Vous ne vous souvenez sûrement pas de ce que vous faisiez le 7 février 1998. Lui, oui. Shiva Keshavan devenait le premier athlète indien à défiler lors d’une cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver, en l’occurrence ceux de Nagano, au Japon. L’Inde, qui traite encore les sports d’hiver comme quantité négligeable, ne s’était pas embarrassée à élaborer un uniforme. "On m’avait refilé une veste et un pantalon, bleus et rouges. Pas vraiment les couleurs nationales", sourit ce lugeur qui entrera en piste le 10 février. A 18 ans à peine, impressionné par le contexte, pas question de faire la fine bouche. "On m’avait aussi envoyé des chaussures en plastique, trop serrées pour mes pieds. La compétition avait lieu le lendemain, je n’ai pas eu le temps de finasser." Il se classe 28e, sur 34.
Vingt ans plus tard, Shiva défilera de nouveau sous les couleurs de son pays à Pyeongchang. Pas tout seul, cette fois. L’Inde parvient désormais à envoyer quelques athlètes dans la poudreuse. "Je ne me suis jamais vraiment senti seul aux Jeux, nuance-t-il à franceinfo. Dans le village olympique, ou lors des compétitions, les concurrents des petites nations se serrent les coudes."
Deux décennies de présence constante aux Jeux qui ne lui ont valu qu’un soutien ténu des autorités de son pays. "C’est plutôt la fédération internationale qui m’aide", euphémise Shiva, encore obligé de recourir au crowdfunding et à la chasse aux sponsors pour pouvoir assouvir son rêve olympique. Une année, et une seule, il a pu bénéficier des conseils d’un entraîneur, dont il a dû se séparer, faute de moyens. Depuis, c’est le système D, surtout pour s’entraîner. Pendant la belle saison, il dévale à tombeau ouvert les routes goudronnées proches de son village himalayen où ses parents tiennent le resto italien du village. "Le pire, ce n’est pas de devoir passer entre les voitures, mais les nids-de-poule", sourit ce casse-cou qui n’a jamais fini dans le plâtre malgré ces conditions d'entraînement dantesques.
Que les spectateurs présents en Corée du Sud en profitent, c’est la dernière fois qu’on verra Shiva sur sa planche.
Mais le gaillard, qui va sur ses 37 ans, ne compte pas rester loin des pistes pour autant. Il rêve d’accompagner un jeune lugeur indien aux Jeux. Un programme de détection a été mis en place dans les régions himalayennes. "J’ai déjà mis de côté des casques et du matériel pour les aider, sourit-il. Je ne veux pas qu’ils commencent dans les mêmes conditions que moi."