Pourquoi il n'y aura pas beaucoup de records du monde d'athlétisme à Londres
Préparez vos magnétoscopes pour immortaliser les performances... mais allez-y mollo sur les cassettes.
Savez-vous combien de temps dure, en moyenne, un record du monde d'athlétisme ? Chez les hommes, la durée de vie d'une performance intersidérale est de sept ans. Chez les femmes, c'est vingt ans. A titre de comparaison, en natation, un vieux record a neuf mois, note Sports Scientists.com. Pas sûr qu'on en voie beaucoup tomber sur la piste du stade olympique de Londres pendant ces JO.
Merci la RDA !
Beaucoup des records qui font exploser la moyenne de l'athlétisme féminin datent de l'époque glorieuse de la RDA. De 1960 à 1980, les athlètes du bloc de l'Est ont battu 71 des 84 records du monde établis du 100 m au 1500 m. L'Allemagne de l'Est avait lancé un véritable plan Marshall du dopage, connu sous l'appellation "14.25", qui a fonctionné au-delà de toute espérance : ce pays, à peine plus grand que l'Aquitaine et le Midi-Pyrénées cumulés, a fini 2e nation aux Jeux de Séoul (Corée du Sud) en 1988, devant les Etats-Unis. Dans cet Etat, les athlètes, comme Marita Koch qui détient toujours le record du monde du 400 m, écrivaient carrément aux laboratoires pour demander de meilleurs produits dopants pour lutter contre la concurrence soviétique, rappelle le New Yorker (lien en anglais).
Des performances qui s'expliquent par le dopage, mais pas que. Le système de détection impressionnant sur tous les jeunes du pays a fait ses preuves : "Là où il y a un expert par athlète aux Etats-Unis, il y en a 50 en RDA", fanfaronnait le patron de l'athlétisme est-allemand, cité dans le livre Taboo (lien en anglais). Il y avait ainsi 7 000 coaches d'athlétisme de très haut niveau au plus fort de la RDA, il n'y en avait plus que 400 en Allemagne réunifiée au début des années 2000.
Merci les stéroïdes !
L'écrasante majorité des records qui ont plus de 20 ans ont été réalisés par des femmes, à la grande époque où les stéroïdes n'étaient pas détectés. A partir du début des années 90, les effets conjugués de la chute du Mur de Berlin et de l'amélioration des tests antidopage ont poussé beaucoup de stars de la décennie précédente à raccrocher les pointes. Pour le spécialiste Victor Conte, épinglé plus tard pour avoir aidé l'athlète américaine Marion Jones à se doper, les stéroïdes avaient une action fulgurante sur les femmes : "Sur 100 m, les stéroïdes peuvent aider une femme à améliorer son temps de 40 centièmes de seconde. Pour un homme, l'effet ne dépassera pas 20 centièmes" expliquait-il au Guardian (lien en anglais) en 2009.
Prenez Florence Griffith-Joyner, la détentrice du record du monde du 100 m chez les femmes. Une honnête sprinteuse au début de la décennie, devenue un rouleau compresseur en 1988. Cette année-là, celle qu'on surnomme Flo-Jo pulvérise le record du monde de 10"76 à 10"49. Une progression de plus de 25 centièmes absolument surhumaine. Le record du 100 m chez les hommes évolue, lui, moins brutalement mais plus souvent, note Engineering Sport (lien en anglais).
La transformation physique de Flo-Jo a inspiré ce commentaire peu élogieux du médaillé d'argent sur 800 m à Séoul, le Brésilien Joaquim Cruz : "En 1984, Florence était très féminine. En 1988, elle est devenue une sorte de gorille. Ce n'est pas normal de devenir aussi musclée."
Merci les scientifiques !
Le rythme auquel tombaient les records féminins, une dizaine chaque année, avait conduit d'éminents physiologistes à prévoir en 1992, dans la revue scientifique britannique Nature, que les femmes égaleraient les hommes au marathon en 1998 et sur le sprint à l'orée du XXIe siècle. On en est loin. Les performances stratosphériques des athlètes sous stéroïdes ne sont qu'approchées par la crème de la crème des athlètes d'aujourd'hui : le record du 400 m de l'Allemande de l'Est Marita Koch, 47"60, n'a été approché que deux fois en 20 ans. Et aucune athlète n'est descendue sous les 48 secondes. Idem pour les 1'53"28 de la Tchèque Jarmila Kratochvilova sur 800 m, le plus vieux record de l'athlétisme féminin, qui remonte à 1983.
"C'est vraiment dommage, regrettait l'ancien sprinter Ato Boldon dans le New York Daily News (lien en anglais), car l'athlétisme féminin n'est pas aussi excitant qu'il devrait l'être. Chez les hommes, quand vous allez voir des courses, il y a une chance que vous assistiez à un record du monde. Chez les femmes, hormis si vous êtes fan de saut à la perche, vous n'en verrez pas dans les grands évènements." Cela dit, quelques records masculins, comme les 2,45 m de Javier Sotomayor en 1993, les 18,29 m au triple saut de Jonathan Edwards et les 46"78 de Kevin Young sur 400 m haies résistent depuis bientôt 20 ans. Et il y a quand même quelques raisons d'espérer : la championne du monde du 100 m haies, l'Australienne Sally Pearson, n'est plus qu'à sept centièmes du record de Yordanka Donkova, qui remonte à 1988.
1988, c'est l'année retenue par le chercheur Geoffrey Berthelot comme le pinacle des records en athlétisme. Son étude (PDF) montre que l'homme s'approchant inexorablement de ses limites, les records vont se raréfier et les courbes de performance vont se tasser. Il explique d'ailleurs au Boston Globe (lien en anglais) :"La fin des records, presque tous, arrivera en 2027."
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