Russie: le spectre du passé ressurgit avec le scandale du dopage
"Le dopage était, sans aucune commune mesure, pire des deux côtés du Rideau de Fer dans les années 70-80. Aujourd’hui, celui qui dépasse la ligne jaune a beaucoup plus de chances de se faire prendre qu’avant. La situation était bien pire avant et beaucoup moins visible." Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales stratégiques (IRIS) qui dirige également La Revue internationale et stratégique, veut voir le positif dans le scandale russe, qui a éclaté hier avec la divulgation du rapport de la commission indépendante de l'AMA. "Je pense qu’il n’y a pas plus de choses scandaleuses qu’auparavant, il y en a même moins. Mais les scandales éclatent plus rapidement et de façon plus visible parce que les structures, les moyens d’investigations sont plus nombreux qu’auparavant et que la volonté d’investiguer est également plus grande."
La Guerre Froide pour sommet
Dans les années 70 et 80, la Guerre Froide entre le bloc de l'est et le bloc de l'ouest ne se limitait pas seulement à la course aux armements. Après le boycott des Jeux Olympiques d'été de Moscou de 1980 par les Etats-Unis et celui des Jeux de Los Angeles en 1984 par l'URSS, les deux grandes puissances rivalisaient de produits pour conquérir le plus de médailles. C'est ainsi qu'on est arrivé au record du monde du 100m établi par Florence Griffith-Joyner, jamais contrôlée positive, en 10"49 lors des Jeux de Séoul en 1988 (ou l'URSS finit à la 1e place au tableau des médailles avec 132 médailles contre 102 à la RDA et 94 aux USA). A l'époque, elle disait: "Notre but est de prouver que les Américaines pouvaient être largement supérieures aux Allemandes de l'Est." Elle décédera dix ans plus tard, à l'âge de 38 ans, dans son lit. Et le dopage organisé par l'Etat notamment en RDA (Allemagne de l'Est) a, beaucoup plus tard, été mis à jour. Dans une étude de 2009, l'Institut de recherche biomédicale et d'épidémiologie du sport (IRMES) montre, à travers 36 861 meilleures performances mondiales annuelles et 2876 records du monde depuis les JO de 1896 jusqu'à ceux de 2008 dans quatre disciplines (athlétisme, cyclisme, haltérophilie, natation) que "les plus forts taux de progression des records (se trouvent) pendant la Guerre Froide", note Marion Guillaume, chercheur à l'IRMES et l'une des auteurs de cette étude. Elle montre aussi un accroissement du nombre de records du monde lorsqu'un pays reçoit un événement sportif planétaire.
En 2013, lors des Mondiaux de Moscou d'athlétisme, la Russie avait fini à la première place au tableau des médailles, devant les Etats-Unis (17 médailles dont 7 en or, soit une de plus que les Américains). Ce n'était que la deuxième fois que cela lui arrivait (après 2001). En 15 Mondiaux, les USA ont occupé 10 fois la 1e place, la RDA deux fois (83 et 87). "Si la Russie ne sait pas répondre à ces accusations, on aura l’impression d’un grand retour en arrière, avec un dopage d’Etat et non des pratiques individuelles de gens qui trichent", souligne Pascal Boniface. "Ce n’est pas une équipe, une structure privée, ou un individu qui triche, mais là, c’est un système qui repose sur une Fédération. Cela ne veut pas dire que tous les sports russes sont dopés, mais que la Fédération d’athlétisme russe a été vérolée par le dopage." Mais il ne croit pas "au retour de la Guerre Froide, dans la mesure où la Russie n'est plus à la tête d'un bloc monocolore."
Pascal Boniface: "L'image du pays est atteinte"
Reste que les éléments contenus dans ce rapport sont édifiants. Pour éviter d'être positifs lors d'un contrôle antidopage, les athlètes russes avaient tout un arsenal de possibilités devant eux. Ils étaient d'abord avertis du passage de l'agence antidopage russe (Rusada). Pour éviter de faire face aux contrôles hors compétition (les plus efficaces) et malgré l'obligation de localisation à toute heure, ils mettaient souvent des adresses erronées, et comme la Rusada, chargée de sanctionner les "no-show" ou les manquements de localisations, faisait traîner les procédures, voire les enterrait... Et une fois les prélèvements effectués, "si un athlète ne pouvait s'arranger avec les préleveurs, alors il devait le faire, moyennant finance, avec les autorités du laboratoire antidopage", indique le rapport. Et ce laboratoire aurait détruit 1417 prélèvements en décembre 2014, à la veille du passage d'une commission d'enquête qui avait prévenu son directeur de son arrivée. Le rapport révèle aussi des "interférences externes", comme des ordres du ministère des Sports, des services secrets (FSB). Et si malgré tout il y avait encore des résultats positifs, les athlètes pouvaient encore payer, soit la Fédération russe, soit la Fédération internationale (IAAF).
Pour Pascal Boniface, "le sport est toujours un instrument de rayonnement. La Russie, qui estimait avoir perdu son rang, veut de nouveau compter sur la carte du monde et aurait employé tous les moyens pour le faire. Mais cela va s’avérer totalement contre-productif puisque c’est toute la Russie qui va être atteinte. Alors que cela ne concerne qu’une fédération d’un sport important en Russie, c’est toute l’image du pays qui va en pâtir." Et les vieilles astuces de communication risquent de ne pas faire effet: "Les Russes vont peut-être tenter de se défendre en disant qu’il s’agit d’un complot occidental pour porter atteinte au prestige russe, sauf que l’AMA est un organisme neutre, et qu’il semble que les faits sont particulièrement graves. La théorie du complot ne suffira pas à laver l’honneur de la Fédération russe d’athlétisme."
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