Coupe du monde de rugby : pourquoi l'Australie n'arrive pas (totalement) à plaquer la bière
Il y a deux ans, la moitié des Wallabies se soûlaient dans un pub de Dublin quelques jours seulement avant un match important lors de leur tournée d'automne. Aujourd'hui, ce sont les favoris de la Coupe du monde.
L'Australie a grimpé à la deuxième place des favoris de la Coupe du monde de rugby chez les bookmakers après sa brillante victoire contre l'Angleterre, samedi 3 octobre. Que de chemin parcouru depuis le 18 novembre 2013 ! Ce jour-là, quinze joueurs des Wallabies avaient écopé d'un blâme ou d'une suspension pour une soirée très arrosée dans le centre de Dublin, où ils avaient englouti pour 1 500 euros d'alcool. Avant le match contre les Gallois, samedi 10 octobre, retour sur une cure de désintoxication collective.
Les verres de trop du sport australien
L'alcool représente un vrai problème pour les sportifs australiens. Lors des Jeux olympiques de 2012, le rameur Josh Booth a fini une soirée trop arrosée au poste après avoir démoli la vitrine d'un magasin. A Londres, les Aussies ont obtenu leur pire total de médailles depuis vingt ans, un fiasco attribué aux beuveries organisées dans l'enceinte du village olympique. A Sotchi, les dirigeants australiens ont fliqué leurs athlètes, avec tolérance zéro sur la boisson. Même punition aux Jeux de Rio l'an prochain. L'équipe nationale de cricket – dont le sponsor maillot est une marque de bière – est aussi dans la tourmente. La découverte de 52 canettes de bière – oui, oui, 52 – dans la valise de l'international David Boon pour faire passer le temps dans un vol pour Londres en 2013 a fait scandale. Et on passera rapidement sur le rugby à XIII, sport le plus populaire aux antipodes : les frasques des stars du championnat font les choux gras des tabloïds.
Sport et alcool font vraiment trop bon ménage en Australie : une étude menée par le gouvernement auprès des sportifs, toutes disciplines confondues, montre qu'ils boivent en moyenne cinq bières à chaque passage au club. Difficile de montrer l'exemple dans un pays où Tony Abbott, candidat au poste de Premier ministre en 2010, s'était fait tailler en pièces dans les médias pour avoir demandé une bière coupée à la limonade dans un bar, pendant sa campagne. Finalement élu trois ans plus tard, il s'est distingué en avril dernier en sifflant une pinte de bière – une vraie – en sept secondes dans une vidéo qui a fait le tour du monde. Une pièce de théâtre jouée à Sydney en 2011, intitulée 10 000 beers, raconte l'histoire d'une équipe de rugby victorieuse qui tente d'écluser 10 000 mousses en un week-end. "C'est la caricature du mâle australien poussée à l'extrême, décrit Andrew Steele, un des acteurs, à CNN. Mais c'est une bonne description de la culture du rugby."
Le "booze ban" n'est pas la solution miracle
Longtemps, les Wallabies ont adopté la politique de l'autruche. Les joueurs boivent ? Et alors ? Lors du Mondial 1991, les Australiens n'avaient quitté le bar légendaire de Dublin Lillie's Bordello que pour jouer (et gagner) leur quart de finale contre l'Irlande. Cette année-là, ils avaient gagné la compétition. En 1991 comme en 2014, les joueurs qui dérapaient étaient réintégrés dans l'équipe sans sourciller. A l'image de l'ailier Kurtley Beale, qui brille au Mondial anglais : quand il n'est pas suspendu pour avoir conduit en état d'ivresse, s'être battu avec ses équipiers un soir de beuverie, ou avoir enfreint le couvre-feu imposé par son équipe, il brille sous le maillot jaune et vert, résume The Independent. A sa décharge, Beale peut arguer qu'il existe une étude relayée par le Daily Mail affirmant que boire 11 pintes de bière la veille d'un match n'affecte pas la performance...
"Je ne suis pas l'assistante sociale de Kurtley Beale", a coupé le nouveau coach Michael Cheika, intronisé à quelques mois du Mondial. "Il n'y a pas de couvre-feu ou d'interdiction de boire. Le critère-roi, c'est la performance. Si vous adoptez une attitude non-professionnelle, vous en payez le prix." Pour Cheika, le "booze ban" n'est pas la solution, même si les Gallois s'y plient depuis 2011, et même si Jonny Wilkinson avait appelé, en vain, les Anglais à le mettre en place également, comme si c'était un sésame pour la performance. Le maître mot du coach des Wallabies : la responsabilisation. Il a ainsi donné une deuxième chance à la plupart des buveurs de Dublin, en 2013. Le contrat est clair : pas de flicage, mais pas de dérapage. Pour l'instant, les Wallabies se font remarquablement discrets dans les tabloïds.
Les meilleurs, ce sont (encore) les All Blacks
Sur six semaines de compétition, ça peut marcher. Sur la durée, les Wallabies feraient bien de s'inspirer de leur ennemi juré néo-zélandais, passé à la vitesse supérieure depuis 2004. Les nouveaux sélectionneurs, auparavant en charge du pays de Galles, découvrent une culture du binge drinking solidement ancrée lors d'un déplacement en Afrique du Sud. "Rien n'avait changé", malgré le professionnalisme, constate Steve Hansen, sélectionneur adjoint à l'époque et aujourd'hui coach en titre de l'équipe, dans une interview accordée au New Zealand Herald. "Il y avait de la bière dans les vestiaires, au banquet d'après-match, et après nous finissions la soirée dans un bar", renchérit le coach d'Auckland, Wayne Pivac.
Le constat est terrible : c'est dans le rugby professionnel que le taux d'alcoolisme est le plus élevé, parmi tous les métiers du pays – avec plusieurs All Blacks complètement accros, raconte le Herald, citant l'étude choc d'un cabinet de ressources humaines. Les sélectionneurs mettent en place un code de conduite et instillent l'idée que l'alcool ne doit plus être perçu comme une récompense après un match gagné. Des tests urinaires sont mis en place quarante-huit heures avant chaque match pour déterminer qui est le plus apte à jouer – et au passage identifier qui a bu le verre de trop.
Dix ans plus tard, la réussite est totale. La plupart des jeunes joueurs ne boivent pas. Ceux qui dérapent, comme Zac Guildford, qui a agressé une personne ou s'est battu nu dans un bar en état d'ivresse, ont quitté l'équipe. "Demandez à Brad Thorn [légendaire deuxième ligne néo-zélandais, champion du monde 2011] pourquoi sa carrière a duré si longtemps, souligne Wayne Pivac. Il vous répondra que c'est parce qu'il a arrêté de boire. Il a gagné deux ans de carrière."
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