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Les métiers de l'ombre du sport : les speakers réduits au silence

Dans l’ombre des athlètes, divers corps de métier œuvrent au quotidien pour faire rayonner le sport. Parmi eux, les speakers. Que ce soit dans des stades, des salles ou sur des podiums : ils assurent le précieux lien entre les sportifs et leur public, et véhiculent les émotions uniques du sport. Mais aujourd’hui, comme les athlètes, ils sont à l’arrêt. Entre galères financières, manque et révisions : ils racontent leur confinement.
Article rédigé par Adrien Hémard Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
  (STEPHANE ALLAMAN / STEPHANE ALLAMAN)

On ne connaît souvent d’eux que leur voix, parfois leur visage, lorsqu’il apparaît sur écrans géants. Dans les enceintes sportives ou sur les podiums à l’arrivée, ils font partie du décor. Mieux, ils lui donnent vie. Plus que leur outil de travail, leur micro est le lien direct entre les athlètes et ceux venus les encourager. Eux, ces sont les speakers du monde du sport. Habituellement, ils s’égosillent sur les pelouses de Ligue 1, le long des courses cyclistes ou encore sur les courts de tennis. Confinés, ils doivent aujourd’hui jongler entre incertitude économique et professionnelle, tout en trouvant une autre voie, provisoire.

Frustration, chômage technique et cours d'anglais

"Là, c’est l’arrêt total. Non seulement pendant le confinement, mais pour les semaines qui vont suivre. Tout est annulé, l’avenir est flou", témoigne Marion Hérault-Garnier, speaker sur le Tour de France depuis deux ans, mais aussi sur d’autres événements cyclistes ou d’athlétisme. "Là, je devais faire le Paris-Roubaix. C’est difficile de se dire qu’au lieu de vous répondre, je devrais être au Carrefour de l’Arbre (entretien réalisé samedi, à la veille supposée de Paris-Roubaix, NDLR)". Cette déception, on la retrouve chez tous les speakers sondés, sevrés de leur dose d’adrénaline régulière.

Alors, pour combler ce vide, ils s’occupent, à l’image de Jean-Luc Filser, speaker du RC Strasbourg. " Dans la vraie vie, je travaille pour le district d’Alsace de football, ça me prend deux à trois jours de télétravail par semaine en ce moment. Le reste, je les passe à faire des tabliers de protection pour les infirmières avec les gens de mon club de foot, et l’association femmes de foot. On essaye de se rendre utile". Bruno Denuet, son homologue de Stade de Reims et du Champagne Châlons Reims Basket, lui, ne vit que de ses activités de speaker. Il est donc totalement au chômage technique en ce moment : "J’ai joué au professeur pour mes enfants d’abord, mais là ce sont les vacances. Je fais une heure de sport chaque jour en respectant les consignes, je me mets à la cuisine et à l’anglais. En fait, je suis relativement bien occupé"

Même son de cloche pour Marc Maury, speaker emblématique du sport français (Roland-Garros, XV de France, Euro 2016, meetings d’athlétisme…) : "J’essaye d’avoir des journées régulières avec un programme quotidien entre mon livre, mon jardin, la lecture et l’entretien de la maison. Je peux vous dire qu’elle n’a jamais été aussi bien rangée !". Ses prochaines semaines, Marc Maury devait les passer entre le tournoi ATP de Monte Carlo, le marathon de Paris ou encore le club France des JO de Tokyo. Privée de Paris-Roubaix et d'autres courses, Marion Hérault-Garnier a découvert les journées rythmées par l’école pour ses enfants : "Je ne suis pas très pédagogue", sourit celle qui en profite aussi pour regarder des rediffusions sportives.

Manque, galères et inquiétudes

Les journées ont beau être chargées, cela n’empêche pas ces drogués au sport de ressentir le manque. "Les moments d’échange avec le public et les athlètes, quand on ressent les vibrations des tribunes, c’est ce qui manque le plus", confie Marc Maury. "Les journées de match sont tellement riches en émotions… Mais le plus beau, c’est l’annonce d’un but", glisse Jean-Luc Filser, intronisateur du fameux "Merci, De rien" du Stade de la Meinau. "Mais les matinées passées à entraîner mes U7 me manquent aussi, tout le sport me manque en fait", résume l’Alsacien.

Au-delà du sevrage d’émotions, les speakers doivent aussi composer avec un manque beaucoup plus pragmatique : celui du salaire. "Je suis indépendante, comme quasiment tous ceux qui ne vivent que de cela, donc là, financièrement, cela va se corser si la situation perdure", témoigne Marion Hérault-Garnier. A Reims, Bruno Denuet a, lui, fait les démarches permettant de toucher la prime exceptionnelle de l’Etat de 1 500 euros par mois : "On est comme tout le monde, on a des familles à nourrir, des emprunts"

"J’ai de la trésorerie pour avril, mais après cela va se compliquer. Et puis, on a quand même des charges à payer même si on ne peut pas travailler en ce moment", rappelle Marc Maury, qui a lui aussi demandé la prime. "Les speakers sont des gens passionnés, mais aujourd’hui exposés. On est très solidaire entre nous, on se donne des conseils", glisse celui qui est justement président d’honneur de l’Association des speakers et maîtres de cérémonies, qui regroupe la plupart des speakers sportifs de l’Hexagone.

"On partira en vacances quand on pourra. De toute façon, je préfère qu’on décale la fin de la Ligue 1 plutôt que de la jouer à huis clos !"

Tous n’ont désormais qu’un souhait : que la pandémie s’arrête le plus vite et avec le moins de victimes possible, afin que le sport puisse reprendre ses droits ensuite. Et tant pis pour les vacances : "S’il faut finir le 15 août, et reprendre le 30, pas de soucis. On partira en vacances quand on pourra. De toute façon, je préfère qu’on décale la fin de la Ligue 1 plutôt que de la jouer à huis clos", prévient Jean-Luc Filser. "Je suis on ne peut plus d’accord" , appuie Bruno Denuet, "Pas de soucis, on s’adaptera. On a de la chance de faire ce métier, on le sait".

Si elle partage le point de vue de ses homologues de Ligue 1, Marion Hérault-Garnier est tout même inquiète : "Le Tour de France aura lieu, j’en suis persuadée. Ce qui me préoccupe, c’est le sort des plus petites courses et aussi du cyclisme amateur. Les partenaires économiques vont devoir réduire leurs dépenses face à la crise, et certaines courses ne s’en remettront pas…" Pour Marc Maury, l’enjeu sera sociétal : "Il faudra repenser notre approche du sport dans la société, dès l’école. Quant à nous, on devra peut-être adapter nos façons de faire". A Reims, Bruno Denuet préfère positiver pour conclure : "La bonne chose dans tout cela, c’est que ça risque de relancer l’engouement autour du sport. Après ce manque, les gens vont vouloir vibrer, et on sera là pour ça".

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