La vie brisée de l'Ougandaise Annet Negesa, athlète hyperandrogène
A tout juste vingt ans, Annet Negesa, coureuse ougandaise de demi-fond, avait devant elle un avenir prometteur et plein d’espoir. Jeune championne d’Afrique du 800 m en junior et en senior en 2011, elle est devenue rapidement une star dans son pays, en Ouganda. Mais sa carrière sportive a pris rapidement un tournant dramatique. En mai 2011, elle doit réaliser une analyse d’urine antidopage de routine lors des Championnats d’Afrique juniors au Botswana (pays enclavé de l’Afrique australe). Un contrôle de routine mais qui est loin d'être anodin en réalité. En effet, le rapport d'Human rights watch (HRW) indique que la disposition du Code national antidopage autorise à utiliser les données des contrôles antidopage en vue des tests de féminité. Quelques mois plus tard, en août, alors qu’elle est arrivée en demi-finale des Championnats du monde en Corée du Sud, elle a dû réaliser de nouvelles analyses, cette fois sanguines : "Je me demandais : Pourquoi moi ? Je ne voyais personne d’autre à qui on prenait six flacons de sang", a-t-elle déclaré à HRW.
N’ayant jamais reçu les résultats, la jeune femme ne s'en inquiète pas, continue de s’entraîner et se rend en Europe au début de l’année 2012 en vue des Jeux olympiques de Londres. Mais en juillet 2012, alors que les Jeux allaient débuter, la Fédération internationale d'athlétisme lui interdit de participer aux JO à cause de son taux de testostérone naturelle anormal. "Mon manager m’a dit qu’ils avaient pris [mes] échantillons sanguins et pensaient avoir constaté que j’avais un taux d’hormones masculines élevé", a-t-elle expliqué à Human rights watch. "Et pour cette raison, ils ne pouvaient pas accepter que je coure."
Quelques semaines plus tard, une responsable de la fédération nationale d’athlétisme a contacté Annet Negesa en lui recommandant de rester discrète sur cette non-participation olympique. "Elle m’a dit de ne pas me déplacer, de rester simplement chez moi, car ils craignaient que les journalistes ne viennent me voir et me demandent pourquoi je n’étais pas allée aux Jeux olympiques", confie Annet Negesa à Human rights watch, qui précise être restée isolée et déprimée chez elle pendant des mois.
"Il m’a dit : ‘Tu veux toujours courir ?’ J’ai répondu : ‘Oui.’ Il a dit : ‘Alors il faut qu’on fasse ceci et cela... Ils veulent qu’on fasse telle et telle chose’"
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En septembre 2012, son manager lui rapporte que les médecins de l’Association internationale de la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF, désormais appelée World Athletics) avaient affirmé qu’elle devait se rendre en France pour un rendez-vous médical. "Il m’a dit : ‘Tu veux toujours courir ?’ J’ai répondu : ‘Oui.’ Il a dit : ‘Alors il faut qu’on fasse ceci et cela... Ils veulent qu’on fasse telle et telle chose’", raconte l’ex-athlète de haut niveau. A ce moment-là, Annet Negesa se voit proposer un traitement médical, une option qui lui permettrait, selon la Fédération internationale d'athlétisme, de pouvoir de nouveau concourir au niveau mondial.
Mais les explications sont vagues et Annet Negesa n’a pas toutes les informations entre ses mains. Pour elle, il s’agissait de prendre des médicaments, afin de réguler son taux de testostérone. Mais en novembre 2012, alors qu’elle arrive en France pour des examens, elle comprend qu’il ne s’agit pas d’un traitement médicamenteux mais d’une opération. D’après son récit à l’ONGI, une équipe de médecins – tous des hommes blancs – ainsi qu’une infirmière l’ont examinée dans un hôpital à Nice. Dans le sud de la France, elle subit alors une série d’examens, parmi lesquelles une auscultation physique, une échographie, une analyse sanguine et une IRM. A l’issue de ces examens, aucun document ne lui est remis. On lui indique seulement de consulter un médecin à Kampala (Ouganda) pour se faire opérer.
Une opération camouflée
Suite à son voyage en France, Annet Negesa est amenée quelques semaines plus tard par une responsable de la fédération nationale et son manager local, au centre médical Women’s Hospital International & Fertility Centre de Kampala. Un médecin lui indique qu’il va réaliser une "opération très simple – comme une injection", afin de lui retirer sa testostérone. Mais à son réveil, elle constate des cicatrices sur son abdomen. Sur les documents de sa sortie d’hospitalisation, le corps médical mentionne qu’Annet Negesa a subi une orchidectomie (ablation de testicules internes) et se voit prescrire des antibiotiques post-opération. Jamais la jeune athlète n’a été informée d’une quelconque opération et n’a donc jamais donné son consentement. Les années suivantes se sont transformées en cauchemar pour Annet Negesa, elle qui souffre dorénavant de maux de tête et de douleurs articulaires.
Une diminution de sa force physique
Dans une lettre du 1er septembre 2013, que Human rights watch affirme avoir consulté, un responsable de l’hôpital où Annet Negesa a été opérée, a écrit qu’elle "se plaignait désormais d’une faiblesse physique générale, que nous attribuons aux symptômes de sevrage découlant de la gonadectomie (ablation chirurgicale des gonades, ndlr)". Cette même lettre précisait également que le corps médical avait "évité de la mettre sous traitement aux œstrogènes, en attendant de s’entretenir à nouveau" avec le conseiller médical de l’IAAF et le chirurgien ayant réalisé la gonadectomie.
Si le rétablissement fut long, Annet Negesa a repris l’entraînement, non pas sur les pistes internationales mais à l’université. En effet, la jeune femme, aujourd’hui âgée de 28 ans, n’a jamais retrouvé son niveau physique d’avant 2012. Cette épisode a marqué sa vie à jamais. Après l’intervention médicale et ses conséquences, elle a perdu sa bourse d’études fin 2013 et son manager international a cessé de la contacter en 2016. Elle vit à présent en Allemagne, où elle a obtenu l’asile en 2019. Une enquête administrative a par ailleurs été ouverte en France suite au premier témoignage d'Annet Negesa l'an passé, mais qui n'a pour l'heure pas abouti.
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