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Raphaël Cosmidis, co-auteur de L'Odyssée du 10 : "Le 10 était un marginal"

Après "Comment regarder un match de foot" et "Les entraîneurs révolutionnaires du football", la bande des Dé-managers publie ce jeudi un nouveau livre, en se plongeant dans l’univers d’un poste fantasmé dans le monde du football, le numéro 10. Raphaël Cosmidis, l’un des auteurs, nous évoque ce footballeur qui a progressivement disparu des terrains de football, en raison de l'évolution du jeu.
Article rédigé par Denis Ménétrier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
  (FILIPPO MONTEFORTE / AFP)

Quelle est la caractéristique la plus appropriée pour décrire le numéro 10 ?
Raphaël Cosmidis : "Nous avons rattaché le numéro 10 dans notre livre à la créativité. Pour nous, c’est celui qui, par le dribble, la passe, le geste, va inventer ou voir quelque chose que les autres ne conçoivent pas. Il a une imagination et une capacité à effectuer le geste technique supérieures aux autres. Chez ce joueur, il existe un instinct supérieur qui permet de trouver des solutions alternatives et uniques. Plus que d’être un poste ou une position sur le terrain, comme on pouvait l’envisager avec ce rôle axial derrière les deux attaquants, c’est une philosophie."

Comment le rôle du numéro 10 justement a évolué avec les années ?
RC : "Au départ, le 10 était au-dessus des autres dans la hiérarchie de l’équipe. Il avait des responsabilités hors du terrain ou pendant le match. Platini négociait les primes de ses partenaires, Cruyff était le relais de son entraîneur pour les consignes. Petit à petit, sa place sur le terrain a changé avec l’émergence du pressing à la fin des années 1980. La créativité du 10 va être déportée, sur les ailes d’abord, puis plus bas sur le terrain, avec Pirlo par exemple - qui avait débuté n°10 à Brescia, avant de reculer -, voire même encore plus bas avec des latéraux comme Alexander-Arnold, Marcelo ou Dani Alves. Ces derniers vont être des noyaux créatifs, beaucoup plus loin du pressing et qui vont avoir plus de temps pour jouer et distiller des bonnes passes."

À force de reculer, peut-on considérer que le numéro 10 a disparu aujourd’hui ?
RC : "La conception traditionnelle du 10, qui est celle de la génération précédente, de ceux qui ont grandi avec Platini ou Cruyff, avec un 10 qui se déplace entre les lignes, n’existe plus vraiment aujourd’hui. C’est une conception romantique du 10, qui s’est un peu effacée à l’intérieur d’un collectif. Mais la créativité existe toujours dans le football, elle est parfois maintenant plus dans les mains des entraîneurs que dans les pieds des joueurs. On pourrait considérer que De Bruyne par exemple est ce numéro 10, mais il fait partie d’un modèle tellement automatisé par Guardiola où tout est calculé, que lui est plus du côté exécutant technique que joueur qui va trouver des solutions ou les inventer."

Comment les derniers 10 traditionnels ont-ils survécu aux changements du football 
RC : "Ils arrivaient encore à s’exprimer jusqu’à il y a six-sept ans, à l’instar d’Özil qui était performant dans le Real Madrid de Mourinho qui jouait en contre. Mais, comme nous l’a expliqué Francisco Filho, ancien formateur à l’INF Clairefontaine, les anciens numéro 10 comme Riquelme par exemple ne pourraient pas jouer au plus haut niveau en raison d’une trop grande lenteur."

Serait-il possible de voir réapparaître la conception traditionnelle du 10, ou celle-ci est vouée à disparaître ?
RC : "J’ai du mal à imaginer son retour, parce qu’il faudrait que les joueurs déclinent physiquement. Par contre, ce qu’on peut imaginer, c’est ce que disait Ricardo La Volpe, entraîneur argentin assez critique du 10 parce qu’il ne souhaite pas dépendre d’un seul joueur : selon lui, il n’y a plus assez d’espace sur les terrains de football et il souhaiterait qu’on joue à 10 contre 10, pour qu’il y ait plus de liberté pour les joueurs. Parce qu’aujourd’hui, onze joueurs en bonne forme physique peuvent quadriller tout le terrain en pratiquant un pressing intense. Et la conséquence, c’est que dans certains championnats adeptes du pressing, il y a beaucoup de passes ratées parce que les joueurs n’ont plus de temps. Tant qu’il n’y aura pas plus de temps pour les joueurs, il est peu probable de voir le 10 traditionnel revenir à la mode."

En plus d’anciens joueurs et d’entraîneurs, vous êtes partis à la rencontre de personnes extérieures au monde du football, comme un chef d’orchestre, un magicien ou encore un chorégraphe. Quel était l’intérêt de cette démarche ?
RC : "Cela nous permettait d’évoquer plusieurs facettes du 10 dans le football : son élégance, sa capacité à surprendre son adversaire par la feinte, évoquer son statut dans l’équipe qui est particulier. On souhaitait élargir le champ d’analyse grâce à d’autres disciplines."

De tous vos entretiens, qu’est-ce qui ressort de la personnalité du 10 ?
RC : "C’est assez compliqué de tirer un bilan. Mais le 10 traditionnel, c’est quelqu’un qui a souvent appris à travers la liberté, comme Ronaldinho au futsal, Zidane dans les city-stades ou Nivet dans les champs. Ce sont des gens qui ont été élevés dans des conditions où ils devaient faire appel à leur créativité. Il ressort également que le 10 est davantage un leader par l’exemple que par la parole. Hormis Cruyff qui fait office d’exception, la personnalité du 10 s’exprime plus sur le terrain que dans les vestiaires."

"Le 10 a perdu de son mysticisme et de son côté fascinant parce que le niveau technique de tous les joueurs est élévé." 

Parmi les Raí, Totti, Carrière ou encore Hagi que vous avez pu rencontrer, quel 10 vous a semblé le plus intéressant ?
RC : "Mathieu Bodmer raconte vraiment bien l’évolution du 10 qu’il a vécu puisqu’il a commencé derrière les attaquants, pour finir au milieu et parfois en défense à Amiens. Il explique comment il a dû reculer sur le terrain pour trouver du temps et montrer sa qualité de passes notamment. Il est aussi intéressant dans sa manière d’expliquer comment il faisait des différences : un coach lui a appris à compter les joueurs sur le terrain. Et quand nous, nous avons l’impression qu’il a des yeux dans le dos ou qu’il voit tout, c’est parce qu’il a compté les joueurs dans tel ou tel zone et sait que le joueur manquant se trouve dans cet espace. Cette méthode raconte bien l’esprit différent du 10, avec une capacité d’analyse supérieure."

Selon vous, faut-il déplorer le fait que le 10 soit désormais plus bas sur le terrain ?
RC : "Tu peux le déplorer sur le côté romantique, parce que le 10 avait une certaine élégance, une dégaine, un statut. Mais à présent, il est moins nécessaire, il a perdu de son mysticisme et de son côté fascinant parce que le niveau technique de tous les joueurs est élevé. Comme l’a expliqué Gourcuff, aujourd’hui, « le 10 est celui qui a le ballon ». Ce que je déplore par contre, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de joueurs différents, qui possèdent une vision unique et qui vont proposer des choses que les autres ne peuvent pas concevoir. Il n’existe plus de marginaux, il n’y en a pas dans les grandes équipes. Et le 10 était un marginal."

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