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Rentabilité, coup de poker, conséquences… 6 questions économiques sur la Super Ligue

Projet financier avant tout, la Super Ligue pose de nombreuses questions sur le plan économique.
Article rédigé par Adrien Hémard Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
Les supporters de Liverpool lors de la finale de la Ligue des champions le 1er juin 2019.  (JOSE BRETON / NURPHOTO)

Dimanche 18 avril en pleine nuit, le lancement d’une Super Ligue européenne de football réunissant 12 clubs anglais, espagnols et italiens a été officialisé. Economiste du Sport à l’université de Lille, Mickaël Terrien analyse ce projet encore loin de voir le jour selon lui.

• Pourquoi ce n’est pas une surprise ?

"C’est un serpent de mer dont l’issue était inéluctable". Comme beaucoup d’observateurs, l’économiste du sport Mickaël Terrien n’est pas surpris de voir une Super Ligue se mettre en place dans le monde du football. Dans les cartons depuis plusieurs années, ce projet était attendu, mais pour plus tard. "Le contexte économique lié à la crise sanitaire a accéléré les choses", explique Terrien, qui précise : "C’était inévitable car d’un côté, on a des gros clubs endettés ou déficitaires qui en veulent toujours plus. De l’autre, on a des compétitions européennes de plus en plus déséquilibrées. Les deux phénomènes cumulés ont creusé le gouffre. Aujourd’hui, ça craque". Dans les faits, la réforme prévue de la C1 dès 2024 partage même de nombreux traits avec la Super Ligue pointée du doigt par tous depuis hier. "La seule distinction c’est de savoir qui organisera la compétition : l’UEFA ou une banque", termine le maître de conférence.

• Pourquoi ça s’est accéléré ?

Comme souvent ces dernières temps, tout ça, c’est la faute du Covid-19. Ou presque. La crise économique provoquée par la pandémie est en effet à l’origine de l’accélération spectaculaire du projet de Super Ligue européenne, selon Mickaël Terrien : "Les clubs anglais vivent énormément de leurs recettes de billetteries. Ils n’en ont pas depuis un an. Cela les a certainement poussés à agir plus vite. D’autant que les gros clubs anglais sont de plus en plus en difficultés face à leurs poursuivants, à l’image d’Arsenal, parce que la répartition des droits TV est équitable en Premier League". Pas de billetterie en Angleterre, des dettes colossales qui n’en finissent plus de se creuser en Espagne, ou encore une saison compliquée pour la Juventus (seulement 4e de Serie A) : autant de raisons qui ont motivé les clubs sécessionnistes à se démasquer. Pourquoi ?  "C’est simple : en créant une ligue fermée à laquelle ils participeraient par définition tous les ans, ces clubs sécurisent leur place et donc leurs revenus, là où certains ont du mal à se qualifier en Ligue des champions depuis des années comme Arsenal ou l’AC Milan", éclaire l’économiste.

• Pourquoi la Super Ligue serait-elle plus rentable que la Ligue des champions ?

Avec pour l’instant 12 clubs concernés, mais a priori 20 chaque année (15 membres fixes, et 5 invités), la Super Ligue serait bien plus rentable que la Ligue des champions actuelle et son futur format à 36 équipes. "La compétition doit être soutenue par une banque qui a les moyens de faire un chèque en blanc. Ensuite il faudra la rentabiliser avec les droits TV. L’idée c’est de supprimer l’intermédiaire qu’est aujourd’hui l’UEFA", résume Mickaël Terrien. Une fois cette première étape accomplie, la Super Ligue et son format de championnat généreront plus de matches, disputés entre des équipes jugées plus attirantes. Dès lors, la part du gâteau augmente pour tous les participants : "Les droits TV seront vendus plus chers, sur plus de matches. Le gâteau sera donc plus gros. Or, au lieu des 36 invités en C1, il n’y en aura que 20 en Super Ligue. Chacun aura donc une plus grosse part", caricature Terrien. Il y aura plus de monde devant la TV, mais aussi des billets venus plus cher : "La Super Ligue boostera tous les revenus; On l’a bien vu avec la C1 qui, depuis qu’elle est sortie d’une logique de pure méritocratie en 1993, génère plus d’argent", conclut Terrien.

• Pourquoi s’agit-il peut-être d’une fausse alerte ?

Depuis dimanche, les paris vont bon train : la Super Ligue verra-t-elle vraiment le jour ? Ou bien s’agit-il d’un moyen de pression pour pousser l’UEFA à réformer encore plus la Ligue des champions ? Pour Mickaël Terrien, c’est un coup de pression : "C’est intenable. Si on a une approche historique de ces ligues indépendantes, on s’aperçoit que pour que ça fonctionne, il faut laisser peu de monde de côté, sinon une ligue rivale émerge". Or là avec 12 clubs fondateurs, et 20 membres chaque année, la Super Ligue laissera forcément des clubs mythiques sur le carreau. "Tous les précédents le montrent : les clubs en questions pourraient créer une autre ligue, qui, dans les faits, serait la Ligue des champions, qui serait tout aussi performante. Dans ce cas, seule, la Super Ligue n’y arriverait pas de son côté", estime l’économiste, qui poursuit : "Pour que cela fonctionne, il faut que cela prenne en compte les 30 ou 40 meilleures équipes européennes. Un système de conférences serait plus adapté. La gouvernance serait assurée en cartel par l’ensemble des clubs. C’est ça qu’il se passe en NBA. Or un cartel en économie, c’est instable parce qu’il y a tout le temps quelqu’un qui a un intérêt à tricher". Autrement dit, en se montrant trop sélectifs d’entrée, les clubs fondateurs rendraient le projet irréalisable d’entrée.

• Les sanctions de l’UEFA peuvent-elles être efficaces ?

Contre cette Super Ligue, et avant même son officialisation, l’UEFA est sortie du silence et a haussé le ton, soutenue par la FIFA et des fédérations nationales. Si un joueur participe à la Super Ligue, il ne pourra ni jouer l’Euro, ni la Coupe du monde ou tout autre compétition. Pas de quoi déstabiliser les clubs sécessionnistes estime Mickaël Terrien : "C’est un levier sur les joueurs, les clubs s’en fichent. Et puis, on a un recul là dessus avec le cas de la Super League de rugby à 13 en Australie. La fédération australienne avait dit aux joueurs qu’ils ne seraient plus sélectionnés. Mais quand on oppose la puissance financière d’une institution à la réputation d’une compétition et à l’attrait des sélections nationales, à l’arrivée, c’est l’argent qui gagne. En Australie, la fédération a finalement rappelé les joueurs parce qu’ils avaient besoin d’eux pour gagner". Paradoxalement, ce qui pourrait protéger l’UEFA, c’est sa générosité selon Terrier : "Concrètement, l’investisseur qui va financer la Super Ligue va devoir mettre bien plus que les 2,3 milliards de l’UEFA sur la Ligue des champions. Et puis, en dehors de ça, si on propose à un joueur de quadrupler son salaire pour jouer au Real Madrid, ou de jouer à Beauvais pour qu’il puisse aller en équipe de France, l’histoire a montré ce vers quoi les sportifs penchent…"

• Vers une NBA du football ?

Au-delà de l’impact sur les autres compétitions, et de déséquilibre budgétaire que cela engendrait, la Super Ligue pourrait aussi redistribuer les cartes entre les clubs membres. "Le but de la Super Ligue est peut-être de modifier les mécanismes de gouvernance", avance Mickaël Terrien. "Le projet de Super Ligue permet de sortir d’une logique sportive avant tout pour se diriger vers une logique financière. La différence, c’est que dans une ligue ouverte, si vous n’investissez pas l’argent en joueurs de talent, vous pouvez ne pas vous qualifier pour une compétition européenne. Il y a une notion de course à l’armement. Alors que dans une ligue fermée, votre position est assurée quoi qu’il arrive, il y a peu de menace. C’est sans doute le cœur de la réforme : sécuriser les positions et réduire la course à l’armement". En d’autres mots, on pourrait arriver à un scénario proche de la NBA avec quelques mastodontes qui luttent pour le titre, et d’autres qui se contentent de jouer les play-offs et de générer des revenus de droits TV et de billetterie.

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