Les Bleus face au monde Black
Une décision, beaucoup de conséquences. En décidant de titulariser Morgan Parra à l'ouverture pour la première fois, Marc Lièvremont a déclenché un mini-tsunami. En Nouvelle-Zélande, la presse s'en est emparée pour évoquer une "équipe B" et pointer du doigt un choix qui dévaloriserait le choc et manquerait de respect aux hôtes néo-zélandais. Cette campagne a fait monter d'un cran la température dans le camp de base français, et Pascal Papé, pas vraiment connu pour être un taiseux de sang-froid, a franchi un cap supplémentaire. Dans un entretien dans L'Equipe au lendemain de cette annonce, il a ainsi disséqué le "savoir-faire" du deuxième ligne: "bien viser et être super discret" dans les rucks, pour le nettoyage "tu ajustes le viseur, tu arrives avec le plus d'élan possible, et tu l'éjectes d'un coup d'épaule. Tu vises les côtes ou la tête". Si un joueur sera bien surveillé par l'arbitre, l'Irlandais Alain Rolland, c'est bien le Parisien. Et ses adversaires ne manqueront pas de lui rappeler qu'ils en connaissent un rayon sur le métier obscure du jeu d'avants. Dans un match entre deux équipes déjà qualifiées pour les quarts et donc sans véritable enjeu hormis celui de délivrer la place de N.1 et de N.2 de la poule A, l'avant-match aurait pu être plus pacifique.
Parra dans le viseur ?
Il n'en fallait pas tant pour que cet affrontement entre deux prétendants au titre soit l'affiche du week-end. "Ce match est sur notre calendrier depuis un moment. Ce sont les Français et c'est la Coupe du monde. Il y a beaucoup d'histoire (sur ces matches) et ça suffit à donner un surplus de motivation", avoue Graham Henry, le sélectionneur. "On est plus concentré mais c'est naturel à cause de l'événement. On a dit que ce sera grand et ça le sera". Déjà présent à la tête de cette formation lors de la défaite à Cardiff en quarts de finale de la précédente Coupe du monde, le technicien a tout fait pour que ses troupes se rachètent. Derrière son capitaine Richie McCaw, qui fêtera sa 100e sélection, il a placé du lourd devant, du solide et de l'imprévisible derrière, avec son maître à jouer Carter pour diriger la manoeuvre. "Si j'avais eu à choisir un lieu et un match pour cette 100e sélection, j'aurais choisi les Français", a même déclaré le flanker. Et si la presse nationale a présenté négativement la présence de Parra à l'ouverture, Henry pourrait bien en tirer profit. Avec Weepu (96kg) et Carter (93kg) à la charnière, une troisième ligne McCaw (106kg)-Thomson (112kg)-Kaino (116kg), sans oublier le premier centre Ma'a Nonu (106kg), les 83kg du Clermontois seront une cible privilégiée sur les premiers temps de jeu. L'habituel demi de mêlée a beau être vaillant et bon défenseur, il n'a pas l'habitude d'être autant dans la ligne de mire. Et si sa troisième ligne (Dusautoir, Picamoles, Bonnaire) et ses coéquipiers viendront à son soutien, cela pourrait ressembler à une faiblesse dans le XV de France, même si les All Blacks n'ont pas l'habitude de modifier leur manière de jouer en fonction d'un joueur. Ce ne sera peut-être pas la seule.
Les Blacks invaincus à Auckland depuis 1994
Depuis plusieurs mois, le jeu offensif tricolore balbutie. Avec une nouvelle ligne de trois-quarts, et le premier match notamment de Maxime Mermoz qui composera une paire de centres de poids avec Aurélien Rougerie, la France se frotte à ce qui se fait de mieux dans le jeu déployé. Quant aux avants, ils ne seront pas en reste, leur combat étant décisif. Car si le pack tricolore n'est pas dominateur, la charnière sera sous une pression énorme, et aura d'autant plus de mal à envoyer du jeu derrière. C'est toujours le même dilemme au rugby, mais cela prend une autre dimension contre la Nouvelle-Zélande. Certes, une défaite serait logique et même préférable pour les Bleus, qui éviteraient ainsi en quarts de finale l'Angleterre pour jouer plutôt soit l'Ecosse soit l'Argentine. De là à envisager que les hommes de Lièvremont pourraient laisser filer le match, il y a un écart énorme. Si c'était le cas, la défaite pourrait bien ressembler à une humiliation, bien peu adaptée à des ambitions en Coupe du monde, sans compter que les blessures pourraient être nombreuses, car ne pas combattre, c'est multiplier les risques.
L'espoir du passé
Malgré tout cela, la France peut-elle battre la Nouvelle-Zélande ? Sur la planète ovale, l'équipe tricolore est l'une des rares à pouvoir le faire à tout moment, surtout lorsqu'elle est présentée comme victime annoncée. C'était le cas au Mondial-1999, comme au Mondial-2007. Et ce fut aussi le cas en d'autres occasions, comme à l'Eden Park lors de la tournée 1994, ou à Dunedin en 2009. Mais le bilan reste largement en défaveur des Bleus, battus à 36 reprises en 49 confrontations. Car affronter les All Blacks, hormis lorsqu'on est des Springboks ou des Wallabies, c'est se présenter comme outsider.
Pour envisager une victoire, les Bleus devront livrer la rencontre parfaite, avec une mêlée et une touche dominatrices, permettant l'alimentation d'une ligne de trois-quarts à la créativité retrouvée. Empêcher Daniel Carter de jouer à sa main, trouver chaque touche pour éviter les relances du trio d'arrières talentueux Jane-Dagg-Kahui, ne pas commettre de fautes inutiles, voilà quelques-uns des ingrédients de base pour s'offrir un exploit. Sans oublier la folie tant redoutée par les Néo-Zélandais. "Notre objectif est simple, rivaliser avec la puissance physique des Français, bien tenir nos rôles et faire face à tout ce que les Français vont nous opposer d'inattendu", a déclaré Graham Henry. "Les Français ont une très bonne équipe et ils jouent vraiment leur tout meilleur rugby contre les All Blacks. Ils jouent avec passion, ils se surpassent dans l'émotion et, comme toujours, il ne faudra pas les sous-estimer. L'histoire nous a montré le défi que nous poseront les Français. On a joué beaucoup de matches de Coupe du monde contre la France qui ont suscité un grand intérêt. Et souvent avec des situations difficiles à négocier. Cette équipe de France sera très difficile à battre", a averti le sélectionneur. De leur côté, les Français n'auront pas la pression du résultat, leur défaite étant annoncée partout: "C'est pour nous une fierté de jouer ce match qui n'est pas un match comme les autres. J'espère que les joueurs vont l'aborder avec beaucoup de passion, sans pression, et qu'ils vont faire honneur à notre maillot", a glissé Marc Lièvremont.
Dans un stade de l'Eden Park dans lequel la Nouvelle-Zélande avait conquis aux dépens de la France son premier et seul titre mondial en 1987, dans une enceinte qui n'a plus vu les All Blacks s'incliner depuis 1994 et un test-match victorieux des Français, devant des spectateurs pour lesquels le moindre revers s'apparente à un jour de deuil, sous les yeux d'une nation qui ne rêve que de redevenir championne du monde, l'équipe de Marc Lièvremont n'affrontera pas qu'une équipe. Elle sera opposée à tout un pays, à un mythe, à une religion. Au défi ultime.
Composition des équipes
Nouvelle-Zélande: Dagg - Jane, Smith, Nonu, Kahui - (o) Carter, (m) Weepu - McCaw (cap.), Thomson, Kaino - Whitelock, Thorn - O. Franks, Mealamu, Woodcock
Remplaçants: Hore, B. Franks, A. Williams, Boric, Ellis, Slade, S.B. Williams
France: Traille - Clerc, Rougerie, Mermoz, Médard - (o) Parra, (m) Yachvili - Bonnaire, Picamoles, Dusautoir (cap.) - Nallet, Papé - Ducalcon, Szarzewski, Poux
Remplaçants: Servat, Barcella, Pierre, Harinordoquy, Trinh-Duc, Estebanez, Heymans
Arbitre: Alain Rolland (IRL)
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