Rugby : la Russie candidate à l'organisation du Mondial 2027, un nouvel objectif pour peser sur la scène sportive internationale
La Russie veut devenir une scène sportive mondiale. Après avoir accueilli les Jeux olympiques et paralympiques d’hiver en 2014, puis le Mondial de football en 2018, la Russie s’est fixée un nouvel objectif : organiser la Coupe du monde de rugby en 2027. Fin juillet, le pays a ainsi rassemblé un comité chargé de préparer sa candidature. Une annonce qui interpelle quand on sait que la Russie n’est pas un pays de tradition du rugby. D’ailleurs, le palmarès des Russes sur la scène internationale est pauvre et assez récent. L’équipe nationale a en effet participé pour la première fois à une Coupe du monde de rugby en 2011.
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Avant cette date, elle n’a jamais réussi à se qualifier pour ce rendez-vous mondial. Son meilleur résultat n’est d’ailleurs que 5e de poule en 2011 et 2019. En 2015, elle n’avait pas obtenu son ticket pour la phase finale. “La faible notoriété du rugby en Russie est due notamment à la faiblesse de l'équipe nationale. De manière générale, l'Union soviétique n’avait pas déployé les moyens pour développer une grande équipe de rugby. Si on doit chercher parmi les pays d'ex-URSS la nation où le rugby est très développé, il s'agit plutôt de la Géorgie, qui est l'héritière du ballon ovale dans la région”, explique Lukas Aubin, chercheur en géopolitique, spécialiste de la Russie et du sport.
La suite logique de la politique de Poutine
Si le rugby est peu populaire sur la terre des Tsars, alors pourquoi souhaite-t-elle accueillir cet événement mondial ? Plus qu’une volonté sportive, il s’agit surtout d’un but politique. “C'est la suite logique de la stratégie mise en place par Vladimir Poutine depuis la deuxième moitié des années 2000, qui est d’accueillir de nombreux événements sportifs de grande ampleur pour montrer les plus beaux atouts du pays à l'international”, développe Lukas Aubin.
Comme le football et les JOP, le rugby est lui aussi un sport dont l'événement est mondialisé et dont l’impact au niveau international est puissant. “Comme pour la Coupe du monde de football, l'intérêt est vraiment politique. On a vraiment l'idée d'utiliser un sport qui n'est pas populaire en Russie mais pour exister sur la scène médiatique internationale”, poursuit le spécialiste.
“Les politique publiques peuvent très bien faire du rugby un sport populaire en quelques années si les résultats suivent”
Toutefois, ce n’est pas parce que la Russie n’est pas une terre de rugby, que l’engouement ne sera pas à la hauteur de l’événement. “D'un point de vue plus large, si jamais la Russie obtient l’organisation de l’événement, il y aura probablement une grande politique pro-rugby qui va être menée pour préparer au mieux l'équipe russe sur les sept prochaines années”, commente Lukas Aubin. Avant d’ajouter : “Et ça a déjà été prouvé par le passé récent russe, les politique publiques peuvent très bien faire du rugby un sport populaire en quelques années si les résultats suivent.”
Un programme de développement du sport
En parallèle, la Russie a également voté son programme de développement du sport jusqu’en 2030. “Il s’agit d’un pavé qui explique les objectifs politiques, économiques et sociaux du sport en Russie. Et il y a en priorité l'accueil des grands événements sportifs internationaux de manière à rendre sa stratégie pérenne. Tout est mis en œuvre pour que la Russie existe de manière régulière et récurrente sur la scène sportive internationale. Mise à part ces quatre prochaines années qui seront très compliquées, je pense que ça va fonctionner. Quand elle décide d'accueillir un événement, la Russie, à travers Vladimir Poutine, ses oligarques, et les grands sportifs, met les bouchées doubles, triples, quadruples pour pouvoir réussir”, analyse Lukas Aubin.
Logique de roulement
La volonté d’accueillir le mondial de rugby s’inscrit donc dans la suite logique de la politique d’accueil de grands événements sportifs par la Russie. “C’est une logique de roulement. La stratégie d'accueillir des événements sportifs de grande ampleur a ses limites. On ne peut pas accueillir tous les ans les plus grands événements sportifs. L'idée est donc de fonctionner par cycle”, indique Lukas Aubin. Les Russes ont déjà obtenu les Jeux d'hiver en 2014 et le Mondial de football en 2018. Reste encore à accueillir la Coupe du monde de rugby en 2027 mais aussi les JO d'été à Saint-Pétersbourg, prochain objectif sur la liste du pouvoir russe.
“Les habitants souhaitent accueillir les Jeux. Vladimir Poutine veut que Saint-Pétersbourg, la ville où il est né, reçoive cet événement et représente la Russie. C’est le grand objectif. Mais pour le moment, c'est au point mort puisque la fédération d’athlétisme russe est toujours exclue de la Fédération internationale d'athlétisme. Il faut le temps que la Russie normalise sa situation,” ajoute Lukas Aubin. La fédération russe (Rusaf) a d’ailleurs jusqu'au 15 août pour payer ses amendes, qui s’élèvent à plus de 5 millions d’euros, pour violation des règles antidopage. Un dernier délai lui a été accordé par la Fédération internationale d'athlétisme (World Athletics), faute de quoi une procédure d'exclusion sera immédiatement et automatiquement enclenchée.
Cette affaire de dopage a d’ailleurs également joué un rôle dans cette candidature. “Il y a un contexte particulier qui est celui du dopage, à savoir l'exclusion de la Russie à priori pour quatre ans de la scène du sport internationale. Je dis bien à priori car le Tribunal arbitral du sport (TAS) doit confirmer ou non la décision de l'AMA début novembre. Le contexte politique est très tendu”, souligne Lukas Aubin. “On peut aussi interpréter cette candidature d'une manière plus virulente dans le sens où ce n’est pas parce que la Russie va être exclue pour quatre ans, qu'elle n'existe plus sur la scène internationale. Et la preuve est qu'elle continue à candidater pour accueillir les grands événements sportifs mondiaux”, approfondit Lukas Aubin.
La carte de l’originalité
Face à l’Australie, sa seule rivale, quelles sont les chances de la Russie de l'emporter ? Faibles selon Lukas Aubin. Mais le pays des matriochkas (des poupées russes) a malgré tout une carte à jouer, celle de l’originalité. “Les Coupes du monde de rugby se déroulent toujours dans les mêmes pays depuis plusieurs décennies. Avec la candidature de la Russie, on a un pays qui a des moyens financiers, avec des infrastructures modernes après la Coupe du monde de football, et qui sait accueillir de grands événement. Donc, tous ces éléments peuvent jouer en sa faveur”, nuance le chercheur en géopolitique.
La Russie va devoir se normaliser
Malgré tous ses succès depuis quelques années, le pays va devoir se normaliser dans son nouveau rôle de pays hôte. En effet, quand la Russie avait candidaté pour accueillir les JO de Sotchi, les Russes avaient fait preuve d'opulence en faisant construire une patinoire au Guatemala, ville où se déroulait la cérémonie d’attribution, et en amenant de la glace de Russie pour offrir aux dirigeants des délégations olympiques un spectacle de patinage avec les vedettes de leur pays. Vladimir Poutine s’était d’ailleurs rendu lui-même sur place. “En 2007, cette méthode pour obtenir les Jeux de 2014 a fonctionné, mais aujourd’hui, cela marcherait beaucoup moins bien. La Russie va chercher à rentrer dans le rang pour éviter d'être accusé de tentative de corruption”, souligne Lukas Aubin.
L’objectif va aussi être au niveau local de permettre au soft power russe d’être réellement positif. Car si le Mondial de football fut une grande fête et la politique s’est peu immiscée dans l’événement, les JO de Sotchi ont été, quant à eux, un demi-échec comme l’explique Lukas Aubin. “L’événement a servi, pour de nombreux pays occidentaux, de tribunal, pour critiquer le pays. Et finalement l'image de la Russie ne s'est pas vraiment améliorée.” Ainsi, pour l’accueil du mondial de rugby, la stratégie sera plutôt dans la même lignée que celle suivie pour le Mondial de foot, “à savoir un accueil à la manière des pays occidentaux en évitant toute politisation pendant le déroulement de l'événement”, ajoute Lukas Aubin.
En attendant, pour le spécialiste de la Russie et du sport, la candidature russe, dont le projet a été validé par Vladimir Poutine et sera ficelé en février 2021, sera malgré tout intéressante à étudier pour repérer les indicateurs sur le futur de la géopolitique russe à l’échelle locale. “Il va être intéressant de voir quelles seront les villes misent en avant et les pôles sportifs majeurs. On peut penser à Sotchi, qui est situé dans la région de Krasnodar, où le rugby est développé, et proche de la frontière géorgienne où le ballon ovale est presque une seconde religion. Je mise aussi sur Kazan, Moscou et Saint-Pétersbourg notamment, mais des surprises émergeront peut-être aussi.” Si le projet intrigue, il faudra encore patienter quelques mois avant l'ouverture de la campagne pour l'organisation de la compétition, qui aura lieu en février prochain et encore un peu plus pour connaître le nom de l’heureux élu, qui ne sera donné qu’en mai 2022.
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