Cet article date de plus de quatre ans.

National : un championnat hybride au bord de la crise

La Fédération française de football a annoncé jeudi que le championnat de National restait en attente d'une "éventuelle reprise" des compétitions. Exception d'un foot amateur définitivement à l'arrêt, la troisième division nationale paie son hybridité, coincée entre son identité fédérale et le statut professionnel de certains de ses clubs. Différents statuts, différents impératifs, différents objectifs. La fracture ouverte par le coup de gueule du président de l'USL Dunkerque n'est qu'un exemple des divergences qui empêchent les dix-huit clubs du championnat de s'exprimer d'une seule et même voix.
Article rédigé par Andréa La Perna
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
 

L'unité entre les clubs de National est au bord de la rupture. Alors que les 18 clubs du troisième échelon du football français ont entrepris un travail collégial sur des scénarios de sortie de crise, l'annonce de la Fédération française de football de ne pas arrêter le championnat a fait sortir de ses gonds le président de l'USL Dunkerque. "Il faudra m'expliquer comment on va pouvoir jouer au mois de juillet alors que la saison se termine le 30 juin", a pesté Jean-Pierre Scouarnec. D'après nos informations, sa colère l'aurait même poussé à annoncer sa démission de l'Union des Clubs des Championnats Français de Football (U2C2F), dont il est le président.

Dunkerque monte au créneau

"Le Comité exécutif de la FFF a décidé de poursuivre la réflexion en faveur d'une éventuelle reprise, compte tenu de la nature spécifique [du championnat de National]". Ce sont ces mots du communiqué de la FFF qui ont failli "faire tomber de sa chaise" Jean-Pierre Scouarnec. Le championnat de National se retrouve finalement dans la même situation que la Ligue 1 et la Ligue 2, en attente, peut-être, de pouvoir reprendre la compétition. Soudainement, la troisième division se retrouve à la table du monde professionnel et observe, sans rien pouvoir faire, les montées et relégations dans le monde amateur.

En coulisses, certaines voix rapportent que des clubs au statut professionnel, dont le Red Star et le Gazélec Ajaccio, auraient fait pression, invoquant la LFP, pour que la FFF n'applique pas le même règlement au championnat de National qu'au reste du monde amateur. "Je pense que le monde professionnel essaye de sauver les clubs professionnels sans en avoir rien à faire des clubs amateurs de National. S'il y a de la casse chez les pros, ça pose problème, alors que chez les clubs amateurs ça n'intéresse personne", n'a pas hésité à trancher Scouarnec.

"On a tous les inconvénients des clubs professionnels", Bernard Laporte-Fray, président de Pau

Il est important de rappeler que le championnat de National est une division "bâtarde" où se côtoient et s'affrontent amateurs, semi-professionnels et clubs au statut professionnel. Ces derniers sont de récents relégués de Ligue 2, qui ont le droit de conserver ce statut pendant deux ans après leur descente. Un avantage indéniable, notamment au niveau des contrats offerts aux joueurs, moins rigides que les contrats fédéraux et plus attractifs au niveau des cotisations pour les intéressés. Mais cela implique d'un autre côté une plus grande responsabilité, car il s'agit de maintenir à flot une structure bien plus lourde que celle d'un club amateur. Les impératifs financiers sont plus conséquents.

Arrêt ou reprise, ascenseur automatique ou gelé ?

En dépit de la disparité des statuts, un dirigeant de National assure que les 18 clubs s'étaient bien mis d'accord pour proposer à la FFF un seul projet, d'une seule et même voix, dont "l'unique objectif était de sauver le championnat et de sauver tous les clubs". Mais nos échanges ce jeudi avec quatre autres dirigeants, directement concernés, donnent trois positions différentes. De nettes divergences apparaissent entre des clubs amateurs virtuellement promus en Ligue 2, comme Pau et Dunkerque, et un club professionnel comme le Red Star, encore à la lutte pour une remontée en deuxième division.

Patrice Haddad, le président du Red Star, pense qu'il est "fondamental" que la saison aille à son terme et se place du côté de la FFF. "Il reste encore neuf journées à jouer, pas trois", insiste-t-il pointant l'injustice qu'entraîneraient des promotions et des relégations anticipées. Son club est actuellement 4e de National, à quatre points d'un barrage et à cinq de la deuxième place, synonyme de montée automatique en L2. Si la saison s'arrêtait là, le Red Star resterait au troisième échelon national et verrait son statut professionnel arriver à expiration. Il justifie sa position par le poids important des charges sur son club, avec une réduction drastique des revenus plus lourde que pour un club amateur.

"Je comprends la colère [du président de Dunkerque], mais c'est sa position qui le met en colère", ajoute Haddad. Evidemment, chacun renvoie l'autre à sa subjectivité. Actuel 2e, l'USL Dunkerque aurait bénéficié d'une promotion automatique si la FFF n'avait pas fait d'exception avec le National. Même chose pour Pau, leader. "On a toujours bataillé pour les deux premières places. Si le championnat s'arrête, je ne vois pas pourquoi nous n'aurions pas le droit de monter", avance Bernard Laporte-Fray, le président palois.

L'urgence d'attendre

Ce dernier partage le discours de Jean-Pierre Scouarnec. Il se dit "déçu que la Fédé n'ait pas pris une décision ferme et définitive", pointe une "perte de temps" et ne comprend pas non plus pourquoi le National fait figure d'exception. "Pour certaines raisons on est des amateurs, pour d'autres on est des professionnels. La vérité c'est qu'on a tous les inconvénients des professionnels sans en apercevoir les avantages", argumente Laporte-Fray.

Même son de cloche du côté de son entraîneur Bruno Irles. L'entraîneur palois rappelle que le championnat de National n'est pas soumis "à l'impératif des droits TV", au contraire des clubs de L1 et L2. Il s'inquiète surtout pour ses joueurs. "Le confinement d'un joueur de National n'est pas celui d'un professionnel. Mes joueurs n'habitent pas dans une villa avec jardin pour se maintenir en forme", insiste-t-il.

Un autre dirigeant interrogé rejoint les présidents de Pau et Dunkerque dans l'idée que le championnat ne devrait pas reprendre. Mais d'après lui, "90% des clubs de National sont pour un gel de la saison", sans montées ni promotions accordées en cas d'arrêt définitif. Evidemment, la majorité des formations n'est pas engagée dans une lutte pour la montée en Ligue 2. Et surtout, personne n'est assuré mathématiquement de monter ou de descendre. "Procéder à des montées et à des descentes, en l'état, est une injustice. Surtout quand ça se joue à un point", ajoute le dirigeant.

Réunion des clubs ce vendredi

Prenons l'exemple du Gazélec Ajaccio. Actuel 17e du championnat et titulaire d'un statut professionnel, le club corse pourrait tout perdre si la logique du monde amateur est appliquée au National. En à peine un an, les Gaziers dégringoleraient alors de la Ligue 2 au National 2, tout en perdant leur statut pro. Avec une relégation prononcée à neuf journées de la fin, alors que le Gazélec peut encore rattraper les cinq points de retard sur le premier non-relégable, Quevilly-Rouen.

Tout reste donc en suspens depuis la décision prise par la FFF. Les clubs de National attendent de savoir s'ils pourront/devront terminer la saison sur le terrain. Cette issue est suspendue à la condition d'un déconfinement à court terme et non régionalisé. Les seuls clubs qui savent déjà qu'ils évolueront en National la saison prochaine sont paradoxalement ceux qui n'y évoluent pas encore : le Sporting Club de Bastia, le Stade Briochin, Sète et Annecy. Les actuels 18 pensionnaires, eux, se réunissent ce vendredi pour débriefer la décision de la FFF et essayer de remettre de l'ordre face aux divergences.

Propos recueillis par Michel Goldstein et Andréa La Perna.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.