Les ligues de sport américaines face à la réélection de Donald Trump
Pour la reprise de la NFL entre les Chiefs de Kansas City et les Texans de Houston jeudi soir, Donald Trump a probablement dû fulminer dans le Bureau ovale. Ou peut-être avait-il décidé de ne pas regarder la rencontre, exaspéré par la tournure politique que prend le sport américain ces dernières semaines. Comme prévu par la ligue de football américain, les messages "End Racism" et "It Takes all Of Us" étaient affichés au sol dans les deux en-but du terrain du Arrowhead Stadium.
Donald Trump avait pourtant prévenu la NFL, ligue de sport la plus populaire des États-Unis, dans un tweet publié le 1er septembre : "Les gens sont fatigués de regarder la très politique NBA. Les audiences sont en baisse et ne remonteront pas. J’espère que le baseball et le football regardent et apprennent parce que la même chose leur arrivera." Malgré les conseils du 45e président de l’histoire des États-Unis, la NFL a emboîté le pas des autres ligues professionnelles américaines, et surtout de la NBA, la plus progressiste.
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Depuis l’assassinat de George Floyd à Minneapolis en mai dernier lors d’une interpellation par plusieurs policiers, la famille du basketball américain s’est mobilisée pour protester contre les violences policières, les inégalités et pour réclamer davantage de justice sociale. Depuis la reprise de la NBA dans une bulle sanitaire en Floride, de nombreux messages sont affichés sur les parquets et sur les maillots des joueurs en soutien à Black Lives Matter.
La NBA, une "organisation politique" selon Trump
Un mouvement que Donald Trump discrédite depuis plusieurs semaines, en l’accusant d’être à l’origine d’émeutes dans plusieurs villes américaines. Face à ce manque d’empathie, le président et son administration ont été vivement critiqués par plusieurs légendes du jeu, dont les coaches Doc Rivers, Gregg Popovich et Steve Kerr. Point culminant de cette mobilisation du basket américain, après l'affaire Jacob Blake : la grève des joueurs de Milwaukee le 26 août dernier, qui ont refusé de jouer leur match de playoffs contre Orlando, précédée par celle des joueuses de la WNBA, très en pointe dans les luttes sociales.
"Cette grève a été celle d’athlètes noirs qui s’en prenaient à un racisme systémique, nous explique Peter Marquis, historien des États-Unis à l’université de Rouen-Normandie. Les athlètes américains sont pris au piège dans le sens où le sport est une distraction qui permet d’éviter de voir les problèmes de la société. Ils sont également pris au piège parce qu’ils représentent une ascension sociale, mais seulement financière, qui ne leur permet pas d’avoir un capital social pour changer les choses."
Face à ces prises de position inédites et historiques, Donald Trump a accusé la NBA d’être une "organisation politique". Celles plus récentes d’autres ligues comme la MLS, la NHL et surtout la NFL sont plus significatives. Car la ligue de football américain est la plus populaire dans le pays et ses fans sont davantage conservateurs. Les messages pour plus de justice sociale, qui seront affichés sur les casques, les casquettes et les terrains tout au long de la saison, sont révélateurs d’une évolution des mentalités qui pourrait desservir Donald Trump en novembre.
"Le football est officiellement mort. Adieu la NFL"
Depuis l’affaire Colin Kaepernick en 2016, joueur exclu de la NFL pour avoir posé un genou à terre lors de l’hymne américain avant une rencontre, les choses ont donc changé. Cet été, la NFL a annoncé qu’elle ne sanctionnerait pas les joueurs qui protesteront pendant l’hymne. Les Dallas Cowboys, franchise la plus populaire aux États-Unis, ont fait de même. Son propriétaire Jerry Jones, qui avait soutenu la décision de la NFL concernant Kaepernick il y a quatre ans, est le symbole de cette évolution : "Tout le monde sait ce que je pense de l’hymne national et du drapeau. Mais je suis également conscient de l’époque dans laquelle nous vivons et le besoin de justice sociale". Une décision qui a irrité chez les Trump : "Le football est officiellement mort. Adieu la NFL", a immédiatement tweeté Eric Trump, le fils cadet du président.
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Le 3 novembre, aucun match de la ligue de football américain n’aura lieu, afin que "chaque membre de la famille de la NFL" puisse se rendre aux urnes. "Tous ces actes sont consensuels, personne n’a envie d’être le dernier à les mettre en place. L’ennemi, c’est le double discours d’une direction qui dit soutenir le mouvement, qui dit vouloir plus de justice, moins de violence policière, mais qui dans le même temps continue de soutenir financièrement les candidats républicains et trumpistes", souligne Peter Marquis.
Au cours d’une élection très serrée qui pourrait se jouer dans quelques États seulement, "tous les points supplémentaires sont bons à prendre", indique Marie-Cécile Naves, qui suit l’élection présidentielle américaine pour l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques. Selon la chercheuse, la mobilisation des sportifs américains pourrait jouer à la marge lors des élections, aussi bien du côté démocrate que du côté républicain.
Une mobilisation qui pourrait servir les deux candidats
La stratégie de confrontation de Donald Trump à l’égard des ligues professionnelles permettrait ainsi au président de consolider son électorat, "qui pense comme lui que les sportifs sont des pourris gâtés qui feraient mieux de se taire", expose Peter Marquis, avant de poursuivre : "En tenant des propos paternalistes à l’égard des joueurs, sur leur obligation de garder leurs opinions politiques pour eux-mêmes, il ne fait que continuer sa stratégie de montrer un visage de fermeté." "Quitte à faire de l’excès de zèle dans cette stratégie, qui n’est pas nécessaire pour lui. Mais il fait tout pour mobiliser son électorat qui se déplacerait pour contrer le discours des sportifs", souligne de son côté Marie-Cécile Naves.
La mobilisation massive des sportifs américains pourrait également servir Joe Biden, le candidat démocrate opposé à Trump. "Les athlètes sont des rôles modèles. Ça conforte les individus déjà convaincus. Mais la question est de savoir si ça peut déclencher une motivation plus grande à aller voter", indique la chercheuse. Avec son association "More Than a Vote", qui incite les minorités à aller voter le 3 novembre prochain, LeBron James devrait tout de même réussir à convaincre une partie de l’électorat à se déplacer.
Les stades transformés en bureaux de vote
Mais encore faut-il que ces minorités puissent aller voter. Depuis une décision de la Cour Suprême de 2013, plusieurs États - ceux du Sud notamment, réputés conservateurs - se mobilisent pour empêcher certaines minorités de voter. Avec un Donald Trump qui cherche à saboter le vote par correspondance, les efforts des athlètes pourraient être vains. Pour faciliter l’accès aux urnes, les stades des équipes de NBA et de NFL seront transformés temporairement en bureaux de vote.
Les franchises de NBA desserviront même un trophée à celle qui parviendra à faire voter le plus de personnes dans son antre. Avec cette mobilisation historique et inédite, qui s’est encore manifestée la nuit dernière pour la reprise de la NFL, le sport américain participe donc à sa manière à l’élection présidentielle américaine. De son côté, Donald Trump constate la situation, en attisant les tensions quand bon lui chante, avec pour objectif de faire respecter, comme l’indique son slogan du moment, "the law and order" (la loi et l’ordre).
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