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Reportage Sport en milieu carcéral : à la maison d'arrêt de Corbas, le yoga pour "s'évader"

Article rédigé par Louise Gerber, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Huit séances de yoga ont eu lieu au printemps à la maison d'arrêt de Corbas, au sud de Lyon. (franceinfo:sport/LG)

La compétition "Kohlantess" organisée à Fresnes suscite la polémique mais d'autres activités existent pour la population carcérale. Près de Lyon, des séances de yoga sont synonymes d'oubli du quotidien pour les participantes.

"Un moment d'humanité". C'était ce que voulait offrir le directeur de la prison de Fresnes (Val-de-Marne) aux détenus avec la compétition "Kohlantess" fin juillet. Si les images ont provoqué l'indignation, d'autres activités sportives sont ponctuellement mises en place dans les établissements pénitentiaires. Depuis la création du projet intitulé "Sport Prison" en 2012, des cycles de sensibilisation ont lieu dans plusieurs établissements en partenariat avec les Comités régionaux olympique. C’est le cas à la maison d’arrêt de Corbas (Rhône), où une instructrice de yoga s’est rendue pendant deux mois. Franceinfo:sport a pu assister à une séance, mi-mai.

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L'initiation se déroule dans un gymnase standard : un sol en caoutchouc strié de lignes pour délimiter des terrains, deux cages de handball, des vestiaires collectifs. De l'intérieur, on pourrait croire à une salle de sport classique. Sauf que pour y accéder, il faut passer une multitude de portiques de sécurité et traverser un couloir étroit, entouré de barbelés. Une salle "exutoire" pour de nombreux prévenus, souffle Olivier*, surveillant et moniteur de sport de l'établissement pénitentiaire. En ce très chaud après-midi printanier, aucun ballon ni chasuble ne sont sortis. Pendant deux mois, chaque mercredi, une dizaine de prévenues et détenues pour des peines courtes participent à une séance de yoga avec Christelle Roybin, une instructrice de Villeurbanne.

Mieux connaître son corps

L'excitation est palpable, les sourires sont au rendez-vous. L'installation des tapis pour former deux lignes donne lieu à un petit temps d'échange. Les participantes de l'atelier sont curieuses, les questions fusent sur les effets du yoga, mais aussi leur corps : "Le yoga, c'est comme la sophrologie, non ?", "On travaille quoi exactement pendant les exercices ?".

"Avec les filles d'ici, on parle beaucoup d'anatomie : du fonctionnement du tube digestif au périnée, tout le corps y passe. Ça les aide à se concentrer sur leur pratique du yoga et à mieux se connaître. Tout est lié dans le corps humain", explique Christelle Roybin. "La dernière fois, j'ai appris ce que c'était qu'une descente d'organes, donc maintenant, je fais attention", glisse Yasmine, la plus jeune du groupe, qui semble à peine sortie de l'adolescence.

Ce jour-là, huit femmes participent à l'initiation, longue de deux heures. (franceinfo/LG)

Des activités pour 200 détenus de la région

Cet atelier hebdomadaire est organisé grâce à un partenariat lancé en 2012 entre la direction inter-régionale des services pénitentiaires (DISP) et l'antenne d'Auvergne-Rhône-Alpes du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Si tous les établissements pénitentiaires de France sont censés avoir une offre de pratiques physiques et sportives, les antennes régionales du Comité initient les personnes incarcérées à des activités supplémentaires, avec des intervenants spécialisés, venus de l'extérieur.

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En tout, près d'une centaine de disciplines ont déjà été proposées en France depuis dix ans. Parmi elles, plusieurs sensibilisations à de nouvelles pratiques comme l'escrime, l'escalade ou encore le baseball, "des choses qu'on ne s'imaginerait pas en milieu carcéral", souligne Justin Huste, chargé de mission à l'antenne d'Auvergne-Rhône-Alpes du CNOSF. Ces activités sont subventionnées par la DISP et par le biais de mécènes extérieurs au sein de dix établissements par an et permettent à près de 200 détenus de la région de s'offrir une parenthèse. Et aux fédérations sportives de gonfler leurs rangs. "Elles se trouvent de nouveaux pratiquants. C'est notamment le cas chez les mineurs, qui ont tendance à prendre une licence de l'activité qu'ils ont testée en milieu carcéral", avance Justin Huste.

Deux heures de déconnexion totale

À la maison d'arrêt de Corbas, le yoga a fait des adeptes. À tel point que Christelle Roybin a prévu d'imprimer des fiches pour que les participantes les plus assidues essaient de réussir seules et en dehors des séances la posture Sirsasana, celle sur la tête. "Ce sont de vraies yogis !", décrit l'instructrice, régulièrement impressionnée par les aptitudes de ses élèves. "Vous avez toutes les genoux au sol, c'est superbe, et hyper rare !, s'enthousiasme-t-elle alors que ses élèves réalisent la posture Jathara Parivartanasana, dite du "ventre en torsion". "Vous êtes très souples", enchaîne-t-elle. 

Un public souple mais "pas ordinaire", souligne toutefois l'enseignante, qui a commencé ses premiers ateliers en milieu carcéral cette année."Ce n'est pas comme un cours classique que je peux faire le reste de la semaine. Elles sont un peu plus dissipées, il faut parfois faire la discipline. Mais elles sont très volontaires et assidues, raconte la Rhodanienne. A la fin de la séance, je suis souvent leur médecin. Certaines me disent 'Christelle j'ai mal au dos, j'ai mal là, qu'est-ce que je peux faire pour que ça aille mieux ?'."

Christelle Roybin vérifient que les participantes réalisent correctement la position torsion. (franceinfo:sport/LG)

Debouts, assises, allongées : pendant près de deux heures, les huit participantes du jour enchaînent les postures. Arrive le dernier quart d'heure de la séance, un moment dédié à la relaxation. Le volume de la voix de l'instructrice baisse, seul le chant des oiseaux, à l'extérieur, rompt le silence.

Dans leurs têtes, les détenues sont à des kilomètres du gymnase du centre d'arrêt. "On oublie qu'on est là le temps de la séance", résume l'une d'elle. Ce calme, c'est aussi ce qu'elles viennent chercher. "Ça nous change et ça nous fait du bien, parce qu'ici, c'est vraiment tout le temps très bruyant, confie Aurélie* à la fin de la séance. Depuis quelques semaines, je dois dormir avec des boules quies, sinon je n'arrive pas à trouver le sommeil à cause du vacarmeMais c'est vrai que les mercredis soirs, on passe une meilleure nuit."

"Pendant la séance, on est dans notre bulle"

Clarisse, participante de l'atelier yoga

à franceinfo: sport

Une sérénité générale s'empare des prévenues, comme le confirme Yasmine, la cadette : "La première fois que j'ai participé à l'atelier, j'étais hyper surprise de ressortir détendue, alors que j'ai tendance à carburer, pas vrai Olivier ?" A côté d'elle, Clarisse* renchérit : "Pendant la séance, on évacue le stress, les tensions. On est dans notre bulle, ça fait du bien. Et on redécouvre nos corps, on apprend des choses qu'on ne savait pas sur nous-même."

Resserrant son bandana rouge, Vanessa*, qui assistait à sa deuxième séance, est conquise : "Vous savez, dans le milieu de la détention, on a besoin de s'évader. C'est exactement ce que nous apporte la séance avec Christelle." "Elle vient de résumer le yoga en une phrase, sourit l'instructrice. C'est une libération mentale, on utilise la science du souffler pour se détacher des pollutions extérieures."

Une fois les derniers étirements réalisés et les tapis rangés, le brouhaha du début de séance revient. Alors que le programme de yoga touche à sa fin à Corbas, le groupe aimerait renouveler l'expérience. "Ce serait vraiment dommage d'arrêter, pour une fois qu'on est toutes vraiment emballées", plaident certaines participantes. En attendant d'à nouveau enchaîner les postures sur les tapis du sol gris-vert du gymnase, nul doute que les nouvelles yogis continueront de s'entraîner de leur côté. Pour s'évader, de temps en temps, par la pensée.

*Les prénoms ont été modifiés.

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