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Michaël Tapiro, expert en sport business : "Un report, c'est aussi une redistribution totale des cartes"

L'UEFA a décidé ce mardi de reporter l'Euro 2020 à l'été prochain (11 juin - 11 juillet 2021). Ce report aura avant tout de lourdes conséquences pour les prestataires qui s'étaient engagés auprès de l'UEFA pour l'organisation de la compétition. Michaël Tapiro, directeur et fondateur de la Sports Management School, nous l'explique.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6min
 

Les droits télévisuels et les droits commerciaux qui y sont liés ont constitué 79% des recettes de l'Euro 2016. Le poids des droits télés est donc immense pour l'organisateur. Mais à l'inverse, quel est le poids de l'Euro pour les diffuseurs ? Et quelles sont les conséquences d'un report ? 
Michaël  Tapiro :
 "Imaginons une chaîne de télé qui s'est procurée la totalité de la compétition pour 2020. Son budget annuel repose forcément dessus. L'équilibre économique de l’entreprise a été calculé en fonction de la tenue de cet événement.  Derrière ça, il y a tous les aspects classiques d'une entreprise par rapport à ses salariés, à dépenses etc. Tout est imaginé en fonction de cet immense événement au niveau interne. Ensuite il y a les annonceurs, les partenaires, les sponsors à qui on a promis un mois de compétition. L’Euro 2020 pouvait être l’opportunité de renégocier des contrats à la hausse. Or ce report peut tout remettre en cause, car imaginons que cette renégociation ait été prévue en décembre 2020, il y a fort à parier que la chaîne ait beaucoup misé sur l'Euro 2020. Ce report pourrait donc bouleverser toute la stratégie de l'entreprise de diffusion.

Quand on évoque le coût en termes de droit télé, à quoi pense-t-on concrètement ? 
M.T : "Les contrats en eux-mêmes ne devraient pas changer d'une année à l'autre. Ce sont les prix fixes qui comptent beaucoup : c'est-à-dire toute la mobilisation nécessaire de la part des chaines pour pallier au report, comme les frais marketing, l'investissement pour remplir une grille de programme désertée. Tout ça coûte terriblement cher. Ça pousse les chaines a changer totalement la ligne éditoriale. Des intervenants étaient prévus, des émissions entières étaient imaginées."

Q : D'après le site en ligne The Athletic, l'UEFA va demander aux clubs et aux ligues de payer ce report. Qui va finir par payer l'addition ? 
M.T : "Ça dépend des contrats. Dans ce cas, la compétition n'a pas pu avoir lieu, c'est un cas de force majeur. Vous savez les petits alinéas dans les contrats où il est dit "en cas de guerre etc" et que personne ne regarde jamais... Eh bien là, c'est arrivé. Donc en fonction du contrat, ça peut être soit l'assureur, soit l'UEFA, soit les ligues nationales, soit les clubs."
 

Un report, est-ce un problème pour les sponsors engagés ? Risque-t-on de les voir s’en aller d’ici 2021 ?
M.T : "
Il y a ce risque oui. Pour certains il s'agit d'une fin de cycle, pour d’autres 2021 sera le début de quelque chose. Regardez Uber eats : qui aurait cru qu'ils deviendraient sponsor de la Ligue 1 il y a six mois ?  A l'inverse, l'Euro 2020 pouvait être considéré comme une relance ou un test par certains sponsors, qui vont se dire, avec ce report : "Finalement on laisse tomber le foot ça ne vaut pas le coup". C’est une redistribution des cartes. Il y aura certainement des places à prendre pour certains sponsors."

Que se passera-t-il pour les prestataires de service, que ce soit dans la restauration, le transport, l'entretien des sites ? Leur contrat sera-t-il automatiquement renouvelé pour 2021 ? 
M.T :
 "Nous ne sommes qu'à quelques semaines de l’événement. Cela veut dire que les contrats ont déjà été signés normalement. Il faudra donc les annuler et les refaire pour l'année suivante, à moins qu'il y ait une clause qui stipule le renouvellement automatique. Il y a une autre question : est-ce que les prestataires vont tenir jusque-là ? Ce sont souvent des PME pour qui l'Euro constituait plus de 50% de leur prévision de chiffre d'affaires pour l'année 2020. Peut-être même qu'ils se sont dits que l'Euro les sauverait. Alors il n'est pas du tout certain qu'ils soient encore capables d'assurer un tel service d'ici un an. Ce report peut être un gros coup pour les prestataires."

"L'UEFA a les moyens de rebondir"

Faut-il prévoir beaucoup de frais de remboursement des billets du côté de l'UEFA ? 
M.T : "
L’UEFA devra certainement mettre en place une sorte de Hotline pour gérer toutes les personnes qui vont demander un remboursement. Je pense qu'il y en aura beaucoup. Car ça coûter cher, et quand on voit que la compétition a pu être remise en cause comme ça, on n'est pas très rassurés. Moi-même, si j'avais acheté un billet, je n'aurais pas souhaité le garder jusqu'à 2021, j'aurais demandé le remboursement. C’est le retour de flamme pour l'UEFA qui devra s'adapter financièrement, car ça coûte cher de gérer ça : du personnel en plus, du temps, de la logistique."  

L'Equipe a annoncé un premier chiffre concernant le coût général d'un report : 300 millions d'euros. Pensez-vous que le montant final sera de cet ordre ? 
M.T : "Quand on a un premier chiffre qui est annoncé, la vérité tourne autour. L’effet de bord de ce report devrait avoisiner ce chiffre-là, oui, même si je ne sais pas comment ça a été calculé. Mais il faut aussi relativiser. C'est un chiffre significatif, oui. Mais quand bien même l ‘Euro 2020 serait en perte, ce ne serait pas très grave dans la mesure où les derniers euros ont très bien marché. L'UEFA a largement les moyens de rebondir."

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