France-Italie : quand Mussolini tentait dans les années 1930 d'imposer le rugby dans la Botte
Au début des années 1930, le Parti national fasciste promouvait les valeurs de combat portées par le rugby.
Il y a fort à parier que certains observateurs datent les prémices du rugby italien en 2000, année de son intégration au Tournoi des six nations. Mais en réalité et ce, bien avant Sergio Parisse, Jacques Brunel et les cuillères de bois à répétition, l'histoire de la balle ovale transalpine trouve ses racines dans la période fasciste (1922-1945). Sous le règne de Benito Mussolini, le Parti national fasciste (PNF) a tenté, en vain, de diffuser massivement le rugby de l'autre côté des Alpes. Alors que le XV de France affronte l'Italie dimanche 6 février pour son entrée en lice dans le Tournoi des six nations, retour sur cet épisode méconnu du rugby italien.
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Dès son accession au pouvoir, Mussolini mise sur le sport pour bâtir "l'homme nouveau" cher aux régimes totalitaires. Le "Duce" se met lui-même en scène. "Il se donne le titre de 'primo sportivo d'Italia' (premier sportif d'Italie), illustre pour franceinfo: sport Paul Dietschy, professeur d'histoire à l'Université de Franche-Comté. On le voit sur des illustrations skier, à cheval, taper dans un ballon ou nager, mal d'ailleurs !"
Profane, Mussolini promeut le ballon ovale par le biais des secrétaires du parti fasciste. "Je pense que le rugby, comme du reste tous les sports de combat, a été créé spécialement pour notre caractère", déclare ainsi le secrétaire Augusto Turati, en 1929 à La Stampa. Le pouvoir fasciste, d'abord farouchement opposé au football professionnel, vante le rugby - rebaptisé palla ovale (ballon ovale en français) - et ses valeurs de "courage, ardeur et résistance", dixit Turati.
Un sport toujours resté confidentiel
Pour cela, divers canaux de propagande sont mobilisés. La revue au nom équivoque "Lo Sport Fascista" accorde une grande couverture médiatique pour une pratique très marginale et tout juste importée dans la Botte. L'initiative attise une certaine curiosité, et 20 000 personnes se massent au Stadio Nazionale pour un "match de propagande" entre la Lazio et Bologne, en 1928.
Mais l'effet s'estompe rapidement, et le rugby ne sort en réalité jamais de son entre-soi. "Le rugby italien était d'abord un sport des élites estudiantines anglophiles. Il a manqué à l'Italie ce rugby populaire développé avant 1914 dans le sud ouest de la France", relate Paul Dietschy, auteur d'un article "Le rugby sport fasciste ? Les difficiles débuts du ballon ovale en Italie sous Mussolini (1927-1940)".
En apparence, le pouvoir continue malgré tout son opération séduction autour du rugby. Achille Starace, successeur d'Augusto Turati à la tête du parti, continue en 1934 de plébisciter un sport qui "doit être pratiqué et largement diffusé à travers la jeunesse fasciste". Mais seuls quelques milliers de pratiquants, cloisonnés au sein d'une certaine élite urbaine ou de la Vénétie, obtempèrent."La société italienne catholique pouvait voir d’un œil critique un sport où la violence était valorisée", continue Paul Dietschy.
Le régime doit inévitablement se rendre à l'évidence : le rugby, tout comme la volata, discipline hybride créée par Turati, n'a pas la portée du football. La Squadra Azzurra remporte un Mondial 1934 célébré en grande pompe, et Mussolini se résout à accepter les vices d'un calcio professionnel garantissant une image positive de son Italie.
Le pouvoir fasciste tente, aussi, de briller à travers sa Nazionale de rugby, sans réel succès. Voulant contrer l'hégémonie britannique, elle affronte régulièrement l'Espagne, l'Allemagne, la Tchécoslovaquie. La France, exclue du Tournoi des cinq nations, se rabat volontiers sur l'Italie. La presse tricolore, comme L'Auto, félicite en 1935 l'équipe de France d'avoir "magnifiquement servi la cause du rugby en Italie. [...] Il n’a plus qu’à croître et embellir, d’ailleurs le Duce le veut."
Un héritage qui semble aujourd'hui effacé
La coopération franco-italienne est alors au beau fixe. "Un Français, Julien Saby, a entraîné la Nazionale et l’Amatori de Milan, la grande équipe de l’époque", détaille Paul Dietschy, rappelant que l'un des premiers clubs de rugby transalpin s'est créé autour d'une usine Michelin turinoise. Loin d'être diabolisé en France, "Mussolini est un allié potentiel contre Hitler jusqu'en 1935-36", poursuit l'historien. Mais les relations se refroidissent peu à peu, et Saby quitte la Botte en 1938, à la suite du tournant antisémite du Duce.
Après la chute du régime en 1943, le rugby ne sort pas de sa niche confidentielle. Il reste, dans l'imaginaire collectif, marqué par l'extrême droite pendant la seconde partie du XXe siècle, mais cette influence s'estompe peu à peu. "On ne peut plus parler d’une connotation politique du rugby", tranche Elvis Lucchese, auteur de "Rugby et politique en Italie" en 2011. Si la Ligue du Nord a poussé pour que Trévise et les "Zebre" de Parme intègrent la Ligue celtique voilà dix ans, la donne est aujourd'hui différente. Le parti de Matteo Salvini, aux ambitions désormais nationales, a changé de paradigme et ne fait plus du rugby son sport "officiel".
"Sur ces dix dernières années, l'intérêt pour le rugby a diminué en raison des résultats en berne de l'équipe nationale. Ce n'est donc plus un sujet dans le débat public."
Elvis Lucchese, auteur de "Rugby et politique en Italie" en 2011franceinfo: sport
Questionné sur l'héritage fasciste de son sport, l'auteur préfère mentionner des initiatives sociales, comme le développement du rugby en prison ou dans des quartiers périphériques. Le salut d'un rugby italien en perte de vitesse passera-t-il par cette diversification ?
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