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ENTRETIEN – Alexis Pinturault : "Le gros globe de cristal, il n'y a pas mieux"

A 30 ans, Alexis Pinturault est le meilleur skieur du monde. C’est un fait, puisque le Français a remporté la coupe du monde de ski 2020-2021, devenant le troisième tricolore à réaliser cet exploit, le premier depuis Luc Alphand il y a 24 ans. Un sacre attendu, logique, qui vient clore une saison que "Pintu" a traversé presque sans trembler, et sur laquelle il revient pour francetvsport.
Article rédigé par Adrien Hémard-Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7 min
Alexis Pinturault a remporté samedi 20 mars le gros globe de cristal (FABRICE COFFRINI / AFP)

C’est la punition de ceux qui marquent l’Histoire du sport : quelques jours après son sacre en coupe du monde de ski alpin en Suisse, au terme d’une saison globalement maîtrisée, Alexis Pinturault est de passage à Paris pour une tournée médiatique. Loin de ses Alpes ou de son QG autrichien, le skieur de Courchevel arrive tout sourire dans la salle d’interview, accompagné de sa femme Romane qui n’est jamais bien loin. Son gros globe de cristal le suit aussi, délicatement rangé dans une mallette. Très demandé, "Pintu" n’a que 20 minutes à nous accorder, et semble presque gêné de mettre fin à la discussion – nourrie – à la fin du temps imparti. Mais il en va ainsi lorsque l’on est le meilleur skieur du monde. Heureux et détendu, le Français revient sur la saison historique qu’il vient de boucler à 30 ans, et qui en a fait le troisième tricolore vainqueur de la coupe du monde de ski, le premier depuis 24 ans. Entretien au sommet.

Le jour de vos 30 ans, vous avez réalisé le rêve d’une vie : gagner la coupe du monde de ski. Ce gros globe de cristal, c’est l’aboutissement de votre carrière ?
Alexis Pinturault : "Je n’ai pas envie de dire que c’est l’aboutissement, mais c’est forcément un moment qui restera l’un des plus beaux de ma carrière, ça c’est évident. C’était un énorme objectif pour moi d’aller chercher le gros globe de cristal. Pour un skieur, il n’y a pas mieux, c’est comme un titre olympique. Forcément on a fêté ça le soir, on a profité, on a laissé les émotions sortir. Ce qui m’a beaucoup coûté le lendemain sur le slalom (rires). J’étais fatigué, mais j’étais surtout libéré, je n’avais plus rien à jouer, prêt à me faire plaisir. La première manche a été dure, la deuxième a été un peu mieux… [Il a terminé 3e]. C’était un beau moment dont on a bien profité, même avec les circonstances du moment." 

Pourquoi ça vaut plus qu’une médaille aux mondiaux ?
AP :
"Pour la simple et bonne raison que sur chaque course, les meilleurs mondiaux sont au départ. Personne ne fait d’impasse, sauf en cas de blessure, ce qui fait que les classements ont une réelle importance. Ce n’est pas l’histoire d’une course, d’un jour, mais la récompense de tout un hiver. Il faut être performant toute l’année, sur plusieurs disciplines, ce qui est beaucoup plus dur qu’une course un jour J où beaucoup d’éléments extérieurs peuvent interférer dans le bon comme dans le mauvais sens."

 

Justement, comment vous faites pour être aussi polyvalent et régulier ?
AP : "Cela demande beaucoup de travail, une structure adaptée et une fédération qui est prête à accompagner l’athlète au maximum pour répondre à toutes les problématiques que posent la polyvalence. C’est très difficile et je pense que la FIS [Fédération internationale de ski] ne fait pas le nécessaire pour développer l’émergence de skieurs multidisciplinaires. Le calendrier est très chargé. C'est difficile de récupérer, d’être performant et de s’entraîner sur les différentes disciplines. Ensuite, certains athlètes préfèrent être très bons dans une discipline, plutôt que bons dans deux. Moi j’ai toujours voulu m’améliorer en slalom et slalom géant."

C’est du talent, du travail, ou un équilibre entre les deux ?
AP : "C’est toujours un mélange des deux. Il n’y a pas d’athlètes hyper talentueux qui gagnent sans travailler, ni d’athlètes très besogneux qui gagnent sans talent. Le talent peut suffire sur une course, mais sur la durée il faut mêler les deux. C’est comme un diamant : il faut pouvoir le travailler correctement, avec les bons outils, pour en faire le plus beau diamant."

Ou du cristal, pour le coup…
AP : "Oui (rires). C’est tout ce qu’on met autour qui va aider à aller chercher ce globe. Je suis seul sur les skis, mais entouré d’une supère équipe que je remercie !"

Vous êtes le troisième Français à l’avoir fait, 24 ans après Alphand. L’autre, c’est Jean-Claude Killy qui a d’ailleurs dit "qu’il était temps". C’est vrai que ça faisait un moment que vous courriez après ce globe. L’attente était difficile à gérer ?
AP : "Non cela fait trois ans déjà que je suis confronté à cette situation. Ça m’a permis d’apprendre, de grandir. Cela fait un moment qu’on me met comme un des prétendants au gros globe, j’avais moi même dit que je le visais dans ma carrière. Succéder à ces deux magnifiques noms, c’est quelque chose. Jean-Claude Killy a fait rêver toute une génération avec ses performances fabuleuses, "Lucho" Alphand aussi. Ils ont marqué le ski français. Un jour quelqu’un me succédera aussi, ce sera peut-être moi d’ailleurs ! Mais le sport progresse toujours. Certainement que ce que je fais aujourd’hui sera un peu dépassé demain, c’est le sens de l’histoire."

Vous avez reçu d’autres messages de champions ?
AP : "Le clan de Marcel Hirscher m’a félicité, notamment son père. Ils sont encore dans le circuit avec la Fédération autrichienne, son ancien manager aussi, et ils m’ont transmis les messages de Marcel dès l’aire d’arrivée. Kostelic aussi, que j’ai vu, qui était très heureux, ou encore Ted Ligety. De beaux champions avec qui je me suis bagarré sur la piste pour aller chercher des victoires, des podiums. Mais une fois qu’on déchausse les skis on passe toujours de bons moments tous ensemble."

Après les deux slaloms de Chamonix, vous étiez loin devant au classement général. Puis finalement Marco Odermatt est revenu à quelques longueurs au moment d’attaquer les finales à Lenzerheide. Vous avez douté à ce moment-là ?
AP : "C’est Kranjska Gora le moment difficile. Je pouvais y plier la situation en ma faveur, et au final il s’est passé l’inverse ! C’était difficile, stressant pour toute l’équipe... j’ai senti énormément de pression, à un niveau que je n’avais jamais ressenti, même l’année précédente alors qu’on n'arrêtait pas de se croiser avec Aleksander Kilde en tête du général. De l’entourage, des entraîneurs, des médias, des partenaires... il faudrait comprendre pourquoi, on en discutera cet été. Ça a donné mon plus mauvais week-end de la saison, avec une sortie de piste en slalom et une quatrième place en géant. Ce n’était pas non plus à jeter d’un point de vue comptable, mais ça nous a tous permis de se rendre compte de ça, de calmer l’ensemble avant d’aborder les finales. Je me suis reconcentré sur mon ski, sur moi-même. Et donc de skier à mon meilleur niveau à Lenzerheide."

Où vous avez fait une énorme première manche en slalom géant, comme aux mondiaux. Est-ce que votre sortie de piste des vous a hanté l’esprit à ce moment décisif dans la course a gros globe de cristal ?
AP : "J’y ai pensé la veille. Je me sentais bien, et que je n’avais pas 50 solutions : il fallait produire le meilleur ski et y aller à fond. Forcément après on s’est dit : 'si je gagne la première manche, il ne faudra pas faire comme les mondiaux'. Il y avait énormément d’enjeu. Et puis finalement le jour de la course, je n’y ai plus pensé. J’ai remis les choses dans leur contexte : oui je suis sorti de la piste aux mondiaux sur la deuxième manche, mais avant cela je n’étais pas sorti depuis deux ans.

L’année dernière, vous laissez filer le gros globe d’un rien, après l’annulation des finales. Un an après, vous le gagnez alors votre principal adversaire, Marco Odermatt, voit ses deux dernières courses annulées. C’est un retour de karma en votre faveur ?
AP :
"Il y a toujours un équilibre dans une carrière, oui. La saison dernière, on a eu beaucoup de courses techniques annulées, que ce soient les finales mais aussi avant cela à Kranjska Gora, plusieurs slaloms. Au total, sur huit courses annulées, il y en avait cinq techniques, que ce soit slalom ou slalom géant, mes spécialités. Cette année les choses ont un peu varié avec l’annulation de la descente et du super G à Lenzerheide [les spécialités d’Odermatt]. Mais il faut savoir que j’avais prévu de participer à ces courses de toute façon. Elles s’annonçaient très techniques, je pouvais m’y lancer."

Vous dites que "les choses seront plus faciles avec ce gros globe". Elles le seront pour quoi : un deuxième gros globe, les JO de Pékin 2022, ou les Mondiaux de 2023 chez vous à Courchevel ?
AP : "On va prendre du temps pour réfléchir, pour se reposer, pour prendre du recul par rapport à la saison qui vient de se passer. Ensuite on va déterminer de nouvelles motivations effectivement. On dit souvent que le premier gros globe est le plus difficile à avoir. Une fois qu’on l’a fait, il est là, ça pourra peut-être m’aider à être plus libéré en vue des JO et des mondiaux chez moi. Mais ça, l’avenir nous le dira."

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