Le Brésil, les raisons d'une mini-révolution
Des milliers de Brésiliens dans les rues des grandes villes mais aussi des villes plus modestes. En pleine Coupe des Confédérations, les projecteurs du monde entier sont braqués sur le pays et cette montée du mécontentement. Les images des violences font le tour de la planète, et pour éviter que de telles images se reproduisent chaque jour, le gouvernement brésilien a décidé d'envoyer la Force nationale, corps d'élite de la police chargé généralement de gérer les conflits sociaux et les situations exceptionnelles, pour assurer la sécurité de cinq des six villes accueillant des matches (Rio de Janeiro, Bahia, Minas Gerais, Ceará et dans le district fédéral). "La Force nationale a un rôle de conciliateur, de médiateur et non de répression", a tenu à préciser le ministère de la Justice dans son communiqué à l'agence de presse Agencia Brasil. Mais la mèche est allumée, et il n'est pas certain qu'elle s'éteigne d'un coup de baguette magique. Car le mal est profond.
"Il y a un profond changement social en toile de fond, marqué par l'ascension d'une nouvelle classe sociale", analyse l'économiste André Perfeito, de l'entreprise de consultants Gradual Investimentos. Ces dix dernières années, 40 millions de citoyens ont accédé à une classe moyenne qui n'existait pratiquement pas jusque-là, sur les plus de 190 millions de Brésiliens. Mais cette accession s'est faite en partie grâce au développement du crédit. Les Brésiliens peuvent acheter leur nourriture à crédit (en six fois), payer le restaurant à crédit, et c'est souvent le prix mensuel du crédit qui est indiqué en grand pour l'électroménager, les voitures (etc), le montant cash étant inscrit en tout petit. Et la crise mondiale a fortement ralenti cette évolution et ces facilités.
Une croissance en net repli
Depuis deux ans et l'arrivée au pouvoir de la présidente Dilma Rousseff, qui a succédé à Lula, la croissance économique est en net repli (2,7% en 2011, 0,9% en 2012) alors qu'elle était en moyenne de 4.5% les années précédentes, et les prix sont en hausse, (+6,5% en mai sur les douze derniers mois). Ce qui se répercute directement sur le porte-monnaie. A tel point qu'un repas au restaurant peut désormais être aussi cher qu'en France, tout comme le prix dans l'immobilier dans certains quartiers des grandes villes. Or, le salaire minimum n'est que de 244 euros par mois. "S'il est vrai que le Brésil a connu un fort développement économique lors de la dernière décennie, les inégalités restent très marquées et les plus pauvres supportent mal l'idée que l'Etat dépense des milliards de dollars pour l'organisation de la Coupe du Monde", indique Bastien Drut, docteur en économie et auteur du livre "Economie du football professionnel", aux édition de La Découverte. "Comme le disent Simon Kuper et Stefan Szymanski dans' Les Attaquants les plus chers ne sont pas ceux qui marquent le plus', l'intérêt économique de ce genre d'événements est très limité et coûte vraiment très cher aux contribuables. Comme le soutient l'ancien attaquant Romario, cet argent aurait pu être dépensé de façon plus utile."
Transports, santé, violence, éducation, les faiblesses d'un pays
Le Brésil a agi pendant des années pour le pouvoir d'achat, mais n'a pas réglé certains problèmes élémentaires. "De grandes parties de la population, principalement urbaine, sont mécontentes de l'état pitoyable des transports collectifs, du système de santé désastreux et de la grande violence, une situation compensée pendant des années par une amélioration des salaires et de l'emploi" qui atteint ses limites, affirme à l'AFP Ricardo Antunes, sociologue à l'Université de Campinas. La Coupe a servi de vecteur à l'expression de cette indignation, "avec ces stades monumentaux qui ont coûté des sommes faramineuses", précise-t-il. Après des années de scandales politico-financiers, les manifestants dénoncent la corruption et sont descendus dans la rue sans signes d'appartenance aux partis et aux syndicats, qu'ils insultent d'ailleurs copieusement. "L'insatisfaction vise désormais tous les grands partis qui ne résolvent pas les problèmes", explique Virgilio Caixeta, professeur d'histoire à l'Universitré de Brasilia. Le système scolaire connaît aussi de profondes injustices. Il faut généralement aller dans le privé (très couteux) pour trouver un enseignement de qualité. L'an dernier, les professeurs d'université ont observé une grêve de plus de six mois dans tout le pays, paralysant toutes les universités.
Venant de toutes les couches sociales, les Brésiliens s'unissent dans la rue, suivant souvent l'appel des réseaux sociaux comme Facebook. La Coupe des Confédérations donne au mouvement une répercussion internationale. "Ce message émanant de la rue est un rejet de la corruption et de l'usage indu de l'argent public", a indiqué Dima Rousseff. Un message de compréhension qui ne devrait pas être suffisant pour apaiser les tensions.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.