Provale, un syndicat en action dans la crise du rugby
C’est un gaillard de près de deux mètres, large d’épaules et d’esprit. Robins Tchale-Watchou est l’homme riche d’un parcours atypique, du Cameroun au Cantal en passant par le Gers, la capitale ou encore l’Occitanie. De toutes ces villes, ces régions ou il a imposé son physique massif dans les regroupements, le président de Provale a gardé des souvenirs forts : « On parle de rugby et cela reste un sport à part, rustique pour certains mais tellement riche. C’est une véritable confrérie. Depuis le début de la crise liée au Coronavirus, je reçois des mails d’anciens joueurs, retirés mais toujours concernés. Cela confirme ce je ressens, le rugby est un véritable poumon social dans les régions, les villes ou il est implanté. Il y a une dimension intergénérationelle forte et il faut l’avoir à l’esprit dans le contexte actuel, avance t-il, certes le rugby professionnel a quelque peu lissé ces valeurs mais il nous reste un vécu unique, un état d’esprit, des valeurs communes. »
Robins Tchale-Watchou a la parole facile, le verbe alerte. C’est un homme engagé, parfaitement intégré dans les réunions entre les différentes instances du rugby fédéral. Entre la ligue Nationale et son président Paul Goze, la fédération française de Bernard Laporte ou Serge Simon, Provale est un interlocuteur incontournable. Le syndicat défend les interêts de près de 1900 joueurs professionnels (509 en Top 14, 559 en ProD2, 818 en fédérale 1) et entend peser sur le débat, avec les valeurs qui sont les siennes : « On travaille sur différents scénarii mais il n’y a pas de solution parfaite. Il n’y a pas de visibilité sur la fin de l’épidémie et cela complique les choses. C’est peut être le moment pour repenser notre modèle économique car force est de constater que cette crise aura une grosse incidence financière sur notre éco-système », poursuit le président.
Des efforts financiers mais ...partagés
Le rugby professionnel est désormais entré dans l’âge adulte. Depuis sa création en 1995 (1998 en France, ndlr), le rugby a conquis des parts de marché pour s’établir comme le deuxième sport de l’hexagone derrière le football. En l’espace de 20 ans, ce sport s’est métamorphosé. Les sympathiques troisièmes mi-temps, partagées entre initiés, sont devenues "the place to be" dans les grandes villes, désormais unique "marché" capable de soutenir les clubs. Les maillots ont rétréci pour coller le corps des joueurs au moment ou les salaires des "gladiateurs" ont littéralement explosé - 240 000 euros bruts en Top 14, 73 000 bruts en Pro D2 comme salaire moyen - et cela pose de nombreux problèmes. Les clubs payent (bien) les joueurs et ceux-ci sont forcés de "livrer la marchandise" , à savoir être performants en club, au fil d’une saison interminable, mais également en équipe de France pour les meilleurs d’entre eux.
Ces chiffres font tourner les têtes. Et au moment de cette crise, les joueurs sont pointés du doigt. Récemment, la DNACG (direction nationale d’aide et de contrôle de gestion, ndlr), le gendarme financier de la ligue et de la fédération a préconisé une diminution drastique des salaires, 31% en Top 14, 27 % en Pro D2. « Il faut être parfaitement clair, affirme Robins Tchale-Watchou, les joueurs sont d’accord pour contribuer à l’effort national mais ils ne doivent pas être la seule variable d’ajustement. Cela ne serait pas juste ». Clairement, si on estime que la crise va engendrer une perte d’environ 30% des revenus pour les clubs, ce n’est pas seulement sur les salaires que les économies doivent être réalisées car la crise économique du rugby menaçait déjà avant la pandémie : « C’est mon combat, argumente Robins Tchale-Watchou, on a grandi vite mais la croissance engendre de la casse humaine. Il y a une forme de spirale, les clubs promus veulent imiter les plus gros pour tenter de se maintenir et parfois, cela coince financièrement. Et cela engendre des inadaptés sociaux, des joueurs meurtris qui n’ont pas anticipé l’après rugby. C’est l’autre versant du professionnalisme. Parfois, les revenus confortables font peser l’illusion que l’on a pas besoin de formation. Mais il faut être lucide, il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus dans le rugby pro ».
Au fil des décisions politiques, les dirigeants du rugby français naviguent à vue. Après avoir abandonné leur projet d’enchaîner la fin de cette saison puis la suivante, ils sont désormais dans la préparation du calendrier 2020/2021, une aventure des plus périlleuses pour un sport tiraillé entre ses différents acteurs. Ainsi, depuis de nombreuses saisons, le calendrier est déjà totalement surchargé. Dans une année civile de 52 semaines, les dirigeants du rugby professionnel s’accommodent - parce que c’est vital pour les clubs - d’une cadence infernale qui tourne les têtes et épuise les corps : 49 dates de compétition potentielle (29 pour le Top 14, 9 pour la coupe d’Europe et 11 dévolues à l’équipe de France selon les fenêtres internationales) pour une année qui ne compte « que » 52 semaines. C’est disproportionné surtout si l’on rajoute à ce calendrier de « dingue » les traditionnels et indispensables matches de préparation.
Et les nouvelles pour la future saison ne sont pas bonnes puisque l’EPCR (organisateur de la coupe d’Europe, ndlr ) revendique trois dates pour les phases finales de la saison amputée, Bernard Laporte et les 6 Nations imposent des dates supplémentaires pour terminer le Tournoi 2020 et rattraper les tournées de Juin. Tout cela évidemment entre le mois de septembre 2020 et le mois de juillet 2021.. si la reprise est possible. « C’est clair, les compétitions génèrent du business mais il faudrait plus d’harmonie. Déjà, le momentum n’est pas bon. Il y a des élections prévues à la ligue et à la fédération en fin d’année et cela engendre des rapports de force qui n’aident pas le débat. Il faut hiérarchiser les choses et c’est, à mon avis, le rôle de l’état », termine Robins Tchale-Watchou difficilement réélu en 2019 à la tête de Provale.
Ainsi vit le rugby professionnel au moment ou les joueurs subissent l’intersaison la plus longue de leur carrière. Au repos forcé depuis le début du mois de mars, ils reprendront la compétition - dans le meilleur des cas - au mois de septembre. Ils devront repartir dans la batailles des rucks, gagner des mètres pour faire triompher leurs couleurs, pour faire fructifier leur valeur dans un sport qui n’a pas complètement terminé sa mutation. Prisonnier des dissonances entre la ligue et la fédération, le rugby est dans une période totalement inconnue. Le fragile modèle économique est percuté de plein fouet par la crise du Coronavirus. Il en naîtra un monde nouveau - peut être plus raisonnable -, nécessairement plus équilibré. C’est la volonté de Provale pour que le jeu de rugby reprenne le pas sur tous les enjeux. Des plus petits aux plus grands.
par Laurent Bellet
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