Rugby : pour l'Anglais Ben Youngs, "Antoine Dupont va changer le poste de demi de mêlée"
C'est une équipe de France sportivement en pleine forme qui va retrouver un XV de la Rose en difficulté, samedi 13 mars à Twickenham, dans le cadre du Tournoi des six nations. En trois rencontres, les Anglais n'ont engrangé qu'un seul succès, mais concédé deux défaites. Entretien avec le demi de mêlée Ben Youngs.
Le XV de France a gagné ses deux premiers matchs du Tournoi des six nations. Le troisième contre l’Écosse a dû être reporté après la découverte de plusieurs cas de Covid-19 dans l’effectif. La "bulle sanitaire" tricolore ne s'est pas révélée hermétique du tout.
Pour le "crunch" de samedi, Ben Youngs sera une nouvelle fois à la baguette derrière le pack de l’équipe d’Angleterre. L'expérimenté demi de mêlée revient pour franceinfo sur ce Tournoi, les restrictions sanitaires... et son homologue français Antoine Dupont.
franceinfo : C’est votre 4e match dans le Tournoi 2021. Vous avez battu l’Italie mais perdu au Pays de Galles et surtout à domicile, contre l'Écosse. Ça fait tache pour le tenant du titre, non ?
Ben Youngs : On ne peut pas nier que nos résultats n'ont pas été à la hauteur de nos espoirs. Le match contre l'Écosse était très décevant. Celui contre l'Italie nous ressemblait déjà plus. Contre le Pays de Galles, sur de nombreuses phases de jeu, on a très bien joué. Pendant une bonne partie du match, nous avions le contrôle. On est bien revenus au score. Si nous avions été plus disciplinés, nous aurions pu leur mettre plus de pression. Mais malheureusement, nous avons commis des écarts et ça nous a échappé.
Nous avons bâti, tout au long du tournoi, et j'adore le défi à venir contre la France. Depuis 12 mois, ils sont sous un nouveau régime d’entraînement. Ils ont l'air beaucoup plus organisés. Ils semblent avoir une bonne cohésion. C'est un défi parfait pour nous à Twickenham. Et ce qui est génial pour moi, c’est que nous savons qu’il faudra être à notre meilleur niveau et parfois, quand vous vous mettez cette pression, ça fait tellement de bien.
En 2019, vous êtes finalistes de la Coupe du Monde. En 2020, l’équipe d’Angleterre gagne tous les trophées possibles mais on dit de vous, avant même les défaites dans cette édition du Tournoi, que votre jeu est ennuyeux…
Nous avons eu beaucoup de succès et quand vous gagnez beaucoup, l'attente est énorme. C'est très bien. Mais après avoir gagné autant, quand ce n’est plus le cas, les gens veulent comprendre pourquoi et inventent des raisons. Nous sommes toujours une très bonne équipe. On s'améliore encore. Nous n’avons pas su tuer certains matchs.
"Cette petite pression supplémentaire, je pense que parfois c’est ce qui me permet de donner le meilleur. On sait qu'on va être observés et attendus."
Ben Youngsà franceinfo
Le Tournoi des six nations, c’est impitoyable. Une défaite et vos chances de grand chelem s’envolent. Deux défaites et vous pouvez oublier la victoire finale. C’est comme ça. Mais de mon point de vue, nous sommes encore une très, très bonne équipe. Cette exigence à cause de notre passé récent, c’est très bien. C’est ce qui nous a fait gagner auparavant.
Et pendant ce temps, la France reçoit des compliments de tout le monde pour son jeu spectaculaire, ses prises d’initiative. Ça doit être agaçant, non ?
Quand vous enchaînez les victoires, vous êtes exposés et on cherche des défauts dans votre jeu, des détails, on en invente même parfois. Au bout du compte, celui qui gagne gagne, un point c’est tout. Vous regardez les matchs de la France, moi aussi. Je les regarde même de près. Savez-vous par exemple qu’ils utilisent beaucoup plus le jeu au pied que n'importe quelle autre équipe dans le monde ? Mais on n’en parle pas. Donc, quand vous arrivez à mon âge (NDLR il a 31 ans), vous savez que ça ne sert à rien de se soucier de ces réflexions. En fin de compte, la chose la plus importante c’est de se concentrer sur vous et sur votre équipe. Et heureusement, nous avons un bon groupe de garçons qui ne seront jamais influencés par des trucs externes.
La France a connu de gros problèmes extra-sportifs avec son règlement interne anti-Covid. Pouvez-vous nous dire à quoi ressemble le vôtre au sein de l’équipe d’Angleterre ?
Nous sommes évidemment dans un hôtel où il n’y a personne d'autre. Toutes nos réunions se font à l'extérieur. C’est parfois un peu froid (il rit) On espère donc à chaque fois que les réunions seront courtes. On s’entraîne puis on va dans nos chambres. Quand nous dînons, nous nous asseyons à des tables individuelles. On n'a le droit de dîner que pendant 15 minutes ensuite, nous devons retourner dans nos chambres. C'est très strict mais nous les respectons pour ne pas avoir une épidémie dans l’équipe. Ce n'est certainement pas la chose la plus facile parce que, vous savez, cette interaction sociale est énorme pour n'importe quel sport d'équipe. Mais là c’est entraînement, retour dans la chambre, repas, retour dans la chambre… Vous voyez ce que je veux dire : c'est très différent de nos habitudes.
Lors de leur déplacement à Rome pour jouer contre l’Italie, certains joueurs français sont allés en ville pour manger des gaufres, ça vous surprend ?
Je suis jaloux des gaufres (il éclate de rire). Nous, on a nos protocoles, et on y adhère. Pas le choix. On ne peut rien influencer, nous n’avons pas de contrôle là-dessus. On peut sans doute faire différemment mais c’est comme ça qu’on procède. Les gars qui qui s’assurent que tout est respecté font du bon boulot.
Vous allez affronter Antoine Dupont, véritable phénomène du rugby mondial. Est-il, selon vous, le meilleur demi de mêlée du monde ?
Quand Will Genia arrive (NDLR demi de mêlée australien qui compte 110 sélections avec son pays), il change la façon dont on joue au poste de demi de mêlée. Et maintenant c’est au tour d’Antoine. C’est le renouveau. Dix ans après Genia. Il était arrivé en 2010 et il a éclaté sur la scène internationale. Maintenant 2020, 2021 : Antoine Dupont. Voilà la nouvelle superstar. Et il va changer le jeu du demi de mêlée. Je pense qu'il est certainement le meilleur demi de mêlée du monde. Potentiellement, il pourrait aussi être le meilleur joueur de rugby au monde. C’est fantastique parce que la façon dont il joue et ce qu’il réalise va inspirer tant d'enfants qui vont jouer au rugby, c’est bien. J'ai beaucoup de respect pour lui et j'ai hâte de jouer contre lui ce week-end.
"Je peux reconnaître un joueur incroyable quand j'en vois un et c’en est un. Je ne peux que reconnaître son talent. Je le trouve fantastique."
Ben Youngsà franceinfo
Pour cet Angleterre - France, vous avez mis au point une tactique anti-Dupont ?
Pas de plan, non. C'est un joueur très instinctif. C'est vraiment sa façon de jouer. Il sent le jeu, il a développé cette manière de jouer très instinctive. Vous ne pouvez pas vraiment planifier quoi que ce soit contre des gars comme lui qui ont cette fibre très naturelle pour le jeu parce qu'ils sont imprévisibles. Cette imprévisibilité fait de lui le joueur qu'il est. Donc je pense que le mieux que nous puissions faire, et l'équipe en est consciente, c'est juste comprendre ses forces. Comprendre qu'il est en pleine confiance en ce moment. Il emmène ses partenaires et c'est un joueur très doué. C'est donc la responsabilité de l'équipe de le respecter et à chaque fois qu'il prend le ballon, c’est un type très fort, très compact. Il se sort des ennuis. Le mettre sous pression, c'est la responsabilité de toute l’équipe.
Autant d’éloges avant une rencontre, c’est aussi une façon de lui mettre la pression…
(Sourire) Je ne réfléchis pas comme ça mais j’ai de l'expérience, c'est mon atout. Je suis impatient. Qui ne veut pas se mesurer à l'un des meilleurs joueurs du monde ? Qui ne veut pas le mettre au défi ? Je suis un sportif, un compétiteur. Je veux jouer contre des gens qui vont m’obliger à donner le meilleur de moi-même. Donc, oui, j'ai vraiment hâte de le faire. J'attends avec impatience et une manière authentique, respectueuse. J'ai hâte de jouer contre un gars que je respecte et qui, je pense, va avoir une carrière incroyable. Je ne suis pas dans une stratégie de déstabilisation ou un truc comme ça. Je veux juste jouer. Jouer mon rôle pour l’Angleterre et j'ai hâte de jouer contre Antoine.
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