Patinage, podiums aux Mondiaux et crash aux JO : la folle carrière de Brian Joubert
Retour sur le parcours du plus titré des patineurs français qui a mis fin à sa carrière, vendredi, après son passage aux Jeux olympiques de Sotchi.
Si vous pensez patinage artistique, vous pensez forcément Brian Joubert. Le plus beau palmarès du patinage français, avec trois titres de champion d'Europe et un titre mondial, a mis fin à sa carrière, à l'âge de 29 ans, terminant 13e des Jeux olympiques de Sotchi (Russie), des derniers JO. L'occasion d'un coup d'œil dans le rétroviseur d'une carrière pas comme les autres.
Tombé dans la glace quand il était petit
Le destin de Brian Joubert se joue très jeune. A Poitiers (Vienne), ses deux sœurs, plus âgées, pratiquent la danse sur glace. Envieux, le jeune Brian tanne sa mère pour "papiner" (selon ses mots d'enfant) à son tour, se souvient-il dans son autobiographie Le feu sur la glace. "A cette époque, ma mère me récupérait systématiquement trempé parce que j'essayais de goûter la glace", écrit-il. A l'image d'un Obélix, Brian Joubert est tombé dans sa potion magique étant petit. Il est vite encouragé par sa mère, Raymonde – "la seule personne en qui j'ai confiance" rabâche-t-il – et l'entraîneuse Véronique Guyon, avec qui il rompt cinq fois... pour toujours revenir dans son giron.
Sa progression est fulgurante. A 16 ans, il termine 10e des championnats de France. A 19 ans, il l'emporte et entame un règne de dix ans sur l'épreuve. A partir de 2002, il figure dix ans de suite sur le podium des championnats d'Europe (et monte trois fois sur la plus haute marche). Et la consécration arrive le 22 mars 2007, à Tokyo, quand il est sacré champion du monde, sur la musique d'un film de James Bond, Meurs un autre jour. A l'époque, sa structure d'entraînement est pléthorique pour un patineur français (l'ancien boxeur Mahyar Monshipour comme préparateur physique, l'ancien champion russe Alexeï Iagoudine comme consultant), mais après arbitrage du ministre des Sports, la fédération lui passe ses extras. On ne peut rien refuser à la petite merveille du patinage français. C'est pourtant le début d'une lente régression. "Je pense avoir pris la grosse tête après mon titre mondial", reconnaît Joubert dans une interview au Figaro, fin 2010. Doucement, il glisse hors des podiums européens et mondiaux. C'est là qu'intervient la catastrophe des Jeux olympiques de Vancouver, en 2010.
"Putain de Jeux olympiques de merde !"
Alors qu'il est le grand favori, Brian Joubert chute deux fois lors du programme court, lourdement sur un triple lutz, un saut que, d'ordinaire, il maîtrise parfaitement. A la sortie de la patinoire, Joubert est anéanti. On lui tend une boîte de mouchoirs dans la kiss and cry zone, ce banc où les patineurs attendent leurs résultats. Il refuse. La note des juges est terrible. Il lâche, suffisamment fort pour qu'on l'entende : "Putain de Jeux olympiques de merde, j'y arriverai jamais !" En 2002, il avait pris une très honorable 16e place, alors qu'il n'avait que 18 ans. En 2006, au sommet de son art, il était déjà passé à côté, en échouant à la 6e place.
Au retour du Canada, place à la thérapie collective par médias interposés. "Avec beaucoup d'affection, je dirais qu'il est un petit con ! lâche Didier Gailhaguet, l'homme fort du patinage français des vingt dernières années, actuel président de la fédération. Va-t-il rapidement sortir de sa crise d'adolescence à retardement ?" Réponse de Joubert : "Ceux qui pensent que je suis un petit con, ils ont raison." Joubert est décrit par tous comme un garçon gentil – "le Michel Drucker du patin" dixit Gailhaguet – qui collectionne les poissons pour se détendre. A une époque, il en avait plus de 200.
Brian Joubert a été "massacré"
Avec le recul, Brian Joubert ne crache pas sur son palmarès. "J’estime avoir fait une très belle carrière", relativise-t-il fin 2013 dans le quotidien régional L'Union. A peine arrivé au plus haut niveau, il doit composer avec un changement de règles, qui font la part belle à la danse et à la grâce des athlètes, diminuant d'autant l'importance des figures et des sauts. C'est pourtant là que le Français excelle. "[Pour lui], interpréter une musique, c'est être homosexuel, raconte en 2003 sa coach de toujours, Véronique Guyon, dans Le Monde (article payant). Travailler les pirouettes, c'était perdre son temps."
Une philosophie qu'on retrouve au plus haut niveau du patinage français, impulsée par le président de la fédération, Didier Gailhaguet, surnommé "le petit Staline" par ses détracteurs. "La foule ne vibre pas pour des mièvreries où ça se dandine et ça se trémousse", affirme-t-il dans Libération, en 2006. Philippe Candeloro patinait comme un ours, mais il dégageait quelque chose." Candeloro a répondu dans son livre Figure libre à Gailhaguet : "Pour moi, il a massacré Brian Joubert. (...) C'est en grande partie en suivant les conseils de Gailhaguet que Brian a échoué aux JO, et c'est dommage car il méritait mieux."
Sa croisade contre "le patinage efféminé"
Brian Joubert va faire sienne l'analyse de Gailhaguet en attaquant frontalement les Canadiens, juges, patineurs et public, quelques semaines avant les Jeux de Vancouver. Tout est parti d'une question sur ce fameux système de notation, dans Le Journal du dimanche : " Il faut savoir que leurs patineurs, souvent homosexuels, sont spécialisés dans le patinage efféminé. Du coup, certains sont passés de la 10e place au podium."
L'homosexualité demeure un sujet tabou dans le patinage français. Dans la même interview au JDD, Joubert lâche : "Certains patineurs sont efféminés et en rajoutent encore avec des froufrous. Je me bats contre tous ces chichis, ça m’horripile. Pas étonnant ensuite qu’on passe tous pour des tatas ou des chochottes." Déjà, en 2005, il avait fait condamner en justice son ex-compagne, Laetitia Bléger, Miss France 2004, qui sous-entendait qu'il était homosexuel et ne l'assumait pas : "Il a utilisé ma notoriété à des fins personnelles, pour faire croire qu'il sortait avec des filles", a-t-elle déclaré dans Ici Paris.
"Toujours l'impression qu'il peut faire mieux"
Quatre ans après l'échec de Vancouver, Brian Joubert a-t-il mûri ? Il a conscience de ne plus figurer parmi les favoris, et s'en félicite : "Je serai plutôt parmi les outsiders. C'est une position qui n'est pas si mauvaise car j'aurai moins de pression. C'est nettement plus facile pour créer la surprise. Je pense qu'un podium [aux JO de Sotchi] est faisable." Un bémol : Brian Joubert a abandonné son programme d'entraînement, en région parisienne, pour retrouver pour la cinquième fois Véronique Guyon, à Poitiers, à quelques mois de l'échéance. Et il a décidé de bouleverser le contenu de son programme court, quelques jours à peine avant le début du championnat d'Europe de Budapest. Chassez le naturel...
C'est peut-être le rockeur britannique Morrissey qui parle le mieux du patineur, au détour d'une interview dans Le Monde : "Brian Joubert, quelle présence, quelle allure ! Mais on a toujours l'impression qu'il pourrait faire mieux."
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