Enquête franceinfo Claude Atcher, l'homme de l'ombre de Bernard Laporte
Alors que la candidature française pour la Coupe du monde de rugby en 2023 semble mal engagée, franceinfo a enquêté sur son directeur, Claude Atcher, homme de l'ombre du rugby français.
Visé par une enquête de l’inspection générale de Jeunesse et des Sports sur ses relations avec l’homme d’affaires Mohed Altrad, Bernard Laporte voit s’éloigner la perspective d’une victoire dans la course à l’organisation de la Coupe du monde de rugby 2023. La Fédération internationale de rugby a indiqué clairement sa préférence pour la candidature sud-africaine, préalablement au vote définitif de ses membres le 15 novembre. Un camouflet pour le président de la FFR qui a confié ce dossier à Claude Atcher, personnage très présent dans le monde du rugby et controversé.
Un ancien joueur devenu homme d'affaires
Ancien troisième ligne du RC Nîmes et du Racing 92, finaliste du championnat de France en 1987, Claude Atcher monte sa première société juste après l’arrêt de sa carrière. "Il est l’un des premiers à avoir compris que le rugby allait générer de l’argent", dit de lui le journaliste spécialiste du rugby Philippe Kallenbrunn. Il a fait l’essentiel de son parcours dans le sillage de Bernard Lapasset, l’ancien président de la Fédération française, puis internationale, de rugby.
"Mélange des genres", "facturations indues" et "parasitisme"
Homme de l’ombre du rugby français, le rôle de Claude Atcher est mis en lumière dans un rapport sévère de l’inspection générale de la Jeunesse et des Sports en 1995. Bien qu’il n’apparaisse nulle part dans les organigrammes de la FFR, il est en réalité le "conseiller personnel officieux" de son président, Bernard Lapasset. Mais s’il est mandaté pour mener certaines négociations au nom de la FFR, dans le même temps, il est en relation d’affaires avec une société qui signe des contrats avec la Fédération. Les inspecteurs dénoncent le "mélange des genres" qui caractérise sa situation. Le trésorier de la FFR de l’époque s’en émeut et demande que l’on cesse les relations commerciales avec Claude Atcher. Sans succès.
Plus tard, ce sont les juges de la chambre régionale des Comptes de Languedoc-Roussillon qui tiquent sur les méthodes de la société de Claude Atcher, Actiomedia. En épluchant les comptes des Jeux méditerranéens de 1993, ils découvrent qu’elle a appliqué des "marges excessives" sur certaines prestations et émis des factures "qui ne correspondaient à aucune commande et ne pouvaient être justifiées par aucune prestation".
Cette société sera également condamnée par la Cour d’appel de Paris en 1995 pour avoir clandestinement acheté des billets pour le tournoi de Roland Garros, revendus sous forme de "packs VIP" dans le dos de la Fédération française de tennis. Une pratique qualifiée de "parasitisme" par les juges.
Des remous lors de la Coupe du monde 2007
Malgré les inimitiés qu’il commence à cultiver dans le milieu du rugby, Claude Atcher est propulsé par Bernard Lapasset à la tête de l’organisation de la Coupe du Monde de rugby 2007 qui se déroule en France. Très vite, ses relations deviennent compliquées avec son patron direct, Vincent Roux-Trescases, le directeur général du groupement d’intérêt public imposé par l’État pour ne pas laisser la Fédération seule maîtresse de l’organisation. "Plusieurs personnes sont venues me voir pour m'alerter sur le passé de Claude Atcher", se souvient-il aujourd’hui. "J’ai constaté qu’il se passait des choses que je ne pouvais pas contrôler suffisamment pour assurer la probité de l’organisation de la Coupe du monde. J’ai essayé d’y mettre fin et, n’y arrivant pas, à un moment j’ai considéré que ma position n’était pas tenable, étant le mandataire social de l’organisation."
Vincent Roux-Trescases va demander le départ de Claude Atcher au ministère des Sports. Celui-ci semble le suivre mais Bernard Lapasset tient bon. Le directeur général a donc préféré démissionner. Le contrôleur général des Finances chargé d’examiner les comptes du GIP nous a confirmé qu’il avait refusé de prendre en charge certaines dépenses présentées au nom de Claude Atcher. Certains remboursements de frais semblaient douteux et la Fédération française de rugby n’a jamais justifié des sommes qui lui ont été versées en tant qu’apporteur d’affaires.
Écarté de la fédération...
En décembre 2008, Pierre Camou est élu président de la Fédération française de rugby, en remplacement de Bernard Lapasset, parti à la Fédération internationale. Peu à peu, la nouvelle équipe écarte Claude Atcher des marchés fédéraux. "Il était furieux mais nous ne souhaitions plus travailler avec lui", raconte un dirigeant de l’époque. Claude Atcher se lance dans une autre aventure : créer un grand club de rugby à Marseille. Marseille-Vitrolles fait sensation en embauchant l’ex-star des All Blacks, Jonah Lomu.
Le club, qui joue en troisième division, lance même une introduction en bourse et annonce de grandes ambitions. Finalement, il n’atteint jamais le niveau professionnel et finit son aventure dans la débandade financière (lire à ce sujet l'enquête de Mediapart consacrée à Claude Atcher, qui revient sur cet épisode).
... et de retour avec Bernard Laporte
Claude Atcher revient sur le devant de la scène française à la faveur de la campagne électorale de Bernard Laporte pour la présidence de la FFR, dont il a été un des grands artisans. À le croire (nous l’avons rencontré : l'homme n’a souhaité évoquer que de la campagne électorale, écartant les autres dossiers), il n’était "qu’un parmi d’autres" dans l’équipe du candidat.
Pourtant, certains éléments laissent penser qu’il a au contraire joué un rôle central dans l’élection de l’ancien manager de Toulon. Pour preuve, sa société, Score XV, hébergeait l’association de campagne du candidat. Dès le premier comité directeur qui suit l’élection, il est nommé à la tête de la candidature française pour la Coupe du monde 2023. Sa société signe en ce sens un contrat d’un montant de 120 000 euros avec la FFR.
Une position ambiguë au sein de la FFR
Comme dans les années 1990, Claude Atcher se retrouve dans un positionnement étonnant au sein de la FFR. "Il intervient en comité directeur comme s’il était un élu. Officiellement, il n’a aucun rôle dans l’organigramme mais, en réalité, il est associé de près à toutes les décisions stratégiques !", se désole un habitué de la maison, pas franchement réjoui de le voir de retour. D’autant que Claude Atcher n’a manifestement pas l’intention de limiter ses activités à la candidature pour la Coupe du monde. En juillet, le directeur général de la fédération annonçait ainsi qu’après un audit, confié à Claude Atcher, les activités les plus lucratives de l’institution allaient être regroupées au sein d’un département "business", sous la responsabilité du même Claude Atcher.
Ce département, qui aura en charge toutes les sources de revenus liées à l’équipe de France (billetterie, partenaires, droits télévisés...), génère environ 80 millions d’euros de chiffre d’affaires par an, à comparer aux 100 millions de budget de la FFR. "On retrouve le schéma qui prévalait dans les années 1990, estime Philippe Kallenbrunn, avec un Claude Atcher de nouveau dans une position ambigüe vis-à-vis de la Fédération."
Un handicap pour la candidature française ?
D’après plusieurs interlocuteurs, Claude Atcher n’a pas laissé que de bons souvenirs au sein de la Fédération internationale de rugby, qu’il a fréquentée dans le sillage de Bernard Lapasset. "Quand j’ai annoncé à un cadre de World Rugby que c’était lui qui allait piloter la candidature française pour la Coupe du monde 2023, il m’a répondu : 'oh shit !'", raconte un ancien membre de la Fédération française.
L’actuel président de World Rugby, l’Anglais Bill Beaumont, entretenait des relations tendues avec Bernard Lapasset. Il a été son vice-président, avant de se présenter contre lui en 2011. Le Français réélu de justesse l’avait alors écarté. Or, Claude Atcher a toujours été vu comme l’homme de Bernard Lapasset. Difficile de dire si cela a pu peser dans la décision de World rugby de préférer le dossier de candidature de l’Afrique du sud plutôt que celui de la France.
Le dossier français comportait manifestement quelques lacunes techniques que n’ont pas manqué de pointer les responsables de la fédération internationale. Ceci dit, lors du grand oral des Français le 25 septembre, un point était resté en travers de la gorge de certains anglo-saxons. La présence des enfants de Jonah Lomu (7 et 8 ans) acheminés de Nouvelle-Zélande pour "défendre" la candidature française a fait tiquer plusieurs médias, se demandant quel pouvoit bien être leur libre arbitre dans cette opérations. Leur venue avait été décidée dans l'urgence après que Dan Caerter, l'international néo-zélandais, a renoncé à venir soutenir le dossier français. Le remplacer par les deux jeunes garçons était une idée de Claude Atcher, qui entretient de bonnes relations avec la famille Lomu depuis son passage à Marseille.
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