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L’équipe de France de natation artistique visée par des commentaires "salaces, racistes et misogynes" pour une photo sur les réseaux sociaux

Début août, en amont des Championnats d'Europe de natation 2022 où elles ont particulièrement brillé, les nageuses françaises ont partagé sur les réseaux sociaux une photo de leur premier entraînement à Rome. Ce qui leur a valu un florilège de commentaires sexistes et racistes.

Article rédigé par franceinfo - Justine Saint-Sevin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Les Françaises ont décroché la médaille de bronze de l'épreuve libre par équipes, lundi 15 août, aux Championnats d'Europe de natation artistique à Rome.  (FILIPPO MONTEFORTE / AFP)

Le rire de Mathilde Vignères, qui ponctue l’échange, tranche avec le débit rapide qui laisse transparaître l’agacement latent de sa coéquipière de sélection, Manon Disbeaux. Mais le sentiment est le même : une colère intense partagée chez les deux athlètes. Après avoir raflé trois médailles de bronze lors des Championnats d’Europe de natation à Rome, les nageuses de l’équipe de France de natation artistique laissent de côté le sportif pour revenir sur un événement survenu juste avant le début de la compétition.

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En cheffe de file, l’ancienne capitaine des Bleues, Solène Lusseau, captures d’écran à l’appui, s’est chargée de dénoncer des commentaires "salaces, racistes et misogynes" qui ont envahi un des posts de l’équipe de France, juste avant la compétition, dans une story publiée sur les réseaux sociaux mercredi 17 août. "Oui, la natation artistique est un sport de présentation où le corps et l’esthétisme à son importance, dit-elle. Mais il n’y a là aucune raison de parler de ces jeunes femmes de cette manière."

"Ces commentaires sont honteux et trop graves pour être passés sous silence puisqu’ils révèlent encore de gros problèmes de mentalité et de sexualisation à outrance des femmes."

Solène Lusseau, ancienne capitaine de l’équipe de France

sur les réseaux sociaux

"On a posté cette photo lors de notre premier entraînement sur place, ce sont d’anciennes nageuses et coéquipières qui ont vu les commentaires arriver au fur et à mesure et nous les ont fait remonter", se remémore Mathilde à franceinfo.

"Il faut savoir que tous les réseaux sociaux de l’équipe sont gérés par les nageuses. Les commentaires, on les voit", complète Charlotte Tremble. "Ça nous a mis en rogne, on était dégoûtées, mais on a essayé de ne pas trop s’attarder dessus pour se concentrer sur la compet', où on avait des objectifs forts. Les anciennes ont pris le relais pour répondre, partager, elles ont servi de tampon", enchaîne Mathilde.

Si les nageuses ne sont pas vraiment surprises de recevoir de tels messages, leur nombre et le profil des auteurs qu’elles ont pu identifier, car publics, les ont profondément marquées. "Ce sont des personnes, des hommes, qui ont l’âge d’avoir des jeunes filles de notre âge, je trouve ça encore plus horrible", confie Charlotte.

"Ce ne sont que des hommes, la quarantaine, cinquantaine, pères de famille. La plus âgée de l’équipe a 24 ans, ils pourraient très bien être nos pères. Le point positif, c’est qu’aucun jeune n’a écrit un commentaire du genre"

Mathilde Vignères, nageuse de l’équipe de France de natation artistique

à franceinfo

Des réseaux sociaux cruciaux pour médiatiser leur sport

En dénonçant les commentaires, les médaillées ont alors pu voir fleurir de nouvelles critiques à leur encontre de la part de certains internautes, dont un fameux "Mais vous êtes sur les réseaux sociaux, il fallait s’y attendre". "Ce n’est pas plus acceptable en société que sur les réseaux sociaux !", rétorquent-elles unanimement avant de souligner à quel point l’usage des réseaux est nécessaire à la visibilité de leur sport. "Ce n’est pas un sport très médiatisé donc ça permet d’ouvrir une petite fenêtre voire une grande porte pour les gens qui nous suivent", expose Charlotte. "La natation artistique en France a du mal à être reconnue comme un sport de haut niveau, complète Manon. Les gens ont du mal à voir au-delà du coté show, paillettes, maquillage à outrance, au sourire qu’on doit faire pour que tout paraisse facile. C’est quelque chose qu’on essaie de déconstruire en mettant en avant notre quotidien."

"C’est trop facile de dire : c’est les réseaux sociaux, c’est les mentalités, on ne peut pas les faire changer comme ça... Si on ne se bat pas à notre petite échelle, ça ne changera jamais."

Manon Disbeaux, nageuse de l’équipe de France de natation artistique

à franceinfo

Ces commentaires sont néanmoins "moins présents que les messages de soutien", pointe Charlotte. Les Bleues ont d’ailleurs rapidement reçu celui de la championne olympique et triple championne d’Europe de judo Romane Dicko. "Des commentaires sexistes, racistes, misogynes et j’en passe (…) On est en 2022 et des personnes trouvent encore ça normal de faire ce genre de commentaires ? Une sportive ne peut donc pas simplement faire son sport sans être sexualisée ? Une femme ne peut donc pas simplement exister, sans être sexualisée ?", s’est interrogée l’amie des sœurs Tremble et pensionnaire de l’Insep. "Sa réaction nous a beaucoup touchées même si elle ne nous a pas étonnées. C’est aussi et surtout ça qu’on cherche sur les réseaux sociaux, communiquer avec des gens qui nous comprennent et nous soutiennent", commente Mathilde.

La sororité visible gagne du terrain chez les sportives

Une marque de soutien qui vient alimenter une sororité entre athlètes de plus en plus visible chez cette nouvelle génération de sportives. "Romane Dicko est ici l’illustration parfaite de ces questions de sororité et de nouvelle génération de sportives, confirme l’historienne du sport Marion Philippe. Romane Dicko dénonce souvent ce genre de choses. Il y a peu, Rénelle Lamote avait fait de même en dénonçant un 'comportement de chien de la casse', auquel on a souvent droit en tant que femme dans la rue et, elle, en tant que sportive."

Marion Philippe poursuit : "Ce qui est intéressant c’est que les tennismen, par exemple, dénoncent parfois ce genre de choses sans pour autant avoir une position activiste, ce que dénoncent d’ailleurs certaines sociologues comme Christine Mennesson ou Béatrice Barbusse. Les sportifs ou sportives ne se déclarent pas féministes comme si c’était un gros mot et pourtant ils prennent parfois position. Jusqu’à récemment, les femmes qui étaient engagées dans la dénonciation de ce genre de comportements n’étaient plus forcément en activité, donc le fait de voir cette nouvelle génération en activité se mettre à soutenir ses camarades, c’est important." Une évolution dans laquelle les réseaux sociaux – encore eux –, par leur capacité à visibiliser et "à créer du lien", ne sont pas innocents.

>> Quand les sportives de haut niveau subissent le diktat de la beauté physique, critère de visibilité et donc de performance

En prenant ainsi la parole, les nageuses espèrent par la même occasion sensibiliser sur des commentaires pouvant paraître anodins, mais qui participent à une hypersexualisation de leur corps.

"Dans le lot, il y avait aussi des ‘Vous êtes très belles, les filles’. Au début, je me disais : bon ça va... Mais en fait, quand on regarde les photos postées d'un athlète masculin, on ne va jamais lui dire : ‘Tu es beau’. Et ça viendra encore moins d'autres hommes, poursuit Mathilde. On va plutôt dire ‘Oh t’es trop fort’, ‘Bon courage’....

"Le problème est que l’on ramène encore et toujours les athlètes féminines à leur corps et pas à leur performance"

Mathilde Vignères

à franceinfo

Pourtant, il y a de quoi dire. Cela faisait plus de 20 ans - et les Championnats d'Europe 2000 - que cette équipe de France n'avait pas glané une médaille par équipe. A Rome, elles en ont récolté trois.

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