’être au même stade du tournoi, en 2014, face à un certain Roger Federer. Il avait pourtant frôlé l’exploit, en se procurant deux balles de match dans le quatrième set. Un souvenir douloureux, mais qui marque néanmoins le début de son histoire d'amour avec Flushing, où il est aujourd'hui adulé. Récit.
Article rédigé par Emilien Diaz
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 14min
 

"S’il gagnait ici, il ne me surprendrait pas. Le seul que je vois plus fort que lui, c’est Novak Djokovic. Contre Federer, en cinq sets, s’il s’y prend bien, Roger ne va pas rigoler". Gilles Simon ne croit pas si bien dire en ce mercredi 3 septembre 2014, au moment d’évoquer celui qu’il entraîne (un peu) - selon son propre aveu - depuis le début de l’été. Car oui, voilà quelques mois que Gaël Monfils s’appuie sur les conseils du joueur niçois pour faire évoluer son jeu. "J’ai toujours dit que si je le coachais, il gagnerait un Grand Chelem" plaisante même Simon, pas forcément mécontent de voir son ami bosser en indépendant, "Je le prépare pour Roger, et après il se démerde", poursuit-il non sans dérision. 

De l’autre côté du filet, le principal intéressé doit moins s’en amuser. Monfils le sait, il s’apprête à disputer face au numéro 3 mondial un match dont il ne saurait mesurer l’importance. Une rencontre aux allures de mission impossible, certes, mais qui pourrait lui ouvrir pour la première fois les portes du dernier carré à Flushing. "Je pense que les billets vont se vendre cher", s’avance Henri Leconte, "Même chez les joueur, ça va se battre. C’est le match que tout le monde veut voir, comme un Becker-Edberg ou un Connors-Borg. C’est du spectacle que l’on veut, et le tennis en a bien besoin aujourd’hui" poursuit le finaliste de Roland-Garros 1988. 

Mais comment expliquer un tel engouement autour d’un ¼ de finale, sur le papier, tout ce qu’il y a de plus banal, et comme on a l’habitude d’en voir chaque année dans le Queen’s ? Inutile de chercher l’explication dans une encyclopédie, des statistiques ou un livre d’histoire. La réalité vient du terrain, mais surtout des gigantesques gradins du court Arthur Ashe, là où 20.000 new-yorkais se sont mis à croire que "l’homme de la nuit" - comme on appelle ici le Français - pouvait transformer son show habituel en une véritable performance : faire tomber le meilleur joueur de l’histoire, quintuple vainqueur du tournoi (2004-2008). 

"Un truc que j’aimerais lui piquer…"

Et comme si cela ne suffisait pas à convaincre, Roger Federer lui-même en rajoute une couche, histoire de donner à ce combat une dimension supplémentaire avant même qu’il n’ait commencé : "Je crois pouvoir parler au nom de la majorité des joueurs : on adore le (Monfils) regarder jouer. Il y a beaucoup de choses dans son jeu qui m’impressionnent et j’ai beaucoup de respect pour son côté athlétique" confie le Suisse, "S’il y a un truc que j’aimerais lui piquer, c’est ce qu’il arrive à faire avec la balle quand il est à quatre ou cinq mètres derrière la ligne de fond de court. C’est incroyable à quel point il peut anticiper, lire les trajectoires et revenir dans l’échange en un seul coup" poursuit le quart de finaliste. 

Il faut dire que même s’il n’aime pas les conditions de jeu sur le Central de New-York, Gaël Monfils s'est montré plutôt à l’aise au tour précédent, face au Bulgare Grigor Dimitrov (7-5, 7-6, 7-5). "C’est la première fois que je gagne sur le Ashe" a d’ailleurs rappelé le Parisien, "Franchement sur ce court, les conditions sont vraiment spéciales. C’est un terrain où il y a tout le temps du vent, et c’est très étrange (on parle d’une époque où il n’y avait pas encore de toit installé)". Mais si Monfils n’aime pas le Ashe, le Ashe aime Monfils, et s’est chargé de le lui rappeler après sa victoire en huitième. Difficile de s’y tromper : le Français est en forme. Il n’a pas concédé le moindre set depuis le début du tournoi. Une première. 

Pourtant, la mission qui est la sienne en ¼ de finale a tout du mauvais traquenard. Toujours battu par Roger Federer en Grand Chelem – à chaque fois aux Internationaux de France (2008, 2009, 2011) – le 24e joueur à l’ATP sait à quoi s’attendre face au Suisse, mais connaît aussi son potentiel. "Il faut que je crois en moi" s’encourage-t-il, alors que son ami Gilles Simon cible lui autre chose. "Son ennemi numéro 1, c’est sa concentration" révèle le Niçois, qui explique avoir commencé sa leçon en faisant regarder à Monfils le DVD de son dernier match à Cincinatti, où il venait de se faire éliminer au troisième tour par un certain … Roger Federer (6-4, 4-6, 6-3). "Gaël n’a commencé à jouer qu’après un set et demi dans ce match, et il a failli le gagner" s’agace Simon, convaincu que son pote peut devenir le successeur de Yannick Noah, dernier tricolore sacré en Grand Chelem (1983). 

Le droit de rêver

Arrivé tard sur le court dans la nuit américaine, les deux joueurs se retrouvent face à face pour la 10e fois de leur carrière. Le Suisse, ultra-favori, l’a emporté à sept reprises, contre deux victoires pour le Français, victorieux à Shanghai l’année précédente, et au Masters de Paris en 2010. "On peut rêver. S’il sert aussi bien que contre Dimitrov, Gaël peut provoquer quelque chose" se convainc tout de même Henri Leconte interrogé par l’Equipe. Le début de match lui donne raison. Auteur d’une bonne entame, où il parvient sérieusement à bouger le recordman du nombre titres en Grand Chelem (17 à l’époque) sur son coup droit, Monfils fait craquer son adversaire sur son service, et remporte la première manche 6-4. Il n’avait plus chipé un set au Bâlois dans un tournoi du Grand Chelem depuis 2008.

"Entreprenant et parfois spectaculaire" comme l’écrira Eurosport après le match, le Français parvient de nouveau à faire la différence en début de deuxième set, au point de faire vaciller l’ancien numéro 1 mondial sur sa mise en jeu. Puni sur une amortie mal touchée, Federer encaisse un break d’entrée. Monfils est clairement en train de prendre l’ascendant dans ce match, et cela se confirme à 2 sets 0.  Le Bâlois est touché, son orgueil aussi. Et cela va se voir. 

On ne saurait trop dire ce qui s’est passé dans la tête du « Maître » à ce moment-là, mais il est fort à parier qu’il a pu se rappeler l’espace d’un instant au mauvais souvenir de Wimbledon 2011, lorsque Jo-Wilfried Tsonga – seul français à l’avoir battu en Grand Chelem avec Arnaud Clément – avait remporté un match dantesque, alors qu’il était mené deux sets à rien par le Suisse. Trois ans plus tard sur le central de Flushing, on joue le début de la troisième manche et les rôles sont inversés. Federer devient le chasseur et non plus le chassé. Se venger de Tsonga sur Monfils ne serait pas une si mauvaise idée…

Un tout autre match débute alors. Le numéro 3 mondial, poussé par le public new-yorkais, décide d’accélérer. Bien plus précis – une seule faute directe sur le set, 80% de premières balles passées – Roger Federer semble avoir retrouvé son tennis. Pas moins audacieux, toujours aussi véloce, Gaël Monfils subit. Il ne parvient plus à couvrir la totalité du court et concède plusieurs points au filet, où Federer n’hésite pas à monter. Breaké deux fois, le Parisien concède assez logiquement le gain de la troisième manche, et s’enlise dans un combat de tous les instants. "Il jouait de mieux en mieux, il me mettait dans des situations de plus en plus inconfortables" confiera Monfils un peu plus tard. 

D’autant que malgré sa sympathie pour la Monf, Flushing préfère crier son amour pour Roger, et ne s’imagine plus un seul instant voir le Maître tomber avant le dernier carré. "Quand il a breaké au troisième. Le public s’est vite rallié à sa cause. Ils étaient à fond pour lui" expliquera le 24e mondial, qui ne se démobilise cependant pas dans le quatrième round. Les deux joueurs se rendent coup pour coup mais Monfils fait la course en tête. A 5-4 en faveur du Français, Federer sert pour rester dans le match. A 15-30 il craque sur sa mise en jeu et offre deux balles de matches à son adversaire. Deux balles d’une première demi-finale à l’US Open pour le tricolore.

Le court Arthur Ashe est en folie. On encourage Roger comme s’il jouait une finale. "Le public s’époumone pour Federer, son dieu. Le preneur de son ne sait même plus où donner de l’ouïe" écrira d'ailleurs l’Equipe. D’ une audace incroyable, le numéro trois mondial décide alors de prendre tous les risques et monte au filet à deux reprises. Une première balle de match sauvée en revers, puis une deuxième sur un coup droit saignant long de ligne. Incroyable ! Gael Monfils vient de laisser passer sa chance de victoire. Deux chances de victoire ! 

"Avec Gaël, tu n’es jamais à l’abri d’un passing de feu, comme sur la première balle de match. J’ai espéré très fort qu’il sorte. Dans le quatrième, j’ai eu plus d’occasions que lui et cela aurait été incroyable d’être breaké à 5-4 et de perdre un match de cette manière" avouera Federer après la rencontre. A la détresse mentale du Français - bien conscient d’avoir failli dans un moment crucial - s’ajoute la défaillance physique. Epuisé par les lourdes frappes qu’il envoie depuis bientôt trois heures dans le camp adverse, Monfils lâche prise et se fait breaker dans la foulée. Deux manches partout balle au centre. Le numéro trois mondial vient de revenir de nulle part, et n’en a pas terminé avec sa remontée fantastique. 

"Un jour, ça le fera"

"Au 5e set, j’ai pris un petit coup au moral. J’ai eu cinq minutes plus difficiles physiquement, seulement cinq minutes, mais Roger en a parfaitement profité" expliquera Monfils après la partie. Ces cinq minutes sont en fait les toutes premières de l’ultime manche, durant lesquelles Roger Federer profite de son ascendance psychologique acquise sur les balles de match pour breaker d’entrée. La messe est dite. Le Maître a repris ses droits, l’élève ne reviendra plus. Monfils perd le cinquième set 6-2 et dit adieu à l’exploit qu’il tenait du bout des doigts. C’est la cinquième fois de suite qu’il échoue aux portes du dernier carré d’un tournoi du Grand Chelem. 

"Je ne pense pas seulement aux deux balles de match, mais à toute la physionomie de la rencontre (…) Je n’étais pas loin de gagner, j’étais bien dans mon match, bien dans ma tactique, dans mes coups. Cela ne passe pas à grand-chose" analyse le Français, forcément déçu, "Ce n’est pas facile à encaisser. C’est difficile maintenant, mais ça montre que je ne suis pas loin. Un jour, ça le fera" essaie-t-il de positiver. 

Reste de ce match un point crucial : la Monf n’aura pas dérogé à la règle, celle de faire rêver les spectateurs venus assister à ce combat des chefs. "Monfils a éclairé l’US Open de son style inimitable, distillant une myriade de coups spectaculaires accompagnés de mimiques arrachant des râles de plaisir aux spectateurs new-yorkais, et faisant le délice des réseaux sociaux" peut-on lire dans l’Equipe le lendemain. Car oui, c’est avant tout cela qui fait la patte Monfils. Ce qui le rend si imprévisible, mais aussi apprécié du public et des joueurs sur le circuit.

Le Français a peut-être manqué ce soir-là une opportunité unique dans sa carrière. D’ailleurs, cinq ans plus tard, il n’a toujours pas réussi à s’offrir le scalp de Roger Federer en Grand-Chelem, même s’il l'a battu deux mois seulement après cette élimination en finale de la Coupe Davis (6-1, 6-4, 6-3). Cette défaite à l'US Open - ô combien amère - lui a cependant offert une place de choix dans l’histoire de Flushing, et dans le coeur des New-Yorkais, qui se régalent toujours devant chacun de ses matches. S’il n’aimait pas le court Arthur Ashe en 2014, la Monf a appris à en faire son terrain de jeu. "C’est définitivement mon deuxième Grand Chelem de coeur après Roland" a-t-il admis cette semaine. Alors qui sait, s'il avait donné une autre suite à son tournoi cette année-là, peut-être que l'US aurait dans son coeur, une autre place de choix. 

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