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"J'ai tout donné et ça a donné ça" : dix ans après, Nicolas Mahut raconte son match face à John Isner, le plus long de l'histoire du tennis

Onze heures et cinq minutes : c’est le temps qu’aura duré le match opposant le Français Nicolas Mahut à l'Américain John Isner sur le court n°18 de Wimbledon, il y a tout juste dix ans. Nicolas Mahut reviens pour franceinfo sur cette rencontre d’anthologie dont il n'a (presque) rien oublié. 

Article rédigé par Fabrice Abgrall
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
John Isner (gauche) réconforte le Français Nicolas Mahut (droite), le 24 juin 2010 à Wimbedon. L'Américain s'est imposé 6/4, 3/6, 6/7, 7/6, 70/68 après 11 heures et 5 minutes de jeu sur trois jours ! (ALISTAIR GRANT / POOL / AP POOL)

C’était il y a dix ans. Le 22 juin 2010, Nicolas Mahut et John Isner se retrouvent face à face au premier tour de Wimbledon. Au moment où ils pénètrent sur le court N°18, l’Angevin et l’Américain ne se doutent pas un seul instant qu’ils vont entrer pour toujours dans l’histoire du tennis. John Isner sortira vainqueur au terme d’un match d’anthologie. L’Américain est venu à bout de Nicolas Mahut en cinq sets. Jusque-là rien d’extraordinaire. Ce qui l’est en revanche, c’est que la cinquième et dernière manche s’est terminée sur le score ahurissant de… 70 à 68 !  Les deux joueurs sont restés sur le court 11 heures et 5 minutes, réparties sur trois jours. Le match le plus long de l’histoire s’est achevé le mercredi 24 juin 2010 à 16h45, heure de Londres, dans une ambiance indescriptible. À jamais réunis dans ce que tout le monde a appelé "le match sans fin", John Isner restera pour toujours le vainqueur magnifique et Nicolas Mahut le perdant valeureux.

Dix ans après, Nicolas Mahut a reçu franceinfo chez lui à Boulogne-Billancourt, non loin de Roland-Garros. L’Angevin est âgé aujourd’hui de 38 ans. Depuis cette rencontre mémorable, il a remporté la Coupe Davis, quatre tournois en simple et 27 titres en double, dont quatre en Grand Chelem. Mais il n'a rien oublié de ce match à Wimbledon en 2010, sa frustration de l’avoir perdu, sa fierté d’avoir joué le match le plus long de l’histoire, sa détresse après la balle de match, la reconnaissance de ses pairs, le dépassement de soi. Il raconte aussi à franceinfo ses rapports avec John Isner, devenu un ami depuis, mais avec qui pourtant il n'a jamais réabordé le sujet.

franceinfo : Dix ans ont passé depuis ce premier tour d'anthologie à Wimbledon. Qu'est-ce que vous gardez de ce match aujourd'hui ?

Nicolas Mahut : C’est encore très frais dans ma mémoire, je me souviens très bien de ce qui s'est passé, et en même temps et il s'est passé tellement de choses depuis que je mesure le chemin parcouru. Après le match, ça aurait pu être quelque part la fin de ma carrière.

J'avais 28 ans. Ça aurait pu être compliqué de rebondir après ça. Et finalement ça a été le début d'une deuxième carrière pour moi. 

Nicolas Mahut, tennisman

à franceinfo

Aujourd'hui je suis très reconnaissant d'avoir joué ce match. Il y a beaucoup de fierté. J'ai un regard différent dix ans après. Sur le coup, il y avait beaucoup de frustration. J'étais en vrai décalage entre les gens qui me félicitaient - je ne comprenais pas d'ailleurs cet engouement - et la détresse dans laquelle moi je me trouvais à ce moment-là. J'ai eu beaucoup de mal à comprendre ça.

Aujourd'hui je mesure que ce match-là allait au-delà du simple fait victoire-défaite. D'ailleurs, aujourd'hui les gens se demandent si je l'ai gagné, mais ils se souviennent du match… Oui, beaucoup de fierté d'avoir mon nom à côté de celui de John sur une plaque sur le court 18. Beaucoup de fierté d'être dans le musée de Wimbledon. J'ai su très rapidement que je ne marquerais pas l'empreinte du tournoi en le gagnant en simple, je voyais très bien que je n'avais pas les capacités, donc le fait d'y être associé pour toujours, c'est une grande joie.

Vous avez joué 11 heures et 5 minutes sur trois jours, le 5e set s'est terminé sur le score de 70 à 68. Avec le recul, vous vous dites que c'était surhumain ? 

Surhumain, non, parce que je l'ai fait ! Et je pense que j'aurais pu continuer. Je pense qu'il y a aussi un concours de circonstances qui fait qu'on a pu réaliser ce match. Il fallait qu'on soit tous les deux dans le même état d'esprit. Tous les deux, on était prêts à aller très très loin et repousser très loin nos limites pour gagner ce match. Finalement ce n'était pas une finale de Grand Chelem, c'était un premier tour, mais malgré tout, en tant que sportifs, on voulait dépasser nos limites et aller au maximum. Il faut aussi un concours de circonstances en termes de météo. On a eu un temps magnifique. Il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid. On a joué le premier jour, on s'est interrompu à deux sets partout. Donc on arrivait le lendemain, on était très frais. Ce sont des instants un petit peu magiques, qui arrivent on ne sait pas trop comment.

À quel moment dans le match vous avez compris qu'il s'était passé quelque chose d'extraordinaire ? 

Je ne sais pas trop parce que le court 18, il faut savoir qu'il est un peu isolé. Il est sur le côté. À l'époque, il y avait un autre court qui était en contrebas.

Le seul moment, le seul repère temporel qu'on avait finalement, c'était la vue sur le tableau du court numéro 1. On voyait les scores avancer, on voyait un match finir en quatre sets, un deuxième match se jouer et se terminer. 

Nicolas Mahut

A un moment, je me suis dit : "Tiens, il y a quand même deux matchs qui viennent de se terminer et nous on y est encore". C'était des petits flashs comme ça. En fait, je sentais, je voyais la tension, l'électricité, ces repères-là de temps en temps, mais j'essayais tout de suite de les chasser pour ne pas me dire : "On est en train de faire un truc incroyable". Parce que je pense que si j'avais été là-dedans, le match se serait arrêté très rapidement. Ça a dû me traverser l'esprit, oui, mais je ne m'en souviens pas parce que consciemment, j'ai voulu chasser ça.


Juste après le match, qu'est-ce qui s'est passé, comment vous avez réagi ?

Ça aussi, ça a été un moment très délicat et douloureux. Autant l'entrée sur le court [le troisième jour] a été fantastique avec la haie d'honneur, etc, autant le retour a été très long. D'un coup j'avais l'impression de peser 100 kilos et je me revois encore monter les marches. On est rentrés dans le vestiaire et c'est vrai que j'ai eu un moment assez difficile où je commençais un peu à délirer, à répéter sans cesse la même chose : "Est-ce que j'ai mal joué, qu’est-ce qui s’est passé ?" J'avais un trou, en fait, je ne me souvenais plus du tout du dernier jeu. Mais pendant ces 30 minutes, pratiquement trois quarts d'heure dans le vestiaire, je ne me souvenais plus de la remise des prix sur le terrain. Encore aujourd'hui, je ne me souviens pas avoir parlé à Tim Henman au micro, etc. Il y a eu une remise des prix, un cadeau que j'ai laissé sur le court, d'ailleurs, que j'ai oublié... Ces instants-là ont été assez difficiles. Ils m'avaient mis dans la douche à moitié habillé pour que je reprenne mes esprits et c'était assez compliqué. Il fallait que je reprenne mes esprits. Pour moi, c'était un deuxième match d'aller en conférence de presse pour essayer d'expliquer ça.

Quel était le regard des autres joueurs, des gens qui vous entouraient ?

Au début, il y a eu beaucoup de compassion et ils ont voulu tout de suite me rassurer parce que moi, mon premier sentiment c’était de les avoir déçus. Donc ils ont dû me rassurer à ce niveau-là en me disant : "Mais Nico, tu ne te rends pas compte de ce que tu as réalisé, c'était une première étape". Après, ceux qui me connaissent bien, qui m'entourent, n'ont pas été étonnés parce qu'ils ont vu un peu ce que le tennis représentait pour moi et à quel point je pouvais être dévoué à ça. En revanche, ce que j'ai gagné c'est la reconnaissance de mes pairs, des plus grands joueurs, parce que tout le monde m'a félicité. Tout le monde a pu reconnaître dans ce match, que ce soit John ou moi, qu'on avait donné un bel exemple pour ce sport. Pour moi, c'était une vraie victoire parce qu’être reconnu par les plus grands de ce sport, c'est une vraie reconnaissance.

Et pendant quelque temps oui, j'ai senti qu'il y avait de la curiosité aussi. Tout le monde se posait la question : "Mais comment ils ont pu faire ça ?", parce que ce n'est pas commun : on avait joué deux fois plus longtemps que le précédent match le plus long de l'histoire ! C’était agréable à vivre.

Si vous deviez retenir un moment précis de ce match, ce serait lequel ?

C'est très dur comme question parce que ce match, il s'est construit. C'est monté crescendo. Il y a eu une première journée assez classique, comme on peut en voir un peu dans chaque Grand Chelem, avec une interruption par la nuit à deux sets partout. Et puis, il y a eu cette deuxième journée qui était pour moi le moment phare de ce match-là. Cinq, six heures de jeu, peut-être un peu plus même. Et puis tout ce qui va avec, c'est à dire qu'on voit le cours se remplir, on voit les photographes venir sur le court. Je me souviens très bien avoir commencé à mettre ma serviette sur ma tête, justement pour rester dans ma bulle et ne pas voir l'agitation, la terrasse du court 18 se remplir, sentir cette électricité dans le stade.

Cette standing ovation : je crois que c'était à 40 partout ou 50 partout au 5e set, c'est un moment qui restera gravé à jamais en moi. Et puis bien sûr, il y a cette entrée sur le court du troisième jour, où on a véritablement une haie d'honneur pratiquement de la sortie des vestiaires jusqu’au court 18. Ce sont des images que je n'oublierai pas. Et puis, bien entendu, la balle de match.

La balle de match, c'est très cruel parce que tout s'écroule. Il faut accepter. Il faut prendre conscience que c'est terminé, parce qu'un moment donné, je me suis dit que je ne m'arrêterai jamais.

Nicolas Mahut

Les organisateurs de Wimbledon vous ont offert un trophée à l'issue du match. Il est toujours exposé chez vous. Qu'est-ce qu'il représente à vos yeux ? 

C'est un geste d'attention que j'ai vraiment apprécié de leur part. Pendant très longtemps c'était le seul trophée que j'ai eu à la maison parce que mon père a gardé toutes les coupes que j'ai eues depuis que je suis tout petit. Ce trophée-là, j'ai voulu le garder parce que pour moi, c'était un vrai symbole. Et je voulais aussi que mon fils grandisse avec ça parce qu'il est né un an après et je voulais qu’il grandisse dans la maison en voyant cette statue, que je puisse lui expliquer ce que ça représentait et pourquoi ce match a été important pour moi. Essayer de lui faire passer certaines valeurs que j'ai voulu transmettre à travers ce match et qui m'ont accompagné tout au long de ma carrière. Pendant très longtemps, ça a été la seule coupe. Et puis finalement, quand après j'ai gagné avec Pierre-Hugues Herbert les Grands Chelems et la Coupe Davis, je voulais que ce soit associé, parce que toute ma carrière et toute ma vie, j'ai travaillé pour ces grands moment-là. Un chemin m'a amené à ça et très certainement que, sans ce match-là, je n’y serais pas arrivé. 

Quels rapports vous avez aujourd'hui avec John Isner ?

Aujourd'hui, John, c'est un ami. D'ailleurs, à côté de la coupe, il y a un petit cadre qu’il m'a envoyé à la naissance de Natanel, une photo de nous deux au moment de la poignée de main, avec un mot très gentil. Mon niveau d'anglais fait que je ne l'appelle pas tous les jours et à mon grand regret, on ne communique pas assez, mais c'est quelqu'un que j'ai appris à connaître après ce match-là. J'avais déjà trouvé que pendant le match et juste après la balle de match, il avait été très, très classe. Et du coup, ça m'a donné envie de le connaître davantage. Et aujourd'hui, on en est très proches. C'est marrant parce qu'on n'en a jamais parlé. Au départ, certainement par pudeur de son côté, parce qu'il a vu dans quelle détresse j'étais à ce moment-là, donc il ne savait peut-être pas comment l'aborder. Très récemment, on s'est dit qu'un jour, il fallait qu'on se pose pour en parler, savoir comment l'un et l'autre avait vécu le match. Je pense qu’un moment donné on prendra le temps. Mais jusqu'à présent on ne l’a jamais évoqué.

Dans ce match, il y eu de l'abnégation, il y a eu de la présence, vous n'avez rien lâché. Quel serait le message que vous pourriez donner aujourd'hui à des jeunes joueurs de tennis par rapport ce match ?

J'ai eu l'opportunité sur ce match-là de tout mettre sur la table, de me mettre à nu. Finalement, les gens ont vu le meilleur de moi-même, ce que je pouvais donner. Je suis allé vraiment au bout de tout ce que je pouvais faire, physiquement, tennistiquement, mentalement. Le message, ce serait que quand on a un objectif qui est vraiment très fort, qui est réalisable, qu'on se donne tous les moyens, sans tricher, on est capable de réaliser de très grandes choses. Après, pour y arriver sur la durée, pour atteindre des grands objectifs, des grands titres, il faut répéter au quotidien. J'ai eu cette opportunité-là dans ma carrière, j'espère que j'en aurai d'autres encore. Mais au moins, j'ai eu ce match-là. J'ai eu l'occasion de tout donner et ça a donné ce match-là. J'espère que ça en a inspiré certains et surtout c'était un message que je voulais aussi adresser à mes enfants. J'espère qu’ils s'appuieront là-dessus pour avancer dans leur vie.

L’interview en intégralité - Dix ans après le match le plus long de l'histoire du tennis mondial, Nicolas Mahut se confie au micro franceinfo de Fabrice Abgrall.

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