Le football comme axe majeur du développement sportif de la Chine, l'ambition démesurée d'une nation mineure
La Chine se rêve en nation du football. Et elle ne le cache pas. Depuis quelques années, des milliards d'euros sont investis dans la construction de nouveaux stades de football. Le dernier projet en date : le stade de Guangzhou Evergrande à Canton (au nord-est de Hong Kong), stade lié au club du Guangzhou Evergrande Taobao Football Club, l'un des plus grands clubs en termes de palmarès et d'histoire du football chinois, et dont les travaux ont débuté en avril dernier, en pleine pandémie mondiale de coronavirus. Un stade à 12 milliards de yuans (1,6 milliard d'euros) qui pourra accueillir 100 000 spectateurs, soit un des plus grands stades au monde, devant le Camp Nou de Barcelone (99 354 personnes, le plus grand d’Europe).
La Chine a d'ailleurs largement communiqué sur ce stade qui sera à la pointe de la technologie et à l’architecture très futuriste. “On a beaucoup communiqué sur le fait qu'il sera en forme de lotus (voir photo), mais en réalité, il sera beaucoup plus quelconque”, affirme Jean-Baptiste Guégan, enseignant en géopolitique du sport, auteur de Géopolitique du sport : une autre explication du monde (Ed. Bréal). La livraison du stade est prévue pour fin 2022. Et la machine ne s’arrête pas là. Le promoteur immobilier Evergrande, fondé par l'un des hommes les plus riches de Chine, a indiqué vouloir construire deux autres stades de 80 000 places. Le pays devrait ainsi disposer d'au moins 12 nouvelles grandes enceintes de football d'ici deux ans, a compté le quotidien officiel Southern Metropolis Daily. La plupart de ces arènes seront notamment utilisées pour la Coupe du monde des clubs 2021 et la Coupe d'Asie des nations 2023.
Cette véritable politique de construction d’infrastructures est le reflet d’une politique internationale plus globale menée par la Chine, où le football est devenu un des aspects importants dans sa politique étrangère et dans sa manière de se positionner par rapport au monde. “Le sport est un des éléments de cette politique internationale menée par la Chine. Le football est prioritaire avec les sports olympiques et le rugby. Le foot est aujourd’hui le meilleur moyen, et le plus sûr, pour les Chinois de se présenter aux yeux du monde entier, et pas simplement à ceux des Etats-Unis, comme une puissance sportive globale”, explique Jean-Baptiste Guégan.
“Le sport est aussi important pour eux, parce que ça fait partie du nouveau rêve chinois que dessinait Xi Jinping, avec un objectif assez simple qui consiste (…) à montrer qu’ils sont puissants dans tous les domaines” - Jean-Baptiste Guégan
Si depuis la réouverture économique du pays en 1992, on constate une accélération de la diplomatie du sport et par le sport, la stratégie de puissance et de visibilité par le sport de la Chine a commencé sous Hu Jintao, ancien président de la République populaire de Chine et prédécesseur de Xi Jinping. Puis elle s'est matérialisée au début des années 2000, notamment à travers les Jeux olympiques et paralympiques de Pékin en 2008. “L’idée première était de montrer que la Chine était de retour. Donc cela a commencé par une politique d'accueil de grands événements. Puis, ils ont développé une politique de médailles", retrace Jean-Baptiste Guégan. Une politique des médailles qui a porté ses fruits. Si la Chine n'avait remporté "que" 63 breloques en 2004 à Athènes, dont 32 en or, quatre ans plus tard à domicile, elle s'octroie le statut de nation la plus titrée de ces Jeux de Pékin, avec 100 médailles dont 48 en or.
"Ensuite, avec le passage de Hu Jintao à Xi Jinping en 2013, on a changé de dimension, et c'est là où le football a été mis en cœur", analyse Jean-Baptiste Guégan. “Le sport est aussi important pour eux, parce qu’il fait partie du nouveau rêve chinois que dessinait Xi Jinping, avec un objectif assez simple qui consiste à doter la Chine d'une faculté à changer son image, à faire oublier deux ou trois choses comme la persécution des Ouïghours ou la situation à Hong Kong, et aussi à montrer qu’ils sont puissants dans tous les domaines”, précise Jean-Baptiste Guégan.
Un plan de développement du football aux objectifs ambitieux
C’est donc à partir des années 2014-2015 que l’intérêt de la Chine se développe pour le football. Dès 2016, elle met en place un plan de développement du ballon rond. “Pour justifier son plan, Xi Jinping avait déclaré qu’il en avait assez d’être un 'nain footballistique' alors même que la Chine était un géant politique et économique. Et que, finalement, il n'était plus tolérable que la Chine s'incline sur le terrain contre des voisins de taille moindre par rapport à lui. Pour Xi Jinping, investir dans le foot est vraiment une façon d'affirmer sa puissance mais sur un autre terrain que celui de la politique et de l'économie, et donc sur un des principaux sports mondialisés”, analyse Carole Gomez, directrice de recherche à l’IRIS et spécialiste en géopolitique du sport.
L'objectif est ambitieux. Car si on regarde de plus près le palmarès du pays, la marche est encore haute. La Chine n'a atteint qu'une seule fois, en 2002, le premier tour d'une Coupe du monde. Pour ce qui est de la Coupe d'Asie des nations, le pays a été deux fois finaliste en 1984 et 2004, et a atteint les quarts de finale en 2015 et 2019. Le plan de Xi Jinping s’échelonne sur trois grandes échéances, 2020, 2030 et 2050. La première a eu pour objectif de mettre toute la jeunesse chinoise au football. “Cette politique volontariste a été synonyme en 2017-2018 de football obligatoire à l’école et de créations de nombreuses académies et de terrains de football”, ajoute Jean-Baptiste Guégan.
Pour 2030, l’objectif monte d’un cran : “Devenir un pays important sur la scène asiatique, et éviter de perdre des matchs contre des pays comme le Népal par exemple, qui sont moins puissants économiquement ou politiquement par rapport à la Chine. Il y a à la fois la volonté d’avoir un rayonnement à l'échelle continentale et aussi d’accueillir de grandes compétitions, notamment la Coupe du monde masculine”, poursuit Carole Gomez. D'où la construction massive de nombreux stades depuis 2016.
L’objectif pour les Chinois est d’accueillir dans la décennie 2030 le Mondial. “Je crois peu à l’attribution de la Coupe du monde à la Chine en 2030. Ils vont candidater et mettre les moyens, c’est certain. Mais l’alliance Espagne-Portugal-Maroc est favorite”, estime Jean-Baptiste Guégan. Avant d’approfondir son propos sur l’attribution des villes hôtes : “Il y a un 211 fédérations à la Fifa. Si on enlève ceux qui candidatent, ça fait environ 200. Le premier qui a 100 fédérations gagne. Et celui qui a l'Europe, soit une cinquantaine de fédérations, tout comme l’Afrique, gagne. Donc avec cette alliance, ils sont bien partis.”
Remporter la Coupe du monde avant 2050
Un calcul que les Chinois ont en tête. Et ce n’est pas hasard si les Chinois développent leur politique en Afrique, à travers ce qu’on appelle la diplomatie des stades. Même si ce n’est pas uniquement pour cette raison-là, elle pourrait leur permettre d’en tirer profit. “Cela leur permettrait d'avoir ces pays en leur faveur lors des grandes échéances. Car en Afrique le pouvoir sportif est directement aligné sur le pouvoir politique. Si je prends l’exemple du Cameroun et de la Guinée, ils feront leur choix en fonction de leurs intérêts et leurs intérêts aujourd'hui sont chinois”, affirme Jean-Baptiste Guégan. Pour l’enseignant en géopolitique du sport, une attribution de la Coupe du monde en 2034 paraît, en revanche, très plausible.
Dernière échéance, celle de 2050, et non des moindres. D'ici 2050, elle souhaite devenir une nation importante du football et exister sur la scène internationale et notamment lors des compétitions mondiales. Et de remporter la Coupe du monde d’ici à 2049, année du centenaire de la proclamation de la République populaire de Chine. Tout un symbole.
Entre pouvoir et santé publique, le sport est vital pour le régime
Si les Chinois développent le sport pour des raisons politiques, ce n’est pas l’unique raison. "Le régime est très attentif au calme de sa population. Ainsi, ils ont la volonté de construire une économie du sport et du divertissement en Chine, pour répondre à la demande des Chinois. L'idée profonde des élites chinoises est de garantir la sécurité et la prospérité du peuple chinois sans qu'il ait à demander la démocratie et qu'il accepte donc un auto-contrôle et une auto-censure. Tout en laissant le parti communiste chinois au pouvoir. C’est leur obsession”, développe l'enseignant en géopolitique du sport. "Même si on est dans une société qui est de plus en plus contrôlée depuis trois ans, et où le gouvernement mène une politique très répressive comme à Hong Kong ou au Tibet, il est en même temps très à l'écoute des mouvements de la société pour éviter de se faire renverser. Finalement, ce qu'ils craignent tous, c'est un deuxième printemps de Pékin, un deuxième Tian'anmen, ou en tout cas une fragilisation du pouvoir communiste chinois”, développe-t-il.
“Il faut considérer, même s’il s’agit d’une moindre mesure, que le gouvernement développe aussi sa politique sportive pour des questions sanitaires”, souligne encore l’enseignant en géopolitique du sport, Jean-Baptiste Guégan. En effet, la population de la Chine vieillit, et aujourd’hui elle se dirige vers les mêmes problèmes que connaît l'Europe, autrement dit l'obésité et la sédentarité, mais avec dix ans de retard. “Le sport occidental en Chine est vu comme un produit d'exportation, donc il y a aussi l'idée de développer les sports à la chinoise avec des vedettes nationales pour justement favoriser l'exercice physique et éviter les problèmes d’obésité, qui est un fléau en Chine, tout comme la sédentarité”, poursuit le spécialiste.
Quel bilan aujourd’hui ?
Beaucoup de choses ont été faites sur les cinq dernières années par le Chine dans le cadre de sa politique de développement du football, comme les nombreuses constructions de stades, les rachats de parts ou de clubs étrangers, les créations d’académie pour former la jeunesse, les partenariats noués avec les grands clubs européens, le recrutement de joueurs à l’étranger ou encore les investissements massifs d'entrepreneurs chinois dans les clubs de la Chinese Super League (1ère divisions chinoise). Mais aujourd'hui, peut-on faire un premier bilan ? "Même si la Chine a gravi quelques places dans le classement Fifa, il est encore trop tôt pour savoir si leur politique a fonctionné”, reste prudente Carole Gomez, directrice de recherche à l’IRIS. Toutefois, on peut constater dès aujourd’hui, que la Chinese Super League, le championnat de première division chinoise refondé en 2004, est davantage présente dans les médias qu’il y a quelques années. On peut aussi relever une augmentation importante du nombre de licenciés dans des clubs de football, qui est passé de 137 000 en 2014 à 4 millions aujourd'hui, selon le site Chine Informations. Un chiffre encore faible pour le pays au 1,4 milliard d'habitants en 2018.
Aujourd’hui, ce qui est visible est donc encore très loin des objectifs espérés par le gouvernement. “Le niveau du championnat chinois est bas, et est proche du niveau National voir de National 2 en France. Les équipes sont assez mal entraînées, et il n’y a pas de grands joueurs chinois qui sortent du lot. Malgré la véritable politique d'Etat volontariste, ces efforts ne se traduisent pas encore par des résultats en termes de performances locales. Certes, des clubs chinois montrent quelques bons résultats en ligue asiatique, mais ce n'est pas encore ceux espérés par le pouvoir chinois”, développe Jean-Baptiste Guégan. Les Chinois vont devoir attendre encore quelques années avant de récolter le fruit de leur travail. Aujourd’hui, la sélection nationale n’est qu’à la 76e place du classement de la Fifa. “On se rend compte que le régime autoritaire veut tout contrôler, mais dans le sport, ça ne marche pas comme ça”, ajoute le spécialiste.
"Pour la première fois, la situation géopolitique chinoise va avoir une affluence directe sur les décisions qui vont être prises à l'échelle du sport mondial" - Jean-Baptiste Guégan
La Chine a bel et bien commencé à montrer sa volonté de devenir une puissance du football sur la scène internationale. Mais, même si elle met des moyens financiers pharamineux dans cet objectif et a repensé sa politique, le contexte géopolitique pourrait la freiner dans sa course vers la puissance sportive. “Xi Jinping a tendu beaucoup de sujets, comme le conflit armé avec l’Inde, la situation à Hong Kong ou encore la persécution des Ouïghours qui commence à être largement médiatisée. Pour la première fois, la situation géopolitique chinoise va avoir une affluence directe sur les décisions qui vont être prises à l'échelle du sport mondial. Et on ne pourra pas avoir un Qatar 2022 une deuxième fois”, conclut Jean-Baptiste Guégan.
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