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Llodra : "Le niveau du double a considérablement baissé"

Depuis plusieurs jours, la place du double dans le paysage du tennis mondial est de plus en plus remise en cause. Notre consultant et ancien N.3 mondial en double, Michaël Llodra, nous livre son ressenti avec son franc-parler habituel. Pour lui, si le "niveau du double a considérablement baissé" depuis le début du siècle, c'est "une refonte en profondeur du tennis dans sa globalité" qu'il faut envisager.
Article rédigé par Quentin Ramelet
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 10min
 

Michaël, vous avez été l’un des meilleurs joueurs du monde en double (3e) et avez fait partie du top 25 en simple (21e), que pensez-vous de cette polémique autour du double ?
Michaël Llodra
: "Simplement, je dirai que cette guéguerre ne date pas d'aujourd'hui… Forcément, ça crée des jalousies parce que le double est très bien rémunéré. Donc je me mets à la place des directeurs de tournoi : quand ils ont deux spécialistes de double programmés sur le Central, effectivement, les joueurs on ne les connait pas et même si ça reste un beau spectacle, les gens ne s’identifient pas à des joueurs qui ne sont pas charismatiques ou qu’on n’a jamais vus jouer en simple. Ce que l’on oublie de signaler, c’est qu’à l’époque, les surfaces étaient très rapides.

Donc pour la plupart des meilleurs joueurs de simple, qui avaient de gros services, qui savaient bien monter au filet, qui avaient des matches moins longs et moins physiques, et bien ils pouvaient se permettre de jouer en double. Aujourd’hui, c’est plus possible ! On a ralenti les surfaces de jeu donc pour gagner les matches, il faut vraiment s’employer physiquement. Le niveau physique, en 20 ans, a vraiment progressé et c’est monstrueux ce que les gars sont aujourd’hui capables de faire… Du coup, c’est difficile de faire un match de 2h30 le matin, puis l’après-midi ou le soir de rejouer, se remettre une charge en double. Il y a donc des spécialistes du double parce que les joueurs de simple ne peuvent plus jouer chaque semaine, c’est trop dur physiquement."

 "Avec tout le respect que je dois aux joueurs actuels, et c’est méchant ce que je vais dire, y en a certains qui sont très très faibles sur le plan tennistique."

Donc vous comprenez, en partie, que le double soit plus ou moins remis en cause ?
ML :
"Bon, cela peut paraître un peu présomptueux, mais pendant quelques années, j’ai entraîné Nico Mahut. J’avais déjà arrêté depuis trois ans. Il a rapidement perdu à l’Open d’Australie (2018, ndlr) et comme son partenaire de double, Pierre-Hugues Herbert, s’entraînait de son côté pour jouer dans le tableau simple, j’ai donc fait pas mal de matches de double avec Nico. Bah franchement, on a joué contre des bonnes équipes, mais on gagnait ! J’avais quand même arrêté depuis trois ans ! Donc sincèrement, aujourd'hui, le niveau de double, et c’est méchant ce que je vais dire, a considérablement baissé.

A l’époque, tu avais vraiment de grosses équipes avec des Björkman, des Woodbridge, des Mirnyi, des Nestor, plus quelques gros joueurs de simple qui jouaient régulièrement, donc je peux vous assurer que c’était une autre paire de manches. Avec tout le respect que je dois aux joueurs actuels, et c'est encore méchant ce que je vais dire, y en a certains qui sont très très faibles sur le plan tennistique. Donc oui, évidemment je comprends les directeurs de tournoi, comme Julien Boutter (directeur de l’Open de Moselle, ndlr), quand ils disent que ça ne vend pas un 'kopeck' de programmer un match avec des spécialistes du double sur le central. Vaut mieux mettre quatre joueurs de simple."

Que pouvez-vous répondre à Marion Bartoli qui pense qu’il faudrait faire moins de matches de double lors des Tournois pour reverser les prize money aux joueurs qui disputent les Qualifications et les Challengers ?
ML :
"J’ai pu lire les propos de Marion et je comprends, qu’aujourd’hui, les joueurs de double actuels ne font pas rêver. Mais attention, ils volent en rien leur argent ! Ils sont là et tributaires de ce qui se passe finalement… Si on leur avait dit 'on prend un cumul du classement en simple et de celui en double, on fait une moyenne et on se sert de ce classement-là', bah ça ne serait pas pareil ! Après, de là à redistribuer les prize money, je ne sais pas. Peut-être faudrait-il les baisser un peu ? Ou alors, là encore je suis d’accord avec Julien Boutter, peut-être pourrions-nous redonner vie aux surface rapides pour avoir de vraies différences ? Revoir les formats de jeu aussi. Et là, peut-être que les joueurs de simple rejoueraient en double un peu plus souvent. Car plus il y a des surfaces contraignantes, plus c’est dur physiquement et moins ils auront envie de jouer le double. Ou très peu."

Qu’est-ce que le double a apporté à votre carrière de joueur de simple ?
ML :
"Très clairement j’ai progressé en simple grâce au double ! J’étais de nature à faire service-volée, j’ai été formé par Georges Deniau qui nous faisait deux entraînements de double par semaine quand ce n’était pas le cas pour la plupart des autres entraîneurs. Nous, il y avait vraiment une culture de l’enseignement du placement du double. Même par rapport à ça, je vois des joueurs, parmi les meilleurs mondiaux en simple, qui se placent mais d’une manière hallucinante. Donc tu sens qu’on ne leur a pas appris les bases en double. Ils défendent leur couloir alors qu’on doit plutôt essayer de faire des interceptions et se rapprocher du centre. Mais c’est comme tout, ça s’apprend. C’est ce que j’essaie de défendre auprès des jeunes aujourd’hui."

D’ailleurs, j’avais émis l’idée à la Fédération d’essayer de faire comprendre le double en montrant deux ou trois exercices de déplacement. On l’a fait deux ou trois fois puis après c’est tombé aux oubliettes. Peut-être parce que les mecs, c’est le cadet de leurs soucis ! Mais moi, ça m’a fait progresser. Au service, au retour évidemment, et après sur l’enchaînement des matches. Je trouve que c’est dix fois mieux de faire un double plutôt qu’un entraînement."

"Le double est quand même hyper spectaculaire ! Quand tu regardes aussi dans les clubs, ce qui fait vivre aujourd’hui le noyau du tennis, la plupart du temps, ce sont les gens qui jouent en double."

Selon vous, comment le double doit-il évoluer dans les années à venir ?
ML : 
"Je ne sais pas. Je pense qu’il faut réfléchir à la globalité du tennis plus qu’au double en particulier. Car je croise beaucoup de personnes qui me disent que le double, c’est top et hyper sympa à regarder à la télé. En plus, ces dernières années, les chaînes de télévision ont fait l’effort et nous avons eu la chance d’avoir des paires françaises qui ont bien figuré dans les tournois du Grand Chelem. Le double est quand même hyper spectaculaire ! Quand tu regardes aussi dans les clubs, ce qui fait vivre aujourd’hui le noyau du tennis, la plupart du temps, ce sont les gens qui jouent en double."

Les instances internationales du tennis semblent insensibles à tout ça et n’accordent plus une place très glorieuse aux doubles qui pourraient bien être supprimés des tournois en cette fin de saison très particulière… Est-ce justifié selon vous ?
ML : "Je ne sais pas. Je pense, enfin j’espère, qu’ils réfléchissent à la refonte en profondeur du tennis. Que ce soit sur l’agenda, la répartition des matches, et des formats de jeu. Aujourd’hui, on montre du doigt le double mais ce n’est pas le double le vrai problème ! C’est davantage le format dans sa globalité. Par exemple, je trouve ça hallucinant que l’on parte un mois à Miami, Indian Wells… Ensuite, dans certains tournois, on ne peut pas jouer plus d’une heure sur le même court, et il y a même des surfaces de jeu différentes ! Et autre chose encore : quand les filles ne veulent pas jouer ensemble car elles se détestent et qu’il faut jouer avec un sparring ou un entraîneur… Bref, tout ça c’est grotesque ! Ce sont des polémiques qui ne servent à rien ! Aujourd’hui, il faut donc revoir en profondeur le tennis, et le double en fait partie. Mais en aucun cas, on peut montrer du doigt un joueur de double, qui est 10e mondial, et qui n’est pas forcément un grand joueur de simple. Il a commencé comme tout le monde, il a joué au tennis, et il a fait ses preuves en double. Il gagné sa place."

"On a de la chance d’avoir Pierre-Hugues (Herbert) et quelques joueurs comme ça mais ça reste anecdotique."

Finalement, le tennis pourrait-il se passer du double au profit du simple alors que l’inverse est clairement inenvisageable ?
ML :
"Je pense que les gens râleraient ! On n’a pas la culture du double en France mais tu vas en Australie, aux Etats-Unis, ou Angleterre, ils adorent le double ! J’ai un exemple concret, un souvenir. Finale 2007 en double de Wimbledon : je suis avec Arnaud Clément et on joue les frères Bryan. On doit les affronter le samedi, comme toujours après la finale femmes. Mais comme il pleut et que le toit n’existait pas à l’époque, nous sommes reprogrammés sur le court n.1, le lendemain à 14h. On nous avertit qu’ils vont rapidement ouvrir les billetteries, nous on se dit 'super, d’accord…' Donc en gros, il y avait Federer-Nadal sur le Central, et sur le Court n.1, Clément-Llodra contre les frères Bryan. On pensait que 400 ou 500 billets seraient vendus dans un stade qui peut en tenir plus de 10000… Quand on est arrivé sur le court, je me souviens de la première remarque d’Arnaud : « Oh putain, je ne m’attendais pas du tout à ça ! »

Le stade était bondé ! C’est-à-dire qu’entre le samedi 15h, et le lendemain après-midi seulement, toutes les places avaient été vendues ! Ils ont une vraie culture du double, ils adorent. Ils aiment le spectacle. Aujourd’hui, c’est moins le cas car il y a presque plus, ou très peu, de joueurs de simples qui jouent en double. On a de la chance d’avoir Pierre-Hugues (Herbert) et quelques joueurs comme ça mais ça reste anecdotique."

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