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SEMAINE DU SPORT FEMININ. Ces femmes jockeys qui désarçonnent les codes machistes

Depuis plusieurs années, des femmes jockeys parviennent à concurrencer leurs homologues masculins. A l’occasion de la semaine du sport féminin, France tv sport vous emmène dans les écuries des courses hippiques, où les mentalités changent progressivement.
Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 11min
Marie Velon détient le nouveau record de nombre de victoires en une année pour une femme jockey.

“Pas assez de force dans les bras”, “ pas assez de force dans les jambes”, “pas capable de rivaliser avec un homme à la lutte” dans les derniers mètres de la course. Des remarques machistes longtemps répétées dans une discipline pourtant mixte : les courses hippiques. Aujourd'hui, les femmes jockeys balaient d'un revers de main ces arguments sexistes. “C'est un fait, oui, les filles ont moins de force que les hommes. Mais cela ne fait pas tout. En course, ce sont les chevaux qui importent”, rétorque la jockey Marie Velon. Être une femme dans cet univers d'hommes n’a pas toujours été chose facile. “On ne peut pas dire que je n’ai reçu que des regards bienveillants”, se souvient Coralie Pacaut, 22 ans, meilleure jockey féminine de 2019. "Aujourd’hui les hommes se sont faits à l’idée de voir des filles dans les pelotons. C’est devenu habituel. Il y a toujours quelques petites remarques, mais comme dans tous milieux je dirai”, relève Marie Velon, cravache d’Or féminine en plat en 2020. 

“Aujourd’hui, sur certaines courses, il y a même plus de femmes que d’hommes !" 
Jessica Marcialis, jockey

Le nombre de femmes jockeys, et leur exposition, a considérablement évolué ces dernières années. “Cela fait longtemps qu’il y a des femmes jockeys. La première licence française prise par une femme date de 1980”, explique Thierry Gillet, secrétaire général de l'Association des Jockeys. Il faut remonter beaucoup plus loin dans le temps pour retrouver la première femme connue comme jockey, une certaine Mrs Thornton, originaire de York en Angleterre. Dès 1804, elle se mesurait “à un homme dans une course de 6 400 mètres”, précise Madame Figaro

Depuis le XIXe siècle, les mentalités ont doucement évolué. “Quand j'ai commencé le métier de jockey en 2014, on voyait beaucoup moins de femmes. Aujourd’hui, c’est complètement différent et sur certaines courses, il y a même plus de femmes que d’hommes !", constate Jessica Marcialis, première femme jockey de l’histoire à remporter une course du niveau Groupe 1 en 2020, le niveau d’excellence des courses de galop. 

Un constat qui se confirme dans les statistiques. Alors qu'en 2014, sur 689 jockeys professionnels, 114 étaient des femmes, en 2019 leur nombre est passé à 193 sur 568*. Cette féminisation se retrouve jusque sur les bancs de l’école de l’Afasec (l'Association de formation et d'action sociale des écuries de courses), l’école des courses hippiques. Si en 2010 les effectifs étaient plutôt équivalents entre filles et garçons, aujourd’hui 66% des élèves sont des jeunes femmes. 

Une poignée d’élus 

Pour devenir jockey, il n’y a pas de formation à proprement parler. L’Afasec forme les futurs cavaliers d'entraînement ou lad-drivers (équipes qui entraînent les chevaux avant les courses). C'est ensuite l'entraîneur qui va repérer si l'apprenti(e) aura les compétences nécessaires pour monter un cheval en courses. Mais les places sont chères. Seulement 3 à 5% des élèves de l’Afasec rejoignent l’élite et “autant de filles que de garçons rêvent de devenir jockey”, affirme l’Afasec.  

Alors face à cet engouement, c’est tout le système qui a dû s’adapter, à commencer par les entraîneurs. “La féminisation s’est imposée à nous puisque nous avions de plus en plus de filles. Sur 10 apprentis, nous avons trois garçons et sept filles”, relève Frédéric Rossi, entraîneur de Ambre Molins, jockey. “Il a donc fallu leur donner la chance de monter et le seul moyen était de mettre en place la décharge [une remise de poids]. Elles ont ainsi davantage pu monter et elles ont progressé”, poursuit l'entraîneur.  

La décharge, le saut vers la féminisation  

Tous s’accordent en effet pour dire que cette fameuse décharge instaurée par Édouard de Rothschild, le président de France Galop (la société organisatrice des courses nationales) en 2017 a été un tournant dans la féminisation des jockeys. Concrètement, cette décharge est une remise de poids accordée aux femmes. Sur chaque course, du poids est ajouté aux chevaux selon une réglementation spécifique. Ceux montés par les femmes en ont moins (les écarts allant de moins 1,5 à 4 kg). Selon France Galop, un avantage poids de 1 kg se traduit par un avantage d’une longueur à l’arrivée.

“Le plus dur dans ce métier, c'est de trouver un entraîneur et un propriétaire qui vous fassent confiance et qui vous donnent des bons chevaux à monter, détaille Marie Velon. La décharge a vraiment lancé les filles, et ça nous a donné une vraie chance.” Grâce à cette remise de poids, les femmes montent tous les jours au point d'être intégrées peu à peu au système par les entraîneurs et propriétaires.

Un bouleversement dans le milieu 

Ce coup de pouce a toutefois suscité quelques polémiques lors de son instauration. “Au début, il y a eu, je ne dirai pas de la jalousie, mais presque. Les hommes n'acceptaient pas que les filles montent autant en courses, qu'elles aient cet avantage pour les aider à monter”, précise Coralie Pacaut.

Et pour cause, cette nouvelle réglementation est venue bouleverser tout un système, qui avait, selon certains jockeys, tendance à défavoriser non pas les meilleurs du Top 20 mais plutôt les apprentis. “Généralement, dans une grande écurie, il y a le premier jockey, le deuxième et troisième. Ces deux derniers attendent que le premier jockey soit absent pour pouvoir aller en course. Mais avec la décharge, ce sont les apprentis hommes qui ont été un peu mis de côté” au profit des femmes jockeys, souligne Jessica Marcialis.  

“Sans la décharge, on ne verrait pas autant de femmes comme actuellement”
Nathalie Desoutter, jockey

Les propriétaires et entraîneurs ont vite compris quel pouvait être leur intérêt, non pas pour féminiser, mais pour gagner davantage de courses. “Quand les entraîneurs et les propriétaires peuvent avoir des kilos en moins grâce à la décharge d'une fille, ils vont plutôt appeler une fille même si elle manque d'expérience. Avant ils ne l'auraient pas fait. Sans cette aide, on ne verrait pas autant de femmes”, estime Nathalie Desoutter. Cette dernière, qui a dépassé le cap des 600 victoires en plat et obstacle confondus, reconnaît qu’à ses débuts, il y a une vingtaine d’années, elles n’étaient qu’une minorité de femmes à monter. 

Pour le jockey Eddy Hardouin, “Je ne la remets pas en question [la décharge de poids], mais il est légitime de se demander si c'est un jockey féminin doté d'un avantage au poids qu'on met en selle, ou bien simplement un '-4kg'. Dans ce dernier cas, la mesure pourrait avoir un effet discriminatoire pour les femmes elles-mêmes”, prévient-il. Pour répondre au vent de critiques de plusieurs jockeys se disant désavantagés, France Galop a décidé de réduire dès le 1er mars prochain, cette remise de charge de 0,5 kg pour les apprentis. Pour les professionnelles, la décharge reste inchangée à 1,5kg. 

Une génération exceptionnelle  

Décharge ou non, les femmes jockeys ont su se faire une place par leurs résultats. La génération actuelle des Marie Velon, Charlotte Prichard, Coralie Pacaut et Jessica Marcialis est d’ailleurs saluée et reconnue de toute part. "Je pense qu’aujourd’hui, elles ont moins besoin de la décharge car une fille monte aussi bien qu'un garçon”, note même Frédéric Rossi. 

Preuve que les résultats sont au rendez-vous, Marie Velon détient le nouveau record du nombre de victoires en une année pour une femme jockeys (83 victoires en 2020 pour 680 courses) et s’est classée septième au palmarès mixte de la cravache d’or en course de plat. Une première pour une femme. Charlotte Prichard s’est également illustrée, mais en obstacles, où elle s’est classée cinquième au classement mixte (47 victoires pour 190 courses). A noter que, parmi ces victoires de femmes, certaines, à l’instar de Jessica Marcialis, ne bénéficiaient pas de décharge, comme la course de groupe 1. 

“Sur chaque course, il faut se faire sa place” 

Peut-on donc s’attendre à voir plus de femmes dans le top 10 ? Pour Alexis Doussot, agent de Coralie Pacaut, la réponse n’est pas si évidente. “J'espère mais je n’en suis pas sûr. Être dans le top 10, ce n'est pas une question d'être doué ou non. Il faut avoir la confiance d'un entraîneur ayant beaucoup de chevaux.” Le top 10 français est en effet généralement composé de jockeys ayant des contrats de priorité avec des écuries qui ont entre 50 et 100 chevaux. “C’est assez rare de voir un schéma différent. En l'occurrence, Marie Velon est premier jockey pour un entraîneur qui a entre 80 et 90 chevaux à l'entraînement”, ajoute-t-il. 

Même si, aujourd’hui, les femmes ont réussi à faire leur place dans le milieu des courses hippiques, rien n’est acquis. “Il faut encore casser les tabous avec certains propriétaires et même des entraîneurs, qui appréhendent encore un peu. Mais elles ont malgré tout fait un grand pas en avant", observe Fredéric Rossi. "Même si j'ai gagné une course groupe 1, je n'ai toujours pas fait ma place. Sur chaque course, il faut se la faire”, conclut Jessica Marcialis qui sait que, sans résultat, il sera difficile de faire bouger les lignes. 

*D’après les chiffres fournis par France Galop. 

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