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Rugby : la fusion de Bayonne et Biarritz, un pari très risqué

Les deux clubs basques du Top 14 ont entamé des négociations pour fusionner. Les exemples du passé n'incitent pas forcément à l'optimisme.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Le Biarrot Talalelei Gray (en rouge et blanc) est à la lutte sur un ballon aérien avec le Bayonnais Sione Lauaki, dans le derby basque du Top 14, le 29 novembre 2011.  (GAIZKA IROZ / AFP)

"Il reste toujours des fusions impossibles. Celle d'un grand club basque regroupant Bayonne et Biarritz par exemple…" écrivait La Dépêche du Midi en 2007. Et pourtant, les deux clubs, en difficulté dans le Top 14, ont annoncé être entrés en négociation jeudi 5 décembre. Sans avoir consulté les joueurs. Pour preuve, ce tweet rageur du joueur historique du Biarritz Olympique Imanol Harinordoquy.

Les réactions sont partagées. Le président du principal groupe de supporters bayonnais déclare au site spécialisé Semelle : "Personnellement, je préfère être supporter de Bayonne en Fédérale [3e division] que d'une équipe basque en Top 14.″ Quant à l'ancien international Jean-Baptiste Lafond, il se lâche, sur Eurosport : "Ils sont à la porte de l’enfer à force de se regarder la b… Quand est-ce qu’ils vont se réunir ?" L'idée ne fait pas l'unanimité, et pour cause. Fusionner deux clubs ennemis, que ce soit en foot ou en rugby, beaucoup ont essayé, peu ont réussi. 

La réussite : Bordeaux-Bègles

Un supporter tient le drapeau de l'Union Bordeaux-Bègles lors d'un match de pro D2 contre Agen, le 22 mai 2011.  (ALAN CROWHURST / GETTY IMAGES EUROPE)

Marier le CA Bègles, club de rugby de la banlieue populaire, avec le très huppé Stade bordelais, ce n'était pas gagné au départ. Bègles, c'est le club des Rapetous, une première ligne de joueurs au crâne rasé qui aiment se faire passer pour des brutes sanguinaires au début des années 1990, avec, derrière le pack, un Bernard Laporte aussi chauve qu'aujourd'hui. Pas de belles envolées, mais du combat, du combat et encore du combat. En face, le Stade bordelais, ou une certaine idée de l'élégance, des titres de champion de France à la pelle, mais datant d'avant 1914. 

En 2006, les deux clubs s'unissent, donnant naissance au plus long nom du rugby français, l'USBCABBG (pour Union Stade bordelais-club athlétique Bordeaux-Bègles-Gironde), baptisée par les supporters "l'Union". Les négociations sont longues : le club joue alternativement dans les deux villes, le maillot est le fruit d'un savant compromis entre le damier cher à Bègles, le Lion d'Aquitaine, propre au Stade bordelais, et le scapulaire, symbole… des Girondins de Bordeaux. Heureusement, le bleu et blanc des Béglais et le noir et jaune des Bordelais n'ont pas été mixés de la même manière. Le club arbore un maillot couleur lie-de-vin, assez logique pour une équipe de Gironde. 

Comment expliquer la réussite de cette fusion ? Le soutien unanime des politiques, notamment Noël Mamère et Alain Juppé – qui n'oublie pas que c'est à Bègles que Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux pendant près de cinquante ans, a évolué après-guerre. L'accord des milieux économiques, contents de pouvoir investir dans un club sans se fâcher avec les supporters du club rival. Et la lente prise de pouvoir du lobby béglais : le stade André-Moga, à Bègles, est choisi comme résidence principale du club en 2008.

La menace fantôme : Lens et Lille

Le Lillois Antoine Sibierski poursuivi par le Lensois Frédéric Meyrieu, lors d'un match de championnat, le 29 juillet 1994.  (THOMAS COEX / AFP)

Entre Lens, la petite cité minière, et Lille, la métropole régionale, il y a quarante kilomètres et un contentieux énorme. Pourtant, les deux clubs de foot, le RCL et le Losc, ont failli fusionner au milieu des années 1990. Leur motivation : l'argent. Le conseil régional vient de raboter les subventions accordées aux deux clubs, les laissant dans le rouge. En 1993, Gervais Martel, président historique du club lensois, annonce "la création d'un grand club régional", rapporte L'Humanité. Paul Besson, le président du Losc, renchérit : "Il ne nous manque plus que l'accord des deux conseils généraux." 

La création du Racing Club de Lens-Lille, comme on le surnomme à Bollaert, va pourtant échouer. Des deux côtés, on tire la couverture à soi. Gervais Martel claironne : "Tout va se passer à Lens." Pierre Mauroy, maire de Lille, affirme "privilégier une solution lilloise". Petit à petit, le projet se dégonfle : Valenciennes, qui voulait y participer, renonce. Lille décide de chercher un repreneur et d'apurer ses comptes. Lens réalise plusieurs belles saisons, se qualifiant pour la Coupe d'Europe. Il n'y a plus d'urgence, plus de volonté, plus de projet.

Rien ne se fera. Les supporters sang et or donnent leur réponse, un soir d'avril 1997 après une victoire 1-0 sur le voisin lillois, qui se retrouve relégable. Restant vingt minutes après la fin du derby, ils scandent "les Lillois en D2" et le kop déroule une banderole de 30 mètres sur laquelle est écrit le mot "Adieu". 

L'échec total : les Hibs et les Hearts

Eamonn Bannon, des Heart of Midlothian, pousse au sol Paul Kane, des Hibernians, dans le derby d'Edimbourg, le 26 août 1989. (BEN RADFORD / GETTY IMAGES EUROPE)

Réunir les deux frères ennemis du foot à Edimbourg, les Hibernians catholiques et les Heart of Midlothian protestants, sous la bannière d'un hypothétique Edinburgh United ? Le richissime Wallace Mercer, patron des Hearts, a osé en 1990. Il lance une OPA hostile sur le club adverse, en expliquant vouloir cette fusion pour l'amour de sa ville, et pour concurrencer les géants de Glasgow, le Celtic et les Rangers. Mercer affirme avoir rassemblé derrière lui de nombreux supporters et des hommes d'affaires désireux d'associer leur nom au nouveau club.

Dans les faits, une manifestation de supporters - majoritairement les Hibs - a lieu dans les rues de la capitale écossaise trois jours après l'annonce de l'OPA. Mercer, surnommé "Mercer-nary" (le Mercer-naire en VF) par ses détracteurs, reçoit des menaces de mort. Sa maison est gardée par des vigiles flanqués de molosses. Chaque matin, sa voiture est vérifiée par crainte d'un attentat, raconte le Herald Scotland (en anglais). "Pendant six semaines, ma famille et moi avons connu l'enfer", reconnaît l'homme d'affaires, cité par le Edinburgh News (en anglais).

La fusion échoue. L'homme d'affaires David Duff refuse de vendre ses parts des Hibernians. Sans elles, Mercer ne peut atteindre les 75% nécessaires pour prendre le contrôle du club. Depuis, plus personne n'a osé évoquer ce sujet tabou, et Hearts et Hibs végètent dans le milieu de tableau du championnat écossais. 

 

Les deux clubs basques se sont donné trois mois pour réussir. Le mécène bayonnais, Alain Afflelou, affirme que si la fusion n'aboutit pas, il quittera le club. Il faudra ensuite gérer les influences politiques, définir un nom, un logo, des couleurs, un stade. Et, accessoirement, se maintenir. Biarritz, comme Bayonne, sont en perdition en Top 14. Comme le résume le maire de Biarritz, Didier Borotra, dans Sud-Ouest : "Les deux clubs ont d’autres choses à faire, gagner des matchs." Sinon, la fusion donnera naissance à un gros club, mais en Pro-D2.

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