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JO d'hiver 2018 : patineuses artistiques, une vie de sang et de lames

Violentes chutes, coups de patin, chocs divers... Leur élégance et leur grâce sur la glace font souvent oublier les énormes risques pris et les blessures qui peuvent résulter de la pratique du patinage à haut niveau.

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La tête de la Russe Kristina Astakhova frôle le patin de son partenaire Alexey Rogonov lors de leur programme libre sur la patinoire de Gangneung aux JO de Pyeongchang. (ARIS MESSINIS / AFP)

"Trente minutes après ma chute, je ne pouvais toujours ni bouger, ni articuler un mot." Gabriella Papadakis est une rescapée. Victime d'une commotion cérébrale après une chute le 28 août 2015, la patineuse française, en couple avec Guillaume Cizeron en danse sur glace, mettra plusieurs mois à s'en remettre sans pouvoir s'entraîner normalement, "portés, pirouettes, et twizzles" lui étant proscrits. Quasiment un an après, en avril 2016, elle en subissait toujours les conséquences : "Encore maintenant, j’ai du mal à me repérer dans l’espace quand je sors d’une pirouette. Je crois qu’il me faudra des années pour me remettre complètement de cet épisode", racontait-elle alors à Paris Match.

"Un jour il y aura des accidents graves"

"Une patinoire est un milieu hostile, il y a du danger partout", souffle l'ancienne championne d'Europe en danse, Nathalie Péchalat, aujourd'hui à la retraite. Et les risques viennent parfois de son partenaire. Le couple canadien Jessica Dubé-Bryce Davison peut en témoigner. En février 2007, lors des Championnats des quatre continents à Colorado Springs (Etats-Unis), il effectue son programme normalement... jusqu'à une pirouette en parallèle : Jessica Dubé prend la lame du patin de son partenaire en pleine figure puis s'effondre.

Résultat : 80 points de suture et une vilaine cicatrice qui s'étend sur une dizaine de centimètres au niveau du nez. Quelques mois plus tard, le couple patine à nouveau ensemble. "C'est curieux, mais cet accident nous a permis de connaître ensuite la meilleure période de notre carrière", avoue la patineuse au site LaPresse.ca. Le couple terminera ainsi à la troisième place des championnats du monde en 2008.

Le couple est la discipline la plus à risques, surtout pour les filles. "C'est la plus traumatisante", insiste Annick Dumont, consultante pour francetv sport. Portés, sauts... Les figures réalisées par les patineurs lancés à une vingtaine de km/h sur la glace sont "de réelles prises de risques", assure-t-elle. Lors de ces enchaînements, les patineuses sont propulsées en l'air par leur partenaire, pour faire des quadruples tours ou des vrilles, et se retrouvent parallèles à la glace à plusieurs mètres de hauteur.

Il faut une confiance totale en l'autre.

Candice Didier, ancienne championne de France de patinage

à franceinfo

Les patineurs ont "un tel respect de l'autre", estime Annick Dumont, qu'ils font tout pour se protéger. Et n'allez pas croire que seules les femmes risquent gros lors des figures dangereuses. Les hommes sont en effet loin d'être épargnés. Coups de coude, de bras, de genoux... Il ne fait pas bon parfois de tenter certaines figures. Le Canadien Eric Radford a même terminé un programme avec un nez cassé après une rencontre aussi rapide que douloureuse avec le coude de sa partenaire Meagan Duhamel.

Le patineur canadien Eric Radford reçoit le coude de sa partenaire Meagan Duhamel dans le nez lors des championnats de Moscou en 2011 (DMITRY LOVETSKY/AP/SIPA / AP)

Lola Esbrat, 20 ans, acquiesce. La patineuse, membre de l'équipe de France, a souvent distribué des coups à son partenaire, le Russe Andrei Novoselov. De quoi faire peur à certains. "Un jour, il y aura des accidents très graves", prophétise Annick Dumont, également entraîneuse, qui a d'ailleurs cessé de s'occuper des couples, le jour où l'un de ses duos – dont elle ne veut pas donner les noms – a eu un grave accident. "Le patineur tenait les bras de sa partenaire, et elle est tombée face contre terre. Elle est restée deux jours à l'hôpital. Après ça, j'ai dit 'stop'", raconte-t-elle.

Des figures de plus en plus spectaculaires

Pour une médaille et un podium, les patineurs sont prêts à repousser leurs limites. "Ils patinent de plus en plus vite et tentent des choses de plus en plus compliquées", détaille Romain Haguenauer, le coach de Gabriella Papadakis. Lola Esbrat n'a pas encore disputé les Jeux olympiques, mais elle reconnaît que cette course à la performance augmente les risques. "Les couples sont en constante recherche de nouvelles positions sur les portés ou de nouveaux sauts", précise-t-elle.

La patineuse française Vanessa James propulsée par son partenaire Morgan Cyprès aux JO de Pyeongchang. (JUNG YEON-JE / AFP)

Elle cite la paire tricolore Vanessa James-Morgan Ciprès, cinquièmes à Pyeongchang, qui tente des "quad lancés" : la patineuse réalise une quadruple rotation en étant lancée par son partenaire et retombe sur une jambe. Les couples chinois ou russes vont même plus loin en expérimentant les "quad twist" où la patineuse est lancée par son partenaire, effectue quatre rotations sur elle-même, et est rattrapée par celui-ci.

La jungle à l'entraînement

La compétition n'est pas le seul endroit où règne le danger. A l'entraînement, la patinoire ressemble ainsi à une "jungle", assure Nathalie Péchalat. "Tu n'es pas seul sur la glace. Tu peux prendre quelqu'un dans la tête, ou vouloir l'éviter et provoquer une chute et te blesser", détaille-t-elle. Concentrés sur ses figures et sur sa manière de patiner, les patineurs ne voient pas forcément tout ce qu'il se passe, avec à la clé, des télescopages. Le double champion olympique japonais, Yuzuru Hanyu, a ainsi percuté à l'échauffement un autre patineur lors d'une compétition en novembre 2014. S'il s'en est sorti sans grosses séquelles, il parlera plus tard de "miracle".

Yrétha Silété a eu moins de chance. La patineuse tricolore, championne de France élite en 2011 et 2012, douzième des championnats du monde à Nice en 2012 à seulement 17 ans, était promise à un grand avenir. Mais un choc avec un autre patineur lors d'un entraînement lui "a brisé sa carrière", regrette son entraîneur Claude Thévenard. "Sur le coup, elle s'est rompue les ligaments croisés du genou gauche et malgré les opérations, elle ne s'en jamais réellement remise", regrette-t-il. La patineuse a rangé définitivement les patins en novembre 2014, "triste et soulagée", d'après Le Parisien.

"Il faut aimer prendre des risques"

Mais au-delà des blessures physiques, les patineurs en couple doivent affronter un autre ennemi : la peur. "C'est une discipline relativement dangereuse, confirme Lola Esbrat. A mes débuts, j'avais peur d'en avoir peur. Mais je suis quelqu'un d'assez casse-cou et pour faire du 'couple', il faut aimer prendre des risques." Elle admet tout de même que sa mère était loin d'être enthousiaste à l'idée que sa fille se mette "en couple". "Encore aujourd'hui, elle a peur de me regarder", sourit-elle.

La paire canadienne Jessica Dubé et Bryce Davison a dû passer par la case psychologie pour dépasser ce coup de patin dans le visage. "On a réalisé que c'était un accident. Ça peut arriver à n'importe qui, n'importe quand", analysait Bryce Davison pour le site RDS. "En couple, les filles sont des guerrières, il faut une volonté incroyable", estime Annick Dumont.

Une personne qui patine à nouveau après un choc violent doit avoir fait le ménage dans sa tête, sinon ça ne marche pas.

Annick Dumont

à franceinfo

Preuve que tout va bien désormais dans la tête de Gabriella Papadakis, quelques mois après sa commotion cérébrale, la Française a réussi à remporter un nouveau titre de champion du monde avec Guillaume Cizeron. Trois ans après, le couple tricolore a aussi glané une médaille d'argent à Pyeongchang.

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