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La situation géopolitique autour de la Turquie s'immisce dans le monde du football

La récente intervention militaire de la Turquie à l'encontre des Kurdes dans le Nord de la Syrie n'en finit plus d'avoir des répercussions dans le monde du football. En cas d'enlisement du conflit, une multiplication des incidents semble en effet à craindre...
Article rédigé par Théo Dorangeon
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
 

L'image n'a pas été diffusée en direct à la télévision mais n'est pas passé inaperçue. Lundi, lors de France-Turquie au Stade de France, les joueurs turcs ont effectué un salut militaire suite au but égalisateur puis un second après la fin du match. "Nous sommes toujours avec notre pays à 100 % même dans les mauvais moments", a assumé le milieu Hakan Calhanoglu. Ce geste fait référence aux opérations menées par l'armée turque contre les Kurdes en Syrie depuis le 9 octobre. Et il fait polémique. Quatre jours avant, face à l'Albanie, la même posture avait été observée par les hommes de Şenol Güneş. "Il se trouve, en l’occurrence, que le premier salut a été réalisé après le but turc au moment où nous diffusions le ralenti du but. Le second salut a lui été réalisé après la fin du match au moment où nous étions en interview avec les joueurs », s'est justifié M6, qui diffusait la rencontre comptant pour les qualifications à l'Euro 2020.

Cette action a été le seul "incident" du match. La Marseillaise n'a pas été sifflée, mais respectée et même applaudie. L'ambiance, bien que couverte de sifflets, restait dans le fair-play et dans le folklore. Pourtant, le match était à risques et donc sous haute surveillance policière . La France et la Turquie entretiennent des relations diplomatiques très froides depuis que le président français, Emmanuel Macron, a demandé à son homologue turc Recep Tayyip Erdogan de mettre fin à cette opération militaire. 

A quoi peut aboutir l'enquête de l'UEFA ?

Avec la répétition de ce geste par les joueurs de la sélection de Turquie, dans un contexte géopolitique tendu, l'Union des associations européennes de football (UEFA) a décidé d'ouvrir une enquête. Le communiqué de l'UEFA indique qu'un inspecteur a été nommé pour entamer "une enquête disciplinaire" en lien avec un comportement s'apparentant à une "potentielle provocation politique". Joint par téléphone, l'instance européenne n'a pas donné plus de précisions quant aux suites possibles.

Dans le Parisien, le chercheur associé à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), Patrice Moyeuvre, estime que ce geste est ancré dans la culture du pays : "Dès l’école maternelle, les enfants font le salut à l’école. Il ne faut pas y voir autre chose qu’un geste culturel".

Toutefois, le monde politique s'est emparé de l'affaire. Présente au Stade de France lors du match entre la France et la Turquie, la ministre des Sports Roxana Maracineanu a condamné sur Twitter un geste "contraire à l'esprit sportif" tout en demandant des sanctions de l'UEFA. "Merci à la FFF et aux forces de l’ordre pour leur travail afin d’assurer le bon déroulement du match. Les joueurs turcs ont gâché ces efforts en réalisant un salut militaire, contraire à l’esprit sportif. Je demande à l'UEFA une sanction exemplaire" a écrit l'ancienne nageuse. 

De son côté, le ministre des sports turc Mehmet Kasapoglu a défendu ses joueurs : "Ceux qui cherchent à masquer une contre-performance sur le terrain avec ces procédés ne devraient pas faire tant d'efforts. Le résultat est là : nous sommes premiers (du groupe H)". Il a relayé sur Twitter la photo des joueurs, et du public, réalisant le salut militaire. Il appelle l'UEFA à faire preuve de discernement face aux multiples appels à des sanctions. 

En Italie, le ministre des Sports Vincenzo Spadafora a envoyé une lettre au président de l'UEFA Alexander Ceferin, demandant s'il fallait maintenir la finale de la Ligue des champions à Istanbul, le 30 mai 2020. "Je vous demande d'évaluer s'il n'est pas inapproprié de maintenir à Istanbul la finale de la Ligue des champions", a écrit l'homme du gouvernement italien. Nous savons que le drame qui se passe en Syrie ne sera pas résolu avec cet acte, mais nous sommes tous conscients de l'importance (politique, médiatique, économique, culturelle) de l'un des événements sportifs les plus importants au monde."

D'autres actions ont eu lieu

Si la posture des joueurs turcs est sur le devant de la scène, d'autres actions ont eu lieu dans cette situation. Jeudi, l’ancien défenseur Rennes, Marseille et Sochaux, Jacques Faty, a soutenu publiquement l'offensive turque sur Twitter. L’ex-international sénégalais de 35 ans, aujourd’hui employé d’une académie du PSG en Turquie à Antalya, a déclaré : "Pour Allah, pour cette terre sainte, pour mettre fin au mal, nos soldats sont partis. Que Dieu bénisse l’armée turque musulmane ". Contacté, un des représentants des relations presse du club parisien indique que Jacques Faty n'est pas salarié de celui-ci. "No comment" pour le PSG.

Plusieurs joueurs turcs, absents de la sélection lors de ce rassemblement, ont aussi manifesté leur soutien. C'est le cas de Cengiz Ünder, international de l'AS Rome actuellement blessé. Sur le réseau social, il a publié une photo de lui imitant la posture du salut militaire, sous le maillot du club italien. Une photo accompagnée du drapeau turc. La publication a été perçue par plusieurs comme provocatrice. L'AS Rome n'a pas officiellement réagi. Toute prise de position semble délicate, d'autant plus que la Louve doit se déplacer à Istanbul pour affronter Basaksehir le 28 novembre prochain en Ligue Europa.

En Allemagne, c’est un joueur de Sankt Pauli, Cenk Şahin, qui a soutenu l’opération sur son compte Instagram. Une prise de position peu appréciée des supporters, qui dans un communiqué ont demandé au club de se séparer de lui : « Ce n'est pas la première bévue linguistique et médiatique de Şahin à ce sujet. Par le passé, il a déjà exprimé sa loyauté au régime et son mépris quant à la mort de la population kurde. Il savait qu'il avait déjà fait des faux pas et que ces prises de position dans notre club étaient un affront clair. Pour nous ultras, il est donc certain que Cenk Şahin ne doit plus porter le maillot du FC Sankt Pauli et demandons au club de licencier Cenk Şahin aujourd'hui, vendredi 11 octobre ». Dans un communiqué, le club s’est désolidarisé des propos du joueur « incompatibles avec les valeurs du club », avant de préciser : « Le club a déjà parlé au joueur et règle cette affaire en interne. No more wars ! ». 

D'autres clubs allemands, amateurs, sont aussi menacés de sanctions après que des joueurs ont effectué des saluts militaires après un but, selon plusieurs fédérations régionales. Trois équipes du district de Recklinghausen (Rhénanie du Nord-Westphalie), près de Gelsenkirchen, sont convoquées devant un comité de discipline après la diffusion sur les réseaux sociaux de photos montrant des joueurs effectuant ce salut après un but. Les deux autres équipes concernées évoluent en Bavière et devraient elles aussi faire l'objet de sanctions.

Plus récemment, la situation a provoqué un arrêt de match lors de la Coupe du monde de mini-foot en Crète (match à six contre six). Une banderole a été déployée dans un match entre la Turquie et le Brésil. « Contre le fascisme turc », était inscrit sur la banderole tenue par des spectateurs, entraînant le refus des joueurs turcs de continuer de jouer tant que celle-ci n'était pas retirée du stade. De plus, des spectateurs ont également allumé des fumigènes et lancé des chants à l'encontre du président turc Recep Tayyip Erdogan. Le match n'a finalement repris qu'après le départ des spectateurs mis en cause et le retrait de la banderole. 

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