L'économie du foot dans tous ses états
20 millions d'euros par an pour Samuel Eto'o d'un côté, des joueurs sans salaire depuis plusieurs mois dans des clubs surendettés aboutissant à une grève des joueurs de Liga de l'autre. Voilà l'étonnant visage qu'offre le football européen actuellement. Si le salaire proposé au Camerounais par le club de la République russe du Daguestan d'Anji Makhatchkala est un sommet qui n'avait jamais été atteint jusque-là, il représente bien les extravagances de certains dirigeants de ces dernières années. Chelsea, Manchester City, le Real Madrid, Malaga, et maintenant le PSG, voici quelques-uns des clubs qui n'hésitent pas à casser leur tirelire pour attirer des joueurs pour des sommes records. Mais alors que le monde est en crise financière, que les états sont de plus en plus endettés ce qui les place en difficultés et par conséquence leur population, le football ne semble pas atteint. Bastien Drut, auteur du livre "Economie du football professionnel" (collections Repères, éditions La Découverte), tente d'apporter des éclairages sur la situation économique du monde du ballon rond, qui ne tourne pas rond pour tout le monde.
- Les joueurs de Liga sont actuellement en grève. Comment analysez-vous ce phénomène de clubs tellement endettés quils ne peuvent pas payer leurs joueurs ? Cela pourrait-il se dérouler autre part quen Espagne ?
- "Cela pourrait se voir dans dautres championnats. Le fond du problème en Espagne, cest quil ny a pas vraiment de régulation financière sérieuse pour les clubs de football professionnels. Comme il ny a pas de régulation financière très stricte, les clubs peuvent sendetter sans problème, jusquau moment où ils ne trouvent plus de préteurs. En plus, les droits TV sont vendus de façon individuelle, et non pas collective, contrairement aux autres grands championnats européens, ce qui pénalise énormément les petits clubs. Cest totalement différent en France et en Allemagne, où les régulations financières sont strictes. En France, la DNCG empêche les déficits récurrents, et si déficit récurrent il y a, la sanction arrive immédiatement et peut aller jusquà la relégation sportive. Les clubs font donc très attention à leurs déficits. Cest pour cela que la dette des clubs français est très limitée par rapport aux championnats espagnols, anglais et italiens."
- Ces déficits en Angleterre, Espagne et Italie mettent-ils en danger les clubs ?
- "Bien sûr. Le grand risque pour les clubs très endettés, cest la disparition. En Angleterre, on a commencé à avoir peur avec Portsmouth, voici deux saisons, qui avait des mauvais résultats sportifs et a en plus eu une pénalisation de 9 points en championnat pour avoir été placé sous redressement judiciaire. Cela les a définitivement plombés. Mais il y a une dichotomie à faire entre petits et grands clubs. Aujourdhui, le problème en Espagne porte beaucoup plus sur les petits clubs que sur les gros car le Real, le Barça, ont toujours les ressources davoir une grande équipe, des contrats de sponsoring juteux, comme les recettes de billetteries avec leur grand stade et leurs nombreux abonnés. Ils ont toujours de quoi se désendetter un jour. Ce nest pas du tout pareil pour les petits clubs, qui sendettent car ils ne sont pas compétitifs sur le plan sportif. Et avec les salaires, les indemnités de transfert qui augmentent, ils sont obligés demprunter pour tenter de se maintenir au niveau, dun point de vue sportif. Cest ce qui crée leur endettement, et apporte ce vrai risque de faillite, de disparition. Mais je ne crois pas du tout à léventuelle disparition dun grand club, ni en Espagne ni en Europe."
"Un vrai pari sur l'avenir"
- Comment, même ces grands clubs aux gros contrats de sponsoring, parviennent à accumuler des déficits abyssaux ?
- "Ce qui est intéressant, cest quil y a pas mal de situations différentes en Europe. Manchester United est un cas très particulier. Le club a été racheté par des milliardaires américains, sous un montage financier quon appelle LBO (Leveraged buy-out), qui consiste à financer lachat du club en sendettant. En 2005, lorsque la famille Glaser achète MU, le club navait aucune dette. Ils se sont donc endettés pour acheter le club, et lui ont transmis cette dette, avec pour ambition de les rembourser grâce à la rentabilité du club. Ensuite, des clubs comme Chelsea, Manchester City, vont accumuler des déficits extrêmement importants pour construire une équipe. La dette provient de lachat des joueurs. Mais dans ce cas, il ny a pas de problème car ces déficits importants sont comblés par les milliardaires qui sont à leur tête. Ce qui est problématique, cest lorsque les clubs sendettent sans avoir un propriétaire prêt à remettre beaucoup dargent dedans. Dans ces cas-là, ils vont aller auprès des banques, ou auprès des marchés financiers, avec lespoir davoir une équipe compétitive en espérant avoir des rentrées financières liées à leur réussite sportive, mais cest un vrai pari sur lavenir. Et cest extrêmement dangereux."
- Malgré la crise, les montants des salaires et des transferts restent très élevés. Sur quoi repose léconomie du football de manière générale ?
- "Si on parle de recettes, il y a trois grands types pour les clubs professionnels. Les droits TV sont une source de revenus importante. En France, cest 60% des revenus dun club de Ligue 1. Ensuite, il y a les contrats de sponsoring, et enfin, les billetteries. Cette dernière est dailleurs celle qui na pas beaucoup évolué en France. Ce qui a énormément progressé sur ces 15-20 dernières années, ce sont les recettes des droits TV. Cest ce qui a changé le visage du football européen. Un autre élément plus récent a modifié le panorama, cest larrivée des milliardaires dans le football. Cela apporte énormément de fonds supplémentaires, mais qui ne sont pas créés par les clubs. Les gros transferts et les records sont excessivement liés aux politiques dacquisition de joueurs lors de larrivée dun milliardaire."
"A peu près sûrs de perdre de l'argent"
- A quelle logique correspond ces investissements ? Logiquement, un entrepreneur investissant dans une entreprise sattend à gagner plus dargent. Est-ce le cas en lespèce ?
- "Pas du tout. Les milliardaires investissant dans les clubs de foot sont des investisseurs avertis, qui connaissent bien le fonctionnement de léconomie. Mais lorsquils vont dans un club, ils sont à peu près sûrs de perdre de largent, mais leurs motivations sont extra-financières. Certains veulent se faire connaître, comme le Qatar, pour faire de la publicité auprès du monde occidental et ainsi diversifier leur économie avec le tourisme. Dautres tentent davoir une acceptabilité sociale, après avoir eu des problèmes de scandale financier, politique, ou judiciaire. Cest le cas de lancien Premier ministre thaïlandais, Shinawatra, qui avait racheté Manchester City avant dêtre condamné quelques mois après par contumace par les autorités thaïlandaises. Cest aussi lexemple de Mohamed Al-Fayed, racheteur du club de Fulham alors quil était au cur de nombreux scandales financiers quelques années auparavant. Dautres exemples pourraient être cités. Et puis, il y a des milliardaires qui ont juste envie de samuser, pour qui cest un divertissement. Leur notoriété nest pas à faire.
A ma connaissance, très peu de personnes investissent dans le foot pour gagner de largent."
- Le fair-play financier voulu par Michel Platini sur le plan européen pour 2012 va-t-il assainir la situation financière ?
- "Cela aura nécessairement un effet positif car il y aura un contrôle des comptes des clubs voulant jouer les Coupes dEurope. Cela va limiter les déficits et lendettement de manière générale en Europe. Mais il ne faut pas en attendre des effets extraordinaires sur un rééquilibrage sportif très marqué, car les clubs anglais ont des recettes deux fois et demi plus importantes que les clubs français, par exemple. Cela ne disparaitra pas. Les différentiels de revenus seront toujours très marqués. Le fair-play financier ne permettra pas du jour au lendemain à un club français de remporter la Champions League. On peut sattendre en revanche à une légère baisse des résultats des clubs évoluant dans les championnats les plus endettés, mais ce ne sera pas extrêmement fort."
- La crise boursière peut-elle avoir des conséquences sur le foot et son économie ?
- "Des clubs endettés auront peut-être des difficultés à refaire des emprunts. Les banques pourraient être plus réticentes à prêter de largent à des clubs de foot. Cela pourrait être un problème pour ces clubs. La baisse de laffluence dans les stades liée à la crise pourrait exister mais de manière très limitée. Si la crise continuait encore quelques mois voire plus, les contrats de sponsoring pourraient être revus à la baisse, mais ce ne serait pas pour tout le monde. En revanche, en ce qui concerne les droits télé, les clubs sont assez protégés car les contrats couvrent plusieurs années."
- Quelle est la tendance à moyen terme des montants des transferts, des salaires, dans le milieu du football ?
- "Cest une question difficile. A léchelle française, larrivée du Qatar au PSG a logiquement impliqué des records de transferts avec Pastore. Mais globalement, les clubs commencent à limiter leur masse salariale, ce qui est une préoccupation même pour les grands clubs européens. Je ne pense pas que lon verra encore les salaires moyens augmenter très longtemps. Ici encore, il faut dissocier superstars et joueurs de petits clubs : les premiers pourraient voir leurs revenus continuer à progresser, surtout si de nouveaux milliardaires arrivent dans le football européen, alors que les autres auront beaucoup plus de mal avec notamment une concurrence qui sintensifie."
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