Rugby : l'arbitre vidéo, nouvel homme fort du Top 14
Le foot n'a pas osé, le ballon ovale l'a fait. Après une nouvelle réforme du règlement, l'arbitrage vidéo voit ses pouvoirs considérablement étendus. Pour le meilleur ou pour le pire ?
La nouvelle star du Top 14, ce n'est pas le supersonique ailier sud-africain de Toulon Bryan Habana ou l'ouvreur irlandais du Racing, Jonathan Sexton. Non, cette star, personne ne l'a vu sur le terrain et pour cause : c'est l'arbitre vidéo, dont les pouvoirs ont considérablement été étendus cette année. Oubliez l'ancienne formule où il se bornait à analyser la validité d'un essai lors des cinq derniers mètres des actions. Désormais, l'arbitre vidéo peut être sollicité pour des fautes, et peut remonter sur deux temps de jeu lorsqu'il revisionne un essai litigieux. A croire que les matchs se jouent davantage en tribune que sur le terrain...
Où s'arrête l'arbitrage vidéo ?
Lors du match Racing Métro-Brive (19-14), samedi 17 août, un essai des Racingmen a été refusé après visionnage vidéo parce que les joueurs franciliens étaient plus nombreux que leurs adversaires sur la touche qui a amené l'essai. Or, l'arbitre vidéo n'a pas le droit de signaler cette faute, d'après le nouveau protocole. C'est toute la difficulté de ce nouveau règlement. "Ce qui me fait un peu peur, c'est que les cas de figure où l'arbitre vidéo peut intervenir sont trop nombreux, pas assez ciblés, s'inquiète Didier Mené, patron des arbitres français, contacté par francetv info. Dans le cas du match Racing-Brive, ça n'a pas eu d'impact sur le résultat final. Dans le cas contraire, ça nous aurait mis en difficulté."
Pourquoi avoir rendu plus complexe le précédent système essai / pas essai, communément accepté ? D'après Eric Dugas, professeur des universités à Bordeaux, l'équilibre compétitif du rugby est à ce prix. "La vidéo a surtout pour but de compenser les déséquilibres du rugby moderne, avec 30 joueurs souvent concentrés dans une petite zone du terrain et un jeu de plus en plus rapide, analyse-t-il. L'arbitre ne peut pas tout voir. Introduire la vidéo, c'est comme autoriser plus de remplacements dans le football ou alourdir les balles au tennis de table, c'est un changement de règles pour maintenir l'équilibre. Le but est toujours de faire ressortir un vainqueur sans suspicion. Dans un premier temps, on a introduit la vidéo uniquement sur l'évolution du score. Logiquement, on étend son utilisation vers d'autres cas de figure. Il y aura forcément des tâtonnements au début." L'International Rugby Board (IRB), l'instance internationale qui chapeaute ce sport, a prévu de statuer sur ces expérimentations en mai 2014, pour pérenniser cette règle ou non.
La vidéo a déjà changé les règles du jeu
Premier inconvénient notable : les matchs risquent de durer plus longtemps. Le Top 14 ne fait que suivre le championnat anglais et le Super 15, le championnat de l'hémisphère Sud. Le site officiel de cette compétition (en anglais) note que le match entre les Auckland Blues et les Otago Highlanders, au printemps dernier, a duré dix minutes de plus que le temps réglementaire, en raison des incessants recours à la vidéo. Même le football américain, sport haché par excellence, a renoncé à l'usage de la vidéo entre 1992 et 1999. Il y est revenu depuis, mais son usage est strictement encadré.
Autre conséquence : une nouvelle règle pour juger des passes en-avant. Comme le montre nettement cette vidéo de l'International Rugby Board (en anglais), 90% des passes en mouvement apparaissent en-avant à la vidéo – car le ballon avance en même temps que court le joueur –, mais ça ne se voit pas à l'œil nu. Ce phénomène s'appelle la vitesse relative.
Dans ce cas précis, l'arrivée de la vidéo a introduit de nouvelles consignes d'arbitrage. Les hommes en noir ont désormais pour consigne de juger l'intention, avec les bras du joueur passeur, plus que la réalisation. "Mathématiquement, l'IRB a raison, mais ça peut perturber le profane", estime Didier Mené.
L'arbitrage vidéo plus juste, un mythe ?
"Les professionnels de l'arbitrage vidéo reconnaissent les limites de leur outil", remarque Gaylor Ruba, sociologue du sport à l'université de Marseille, contacté par francetv info. Sauf à installer des terrains transparents pour pouvoir filmer l'action de dessous, certains essais limites gardent leur part de mystère. "Même quand l'arbitre vidéo n'avait qu'à valider les essais, on a par exemple attendu 2 minutes et 50 secondes, et neuf ralentis, pour avoir une décision sur un essai anglais en finale de la Coupe du monde 2007, contre l'Afrique du Sud", relève Jacques Blociszewski, spécialiste du sport télévisé, contacté par francetv info. L'essai, aplati par l'ailier du XV de la Rose Mark Cueto, ne sera finalement pas validé, au grand désespoir des supporters anglais, qui chantaient déjà leur joie en tribune.
Mais le grand public est demandeur de davantage de vidéo, dans l'idée que ce système va supprimer les décisions litigieuses. "La vidéo factualise et fait croire à une réalité, expliquait Géraldine Rix-Lièvre, spécialiste de l'arbitrage à l'université de Clermont-Ferrand, dans son intervention au colloque Arbitrage, jugement et vidéo, à l'université de Franche-Comté en 2012. Elle peut aussi servir à acheter la paix sociale, car les joueurs et les spectateurs ont l'impression de ne pas se faire voler."
Impression trompeuse ? "La télévision va finir par arbitrer le rugby, regrette Jacques Blociszewski. L'image objective n'existe pas, et l'arbitrage vidéo n'est en aucun cas un système scientifique. Le pouvoir passe de plus en plus en régie. On va interpréter les interprétations du réalisateur du match. Le hors-champ est gigantesque en télé. Et comment éviter les polémiques, quand, lors d'un match international, un réalisateur français par exemple choisit de ne pas montrer une image en défaveur de son équipe nationale ?"
Ceux qui s'intéressent de loin au rugby découvriront ces nouvelles règles lors du prochain Tournoi des six nations. Pronostic de Didier Mené : "ça fait moderne, avant-gardiste. Le grand public va adorer !"
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.