Mort de George Floyd : "Quels sportifs seront encore là dans 3 ou 4 mois", se demande Jeremy Ebobisse, attaquant de Portland (MLS)
Près de deux semaines après la mort de George Floyd, comment se déroulent les choses à Portland, où vous vivez ?
Jeremy Ebobisse : "À Portland au début, c'était un peu intense, mais il n'y avait pas de violence, les gens étaient calmes. Il y a une grande histoire de manifestations à Portland, donc les gens ont continué à aller dans les rues. Il y a eu quelques problèmes et ceux en tête de cortège appelaient à être sages mais aussi forts en cas de débordements, pour montrer qu'on n'a pas peur et qu'on est là pour George Floyd et les autres qui sont décédés de la même manière. Dernièrement, ça se calme un peu, mais ce n'est pas facile de l'être parce que ces choses ne changent jamais dans ce pays et il faut que tout le monde sache que c'est un mal très profond."
Vous faites partie de ces sportifs très impliqués dans la lutte contre les discriminations. Comment vivez-vous cette situation depuis deux semaines ?
JE : "C'est triste, mais la mort de Floyd est quelque chose auquel on est habitué. On continue à voir les mêmes histoires sans que le système ne change. Donc je suis très triste mais j'espère que les citoyens de ce pays se mobiliseront et que le monde entier pourra faire pression pour montrer aux dirigeants des États-Unis que c'est inadmissible. On demande le respect et l'opportunité de vivre sans avoir peur de ce type de situations avec certains policiers qui ne nous protègent pas."
Est-ce que vous faites partie de ces sportifs qui sont allés manifester ?
JE : "Oui, parce que je pense que c'est très important que les athlètes prennent position sur des affaires politiques. On a les micros et les personnes qui nous écoutent. C'est important d'aider à éduquer le public et on a une grande responsabilité. Ce que j'ai vu, c'est qu'en allant aux manifestations, que ce soit les sportifs ou les célébrités, ça donne de l'énergie aux personnes qui sont présentes. Ces gens voient qu'on ne pense pas à nous-même et ça les aide."
Mais le fait est que peu de sportifs se mobilisent en réalité...
JE : "Les athlètes ne se positionnent pas assez en effet. Ils veulent être appréciés par tout le monde et ils réfléchissent un peu trop à ce qu'on pense d'eux. Je peux le comprendre. Mais ces jours-ci, je suis très inspiré par LeBron James qui a montré qu'on peut être ultra-populaire et qu'on peut en même temps parler de différentes polémiques. Il continue à partager sa vision des choses et si lui peut se positionner sur des sujets aussi sensibles, alors tous les autres peuvent le faire."
"J'essaie de croire que les gens vont s'impliquer sur le long terme, mais je me protège. Parce que je risque d'être déçu si les gens oublient rapidement"
Il y a aussi ceux qui, peut-être, soutiennent la cause mais ne se sentent pas assez légitimes et éduqués sur la question pour aller manifester.
JE : "Bien sûr, mais il y a d'autres manières de soutenir les manifestations. Et c'est très important. Pour ceux qui le peuvent, ils doivent aller voter en novembre prochain. Pour les joueurs étrangers et les sportifs à travers le monde, il y a d'autres moyens comme le soutien à des organisations ou même faire du volontariat. Et je suis très curieux de voir comment les athlètes vont s'engager à l'avenir."
Vous avez récemment publié une tribune, où l'on vous sent assez résigné sur l'engagement des personnes en ce moment, que vous considérez factice. Croyez-vous réellement que ce qu'il se passe en ce moment peut durer ?
JE : "Je suis quelqu'un de très engagé sur plein de questions, et j'en parle très souvent avec mes coéquipiers, qui m'écoutent. Mais en ce moment, tous prennent position, plus que d'habitude. Ça m'encourage mais je me demande s'ils seront encore là dans trois ou quatre mois. La question est de savoir s'ils vont suivre le mouvement, parce qu'on a l'opportunité de changer les choses. J'essaie donc de croire que les gens vont s'impliquer sur le long terme, mais je me protège aussi. Parce que je risque d'être déçu si les gens oublient rapidement, si plus personne ne s'engage par la suite."
Avec votre engagement régulier, vous semblez devenir le porte-parole des joueurs de la MLS ?
JE : "À Portland, je dirais que oui, je suis une sorte de porte-parole. Par rapport à la MLS, j'ai vu beaucoup de joueurs de différentes équipes se manifester comme moi. Donc c'est bien de savoir qu'il y a une communauté qui peut se former. On essaie actuellement de réunir toutes nos paroles pour avoir une voix plus globale qui devra être entendue à travers le pays. Et j'espère que ce sera le début d'un mouvement efficace au sein des joueurs de MLS sur ces questions-là, notamment parce que les footballeurs ont des choses à dire et un grand cœur."
"Dans le sport on côtoie différentes cultures dès qu'on commence à jouer au football. C'est la beauté du sport, ça nous unit"
Justement, est-ce que les footballeurs, comme d'autres athlètes, comprennent davantage l'autre ? Le sport ne permet-il pas de découvrir très tôt d'autres cultures et d'être plus respectueux, ce qui permet peut-être de s'engager plus facilement par la suite ?
JE : "Absolument, on côtoie différentes cultures dès qu'on commence à jouer très tôt au football. Les personnes avec qui on évolue viennent de partout, et c'est la beauté du sport en général, ça nous unit. Mais cela n'empêche qu'il se passe des choses qu'on n'aimerait pas voir comme dans les stades en Italie, et ça peut rendre le sport moche. Parce que le sport en général, et le football plus particulièrement, nous unit tous."
On a vu le mouvement se propager en France, avec certaines manifestations demandant que justice soit rendue pour Adama Traoré (décédé en 2016 dans des circonstances proches de celles de George Floyd). Certains sportifs français se sont positionnés. Est-ce que vous aimeriez en voir davantage ?
JE : "Les manifestations en France, c'est encourageant parce qu'on voit que le soutien international est fort. Et ce soutien, c'est très important. Quand on regarde l'Afrique du Sud avec l'apartheid, c'est la pression internationale qui a aidé à combattre ce système. Pour ce qui est des sportifs français, j'en ai vu certains comme Lilian Thuram et son fils qui se sont positionnés. Bien sûr que j'aimerais en voir plus prendre la parole. Mais la question est de savoir s'ils pourront le faire sans avoir cette pression que les sportifs peuvent ressentir quand ils doivent justement prendre la parole."
La MLS devrait reprendre en juillet, avec un tournoi en Floride. Avec tout ce qu'il se passe en ce moment, avez-vous vraiment la tête au football ?
JE : "Ma tête est un peu partout en ce moment, donc je suis très fatigué. Mais je suis content de savoir qu'on va reprendre le football, même si ça sera différent avec ce tournoi. Le football, c'est notre boulot et c'est ce qu'on adore faire mais ça nous donnera aussi l'occasion de montrer notre solidarité avec le mouvement. Professionnellement et politiquement, cette reprise va être une grande opportunité."
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