"Si je veux pratiquer le surf, je me mets en danger"...  Rawand Abu Ghanem, la surfeuse de Gaza qui rêve de retrouver sa liberté

La jeune Palestinienne, habituée à la liberté que lui procure le surf, est actuellement dans le sud de la bande de Gaza, dans des conditions de vie extrêmement compliquées.
Article rédigé par Simon Bardet
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
Rawand Abu Ghanem (6e personne debout en partant de la droite), lors d'une journée de surf pour le Gaza Surf Club. (© Gaza Surf Club)

"Rawand, première femme surfeuse à Gaza." C'est la signature d'une pionnière, celle de Rawand Abu Ghanem, qui se revendique fièrement comme telle alors qu'elle subit de plein fouet la guerre entre Israël et le Hamas. "Etre la première est aussi un encouragement pour les autres, ajoute-t-elle, car c'est rare de pratiquer ce sport dans une société gazaouie conservatrice, qui préserve les coutumes et les traditions islamiques et qui est touchée par le blocus depuis des années." 

Pionnière mais aussi fer de lance, Rawand Abu Ghanem n'a de cesse de se battre, pour elle et les siens. Elle a d'ailleurs créé une cagnotte pour aider sa famille à survivre. Et salue l'initiative du Queen Classic Surf Festival de Biarritz, qui a récolté des fonds du 13 au 15 septembre pour soutenir le Gaza Surf Club, dont elle est l'un des membres. "Certains peuvent aider par leurs mots de soutien, d'autres par des actions, et d'autres financièrement", énumère-t-elle.

Sa passion pour le surf, Rawand Abu Ghanem la tient de sa famille, puisque son grand-père, son père et ses frères ont tous reçu l'appel du large. "Ils travaillaient comme maîtres-nageurs sauveteurs et pêcheurs et ils adoraient ça. En plus de cela, ils ont été les premiers à surfer dans la bande de Gaza", se remémore la Palestinienne, qui a profité de la maison familiale avec vue sur mer pour s'approcher pas à pas de la Méditerranée. "J'allais toujours avec mon père, pour le voir nager et surfer. Petit à petit, je l'ai imité avec mes frères, quand j'avais 12 ans. J'ai commencé à m'entraîner et j'ai adoré ça. C'est devenu mon sport favori."

Le surf comme remède à la tristesse

"Pour moi, le surf est synonyme de liberté, de bonheur, de force et de bravoure. Lorsque je me sens triste, la première chose à laquelle je pense, c'est d'aller à la mer et de faire du surf. J'ai l'impression d'être dans un autre monde, en volant dans le ciel comme un oiseau. Cela change mon humeur et je me sens à nouveau totalement heureuse", dévoile-t-elle.

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Cet exutoire, la jeune femme palestinienne ne l'a plus depuis le mois d'octobre 2023. Sa planche, comme son maillot de bain, sont restés derrière elle dans sa maison endommagée. "Je n'ai pas surfé depuis un an, détaille-t-elle, pour plusieurs raisons. D'abord, la guerre en cours m'a empêchée de m'installer quelque part, j'ai été déplacée plusieurs fois d'un endroit à l'autre pour survivre. Et il n'y a pas d'endroit sûr dans toute la bande de Gaza, même la mer. Si je veux pratiquer mon sport, je me mets en danger. Je dois attendre, et espérer que la paix et la sécurité reviennent."

La survie, en attendant la paix

Une attente interminable, dans des conditions extrêmement difficiles, bien loin de la liberté que lui offrent ses moments sur l'eau. Avec son mari, Ibrahim Abu Afifa, et Yamen, leur fils qui vient de fêter ses 4 ans, ils ont dû fuir, passer d'un endroit à un autre, en espérant survivre. "La vérité, c'est qu'il n'y a pas d'endroit sûr dans toute la bande de Gaza. C'est un très gros mensonge d'affirmer cela", précise-t-elle.

"J'ai été déplacée dans ce que l'on appelle une ‘zone sûre', et nous avons subi des bombardements. Tous les endroits sont exposés aux bombardements et à la mort, c'est la vérité."

Rawand Abu Ghanem

à franceinfo: sport

En milieu de semaine dernière, le dialogue a été coupé à cause de frappes non loin du campement où la famille séjourne. "Je suis vivante", nous a-t-elle ensuite indiqué dans un message, comme une petite victoire de plus dans la lutte pour sa survie.

Plus loin de la côte, au sud de la bande de Gaza, Rawand Abu Ghanem attend des jours meilleurs à Khan Younès, dans la région d'al-Mawasi. Elle vit avec sa famille "dans une simple tente", où l'eau qu'elle chérit tant d'habitude devient une dangereuse ennemie. "Il n'y a pas de traitement de l'eau. Parfois nous sommes obligés de boire de l'eau polluée et salée et nous tombons malades à cause de ça, regrette-t-elle. C'est difficile d'éclairer la tente, de charger le téléphone, de prendre une douche, de dormir à même le sol, car il y a du sable et des insectes partout, et pas moyen de fermer les tentes complètement. En plus de cela, il y a la chaleur extrême sous la tente. La vie est difficile."

"Ma vie s'est arrêtée au moment de cet horrible conflit. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point le surf me manque. La mer et le surf, c'est toute ma vie !"

Rawand Abu Ghanem

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"Mais la situation est différente aujourd'hui, détaille-t-elle. Des choses simples sont devenues plus importantes : la nourriture, l'eau, la sécurité, les vêtements, un bon endroit où rester. Une fois que je retrouverai ça, je pourrai penser à surfer et à profiter de la mer."

Rawand Abu Ghanem avec son fils (casquette sur la tête), en mai 2024 à Gaza. (© Rawand Abu Ghanem)

Et rejoindre le Gaza Surf Club, créé en 2008 par son "grand ami Matthew Olsen, pour améliorer la pratique du surf et apprendre aux gens à surfer". L'Américain précise que "ce n'est pas un club officiel à Gaza", qu'ils ont "essayé de l'établir à Gaza en tant qu'entité officielle pendant de nombreuses années", mais qu'ils se sont heurtés "au gouvernement du Hamas". Les retrouvailles, lorsqu'elles pourront avoir lieu, s'annoncent forcément déchirantes, puisque "plusieurs amis sont morts, d'autres ont été blessés", se désole la jeune femme.

Voyager, dans d'autres conditions

Rawand Abu Ghanem ne s'attardera peut-être pas trop longtemps sur la mer Méditerranée du côté de la bande de Gaza. La jeune femme, diplômée d'un bachelor en littérature anglaise à l'université islamique de Gaza, "considérée comme la meilleure" de l'enclave, a des envies d'ailleurs, même si le surf reste ancré en elle. "Ce qui m'a fait étudier l'anglais, c'est la mer, s'amuse-t-elle, en anglais dans le texte. Vous vous demandez sûrement comment la mer m'a fait aimer les langues et m'a fait choisir l'anglais comme matière principale à l'université ? La réponse, c'est que plus jeune, à mes débuts en tant que surfeuse, je recevais des journalistes étrangers et je leur parlais avec des mots simples. Je comprenais certaines de leurs phrases, d'autres non. A cette époque, mon cher ami Matt m'a encouragée, et m'a dit que j'étais sa traductrice."

"Vous ne pouvez pas imaginer à quel point ces mots m'ont touchée, m'ont donné une grande motivation pour étudier l'anglais et devenir traductrice après l'université."

Rawand Abu Ghanem

à franceinfo: sport

La Palestinienne espère "avoir l'opportunité d'une bourse pour être avec des personnes dont l'anglais est la langue maternelle, afin de développer [ses] compétences". Et apprécie toute aide lui permettant d'oublier, ne serait-ce qu'un instant, les dégâts causés par le conflit. 

Voyager, "apprendre de nouvelles choses et vivre de nouvelles aventures", "faire en sorte que mon fils Yamen vive une belle vie et aille à l'école maternelle, ce qu'il n'a pas pu faire cette année à cause de la guerre", c'est le rêve de Rawand Abu Ghanem. Sa planche de surf ne sera jamais très loin. "Princess Rawand" – son nom sur Instagram – attend avec impatience la fin de la guerre, pour retrouver son royaume de la mer, là où elle aime plus que tout s'exprimer. Et rêve de voir son odyssée se transformer en conte de fées.

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